Eat Sleep Die : l'échec du film social

Colomba Poinsignon
23 Juin 2013


La vie de Rasa, une jeune ouvrière suédoise, témoigne d'une réalité sociale. Mais sans émotions, il transforme la vie de Rasa en un amas d'images difforme et inintéressant.


Aller au cinéma sans lire au préalable les synopsis détaillés vous préservent de tout préjugé, mais cela peut également réserver de mauvaises surprises. En allant voir Eat Sleep Die, on pouvait s'attendre à un film intimiste, dans la veine du cinéma indépendant mondial avec une petite touche atypique grâce à sa nationalité suédoise, sur la vie d'une adolescente d'origine étrangère. Le film s'affirme cependant rapidement comme un film social, rien de plus.

Bien sûr on comprend un peu mieux la réalité sociale suédoise. On apprend que l'intégration des étrangers se fait sans roman national mais avec un relatif succès, que le racisme est tout de même bien ancré, même entre immigrés, ou encore que le dialogue social ne permet pas de prendre des décisions justes mais que la prise en charge des chômeurs est personnalisée et humaine. Mais ces informations ne suffisent pas à faire un bon film de fiction. Seules, elles ont leurs places dans un documentaire basique où l'on se contente de faire des interviews et d'assembler des images bout à bout.

Eat Sleep Die est une fiction, sans en avoir la force narrative. Le cinéma contemporain indépendant à la mode a tendance à développer des scénarios lâches où les événements sont rares comparés aux errances et explorations psychologiques. Mais à moins d'être un cinéaste virtuose, ou tout simplement aguerri, il est impossible de faire un film sans progression, ni enjeu. Nous montrer Rasa marcher sans but ou chercher du travail maladroitement ne peut suffire à intriguer le spectateur. Certes, son quotidien est ennuyeux et on veut nous faire ressentir ce vide. Mais le plus dur est d'incarner ce vide. Eat Sleep Die se résume à une suite de scènes de présentation, sans enjeux dramatiques propres. La visée du film est clairement réaliste, cela ne devrait pas pour autant dispenser de construire une histoire. La réalisatrice semble penser que filmer la réalité vous permet d'oublier intrigue et scénario pour seulement se rapprocher des corps.

Mais là encore, le film échoue. Sa photographie est complètement dissociable de la trame narrative et des personnages : le film ne forme pas un tout cohérent. La caméra ne prend jamais de distance par rapport à ce qu'elle filme. Elle reste presque constamment en gros plan, multipliant les bascules de point insignifiantes (la mise au point se fait d'abord sur un objet rapproché puis sur un point plus éloigné dans le plan), modelant des images sans âme.

On s'ennuie donc à regarder l'histoire de Rasa, pourtant touchante à certains moments, en particulier lorsqu'elle est avec son ami Nicky. Aucun rythme ne vient rattraper les vides du film : l'absence de construction dramatique est doublée d'une absence de montage cohérent. Les échos ou les scènes inversées sont là mais ils sont disséminés de manière maladroite, comme si c'était une construction obligatoire. On ressort de ce film sans avoir rien ressenti, ou presque, sans que la Suède nous soit plus proche.