Detroit : la faillite pour redemption

Florian Cazzola, correspondant à Toronto (Canada)
20 Juillet 2013


Depuis jeudi 18 juillet, Detroit est officiellement en faillite. Mais si la « chute » de la capitale du Michigan est un symbole, ce n’est pas un cas unique. Tour d’horizon de ces villes qui ont elles aussi connu des heures sombres, et qui s’en sont plus ou moins bien relevées.


Photo : Jeff Kowalsky/Bloomberg
Le chiffre a de quoi donner des sueurs froides à plus d’un économiste. Et pour cause, Detroit a été mise en faillite cette semaine, malgré la nomination en mars dernier de l’administrateur d’urgence, Kevyn Orr, censé contenir la dette colossale de 18,5 milliards de dollars ainsi qu’éradiquer un chômage qui dépasse allégrement les 50%. Sans surprise, les efforts de l’avocat afro-américain, ses demandes aux syndicats des 30 000 employés et retraités de la ville ainsi qu'à ses autres créanciers de consentir à d'importants sacrifices, se sont tous soldés par des échecs.

Les difficultés que connaissait la ville n’étaient plus un secret pour personne. Mais cette faillite est un symbole pour une métropole qui a fait les beaux jours des États-Unis au début du XXème siècle grâce à son « Big Three ».

La « faillite, » c’est grave docteur ?

Le terme est fort, mais il est à la mesure de la gravité de la situation. Pour une entreprise, la faillite signifie souvent le dépôt de bilan. Pour une ville, c’est pareil. Si certains États, comme la France, ne permettent pas à leurs collectivités de se mettre dans une telle situation, d’autres pays  l’autorisent.

Aux États-Unis, c’est donc le chapitre 9 de la loi sur les faillites qui régit ces cas très particuliers. Au total, seule une soixantaine de villes ont été concernées depuis 1950. Si le chiffre peut paraître dérisoire, c’est d’abord parce que ce processus n’est engagé qu’en dernière option, quand toutes les autres alternatives financières et juridiques ont été épuisées. Les conditions de candidature sont très strictes et humiliantes pour ces villes qui doivent se présenter comme insolvables, soumises aux décisions de leur Etat et consentantes à des accords avec leurs créanciers majoritaires. Aujourd’hui c’est Detroit qui en paie le prix fort, à l’image du CCC que l’agence de notation Moody’s lui a accordé.
 

Le « rêve » américain

Detroit, une exception ? Pas vraiment. Les États-Unis sont les champions  de l’endettement et leur dette nationale en est l’exemple type. Dans la majorité des pays, la loi interdit le recours à l’emprunt pour des frais courants. Cela limite donc considérablement les risques de surendettement malgré les quelques libertés laissées par les Etats fédéraux. Sans surprise, c’est donc au pays de l’Oncle Sam que le nombre de faillite observé a été le plus important. Si la première grosse banqueroute est à attribuer au Comté d’Orange, Californie, en 1994, plusieurs grosses métropoles ont évité le pire de justesse.

Les années 1970 constituent une période sombre pour de nombreuses villes industrielles à commencer par New-York. La « grosse pomme » connaît alors un taux de criminalité extrêmement élevé. Additionné au contexte de stagflation, à l’explosion des dépenses sociales et municipales, la ville est au bord du précipice en 1971 et plusieurs quartiers s’enfoncent dans la drogue et la criminalité malgré les efforts répétés du gouvernement. Preuve que personne n’est épargné, « la ville qui ne dort jamais » est plongée dans le noir dans la nuit du 13 au 14 juillet 1971, causant pillages et désordres sociaux. Comme un symbole. L’histoire est presque identique à Cleveland et à Philadelphie où le point de non retour est évité de justesse.

Contrairement aux idées reçues, les dangers de la faillite n’ont pas touché que des villes. Il s’en est d’ailleurs fallu de peu pour que l’Organisation des Nations Unies imite le Comté d’Orange en 1996, mais le travail effectué par le secrétaire général de l’époque, M. Boutros-Ghali s’est avéré décisif pour la survie de cette institution. On estimait alors à près de 2,3 milliards de dollars la dette de l’organisme international qui résultait principalement d’arriérés impayés par les différents Etats membres. A eux seuls, les États-Unis devaient rembourser plus d’un milliard de dollars … 

La crise des subprimes, le facteur X

2007, est une année à marquer d’une pierre blanche. Les spéculations qui étaient alors faites sur des actifs toxiques dans l’immobilier ont eu des conséquences, plus ou moins directes, désastreuses sur l’activité économique des villes américaines. Impossibilité de rembourser les prêts immobiliers, pertes d’emplois, surendettement ; des dizaines de milliers d’américains se sont retrouvés ruinés du jour au lendemain. Conséquence, l’économie des aires urbaines américaines s’est littéralement effondrée. 

Il en est de même pour les municipalités, comtés et états du pays. Leurs investissements et prêts, consentis dans le cadre de leur politique générale, les ont poussés vers ces crédits très intéressants. Les répercussions n’en ont été que plus douloureuses. Pour la ville de Vallejo en Californie et ses 115 000 habitants, le verdict tombe moins d’un an après le déclenchement de cette crise financière et budgétaire. Croulant sous le poids d’une dette estimée à 16 millions de dollars, elle est contrainte de faire appel au chapitre 9, une première depuis plus d’une décennie. Suivront sept et maintenant huit villes pour des motifs similaires. Harrisburg avait contracté un prêt pour la construction d’un nouvel incinérateur.

Plus récemment, c’est San Bernardino qui s’est déclarée en faillite après avoir découvert qu’il ne lui restait plus que 150 000 dollars sur ses comptes. Pour cette dernière, les répercussions ont été dramatiques. Sa base Air Force One et l’entreprise Kaiser Steel ont préféré quitter les lieux, les prix de l’immobilier ont flambé et la TVA s’est totalement effondrée. Selon les dernières estimations pour cette ville de Californie, les pertes d’emplois sont estimées à 86.000 sur les deux prochaines décennies.
De cet échelonnement des faillites des villes dans le temps, Detroit en est aujourd’hui la preuve. Les conséquences de la période 2007-2010 se font toujours sentir en 2013, et elles devraient encore durer plusieurs années. En attendant, le chapitre 9 de la loi sur les faillites va certainement connaître de nouveaux cas.

La faillite, une chance ?

La question peut paraître déplacée, et pourtant ! La mise en faillite des villes est une solution radicale, mais nécessaire pour l’avenir des communes concernées. Les dispositions prévues par la loi en question leur permettent de bénéficier d’une aide, d’établir un plan de stabilisation et une politique budgétaire et financière des plus saines. Les villes qui s’enfonçaient sans cesse plus, leur dette avec, peuvent dès à présent se projeter dans l’avenir, aussi sinueux soit-il.

Cleveland est en l'exemple parfait. Désormais présentée comme la « Come Back City », « la ville du retour » en français, dans la littérature urbaine, la ville de l’Ohio était, il y a encore 40 ans très mal en point. Il a fallu l’intervention du secteur privé pour lui éviter de connaître le même destin que le comté de Stockton. Et c’est par le « Cleveland Tomorrow » que la métropole du Mid-Ouest s’est relevée. Cet organisme civique, exclusivement dirigé par les 50 hommes les plus importants de la région, s’est attelé aux questions économiques. Il ont multiplié les initiatives (Work in Northeast Ohio Council, Primus Capital Fund, Enterprise Development Inc., …) avec comme objectif le « redéveloppement » de la ville. Les résultats parlent d’eux-mêmes, Cleveland a aujourd’hui un taux de chômage inférieur à celui du pays (7,6% contre 7,3% en mai 2013).
Autre satisfaction, Vallejo. A la faveur d’économies drastiques et d’un budget très encadré, la cité de Californie s’est redressée en moins de deux ans et tous ses voyants sont aujourd’hui au vert.

Pour d’autres malheureusement, le chemin est plus difficile. Camden, une petite localité du New-Jersey n’arrive toujours pas à remonter la pente. Elle est aujourd’hui considérée comme la ville la plus dangereuse des États-Unis.

À Detroit maintenant de se serrer la ceinture ! A moins que la capitale du Michigan ne connaisse un destin similaire à celui de Grebenhain, totalement inattendu. La petite commune du centre de l’Allemagne a réussi à effacer sa dette de 2,1 millions d’euros grâce à un don de Lutz Mario Helmig, un milliardaire qui avait commencé sa carrière de chirurgien dans cette commune de la Hesse.