Élections parlementaires en Éthiopie : la politique du silence

Maria Gerth-Niculescu
24 Mai 2015


Le 24 mai, les citoyens éthiopiens se rendent aux urnes pour élire leurs représentants parlementaires. Les dernières élections de 2010 avaient conféré à la coalition du Front Démocratique Révolutionnaire du Peuple Ethiopien (FDRPE) une majorité écrasante de 499 sièges sur 547 au sein de la chambre basse. Un seul siège avait été attribué à un réel parti d’opposition. Ces résultats, fortement contestés par les membres et électeurs de l’opposition, ainsi que de manière plus modérée par la communauté internationale, avaient conduit à de nombreuses manifestations et arrestations. C’est donc dans un contexte tendu, marqué par un passé agité que s’ouvrent les bureaux de vote.


Le FDRPE, qui se veut aujourd’hui social-démocrate, est une coalition de quatre partis issus de différentes régions du pays. Elle était initialement un mouvement rebelle qui a renversé en 1991 la démocratie populaire de Mengistu Hailemariam, pour mettre en place une démocratie parlementaire. Mais bien que le pays soit considéré comme une démocratie multipartite, les trois élections qui se sont déroulées en Ethiopie depuis la nouvelle Constitution ont toutes été contestées pour oppression voire suppression de l’opposition. « Vers l’extérieur, ils veulent donner une bonne impression. Mais tous les citoyens savent que ce n’est qu’une façade » explique Gashaw, jeune père de famille résidant à Gondar, au nord du pays.

Le FDRPE, avec à sa tête Meles Zenawi, a emprisonné et forcé à l’exil des centaines de journalistes et membres de l’opposition. En 2005, et surtout en 2010, la campagne électorale a été qualifiée de « déséquilibrée » par l’Union européenne. Les résultats ont finalement été approuvés par les observateurs internationaux malgré les rapports alarmants d’organisations non-gouvernementales telles que Human Rights Watch. Zenawi, qui avait succédé à Mengistu Hailemariam depuis 1995, était vu par beaucoup d’Éthiopiens comme un leader politique démocratique et respectable.

Aujourd’hui encore, trois ans après sa mort, il est présent sur les murs des cafés ou dans les bâtiments administratifs. Mais la nostalgie de certains remonte à plus loin encore. Hanna, originaire d’Addis-Abeba, avoue qu’elle « aimait beaucoup Mengistu Hailemariam. Il a fait beaucoup de choses pour le pays, il a renforcé l’éducation et lutté contre la pauvreté. Oui, il a beaucoup tué, mais Zenawi aussi. Sauf que Hailemariam ne s’en cachait pas. »

Le contrôle des médias, barrage à des élections libres

Loin d’exercer une autorité qui résonnerait davantage avec les principes démocratiques, le Premier ministre actuel, Hailemariam Desalegn, renforce la politique d’intimidation de son prédécesseur.

Près de 70 journaux avaient déjà été interdits sous Zenawi. Une loi ratifiée en 2008 autorise la non-publication de tout article identifié comme une menace de l’ordre public et de la sécurité nationale. En plus de cela, la loi anti-terrorisme de 2009 renforce l’autocensure à laquelle doit recourir de nombreux journalistes. Ces législations sont encore largement utilisées aujourd’hui, afin de justifier la censure et les emprisonnements qui caractérisent la politique de Desalegn. La coalition au pouvoir et le gouvernement contrôlent la quasi-totalité des journaux et chaînes de télévision qui n’ont pas été contraints de fermer. Ceux-ci sont largement manipulés afin de contraindre au silence toute voix dissidente et conférer ainsi l’illusion d’un climat politique satisfait.

Bien que la liberté d’expression et la liberté de la presse aient été compromises tout au long de la dite démocratie parlementaire éthiopienne, la situation actuelle est particulièrement inquiétante. En avril, les organisations de défense des droits de l'Homme rappelaient le triste anniversaire de l’arrestation de Zone 9, un groupe de bloggeurs et journalistes indépendants condamnés en 2014 pour « incitation à la violence ». Il y a un an également, Elia Gebru, éditeur en chef d’un magazine indépendant, a lui aussi été emprisonné. De nombreux autres journalistes et éditeurs en chef ont fait l’objet d’interrogatoires, d’agressions physiques et de harcèlements au cours des derniers mois. Une campagne de communication lancée par le gouvernement a publié une liste de noms considérés comme des dangers révolutionnaires et ennemis de l’État.

Craignant ce climat de répression inégalé depuis 2005, plus de 30 journalistes auraient fui le pays en 2014, selon un rapport de Reporters sans Frontières. L’organisation place le pays à la 143e place sur 180 dans son Classement Mondial de la Liberté de la Presse.

Les élections de 2015 : peu de perspectives de changement

Fin 2014, Deslegn affirmait dans une interview que « nos procédures institutionnelles ainsi que nos lois et régulations sont parfaites ». Mais en dehors du papier, la société civile éthiopienne est quasi inexistante et l’opposition se fait peu entendre. Les ONG financées de l’étranger sont interdites, et la population constamment intimidée. La pauvreté, qui touche la majorité de la population éthiopienne, et les politiques sociales desquelles beaucoup de familles dépendent, sont un levier que le parti au pouvoir utilise avec succès. Certains témoins affirment ainsi avoir été menacés de ne plus recevoir certaines aides financières s’ils ne votaient pas pour le représentant local issu du FDRPE.

Les partis d’opposition sont peu nombreux et encore moins connus. Le Medrek et le Bleu Parti sont considérés comme les deux plus importants, mais un seul avait obtenu un siège au parlement en 2010. Au cours de la campagne pour 2015, des membres de l’opposition ont dénoncé à plusieurs reprises une politique d’intimidation et de violences à l’encontre de leurs candidats. Yonathan Tesfaye, porte-parole du Bleu Parti, a parlé de violences physiques dans le Sud du pays. Des membres du Medrek ont également affirmé avoir subi des tentatives d’intimidation. La peur règne au sein de ces partis, qui tentent tant bien que mal de poursuivre une campagne dans laquelle ils pèsent peu en comparaison du FDRPE. Le Medrek avait ainsi organisé un rassemblement dans un stade de football à Addis-Abeba, mais les personnes présentes n’ont pas dépassé les quelques centaines.

En ce qui concerne les observateurs censés s’assurer du bon déroulement des élections, ils ont tous été appointés par l’Union Africaine. Mais Yonathan Tesfaye a déclaré que certains ont rencontré des difficultés au moment de leur enregistrement, et que les critères de nomination de ces observateurs, pourtant essentiels à la garantie d’élections démocratiques, restent flous.

En ce qui concerne l'urbanisation, 80% de la population éthiopienne vit en dehors des villes. Le manque d’éducation et de culture politique de ces populations, auquel vient s’ajouter l'absence d’alternative politique, jouera vraisemblablement en faveur du FDRPE le 24 mai.

« Je voterai pour le FDRPE dimanche, car je ne connais rien des partis d’opposition et je veux la paix dans mon pays » affirme Tadese Tsegaye, citoyen de la région d’Oromo, dans un entretien pour The Guardian. Celui-ci avait été désigné membre du parti sans n’avoir rien demandé.

« On ne peut rien y changer. Je me sacrifierais volontiers s’il y avait une chance pour que mes mots et actions aient un impact. Mais rien ne peut changer les choses, et si je manifeste mon mécontentement, je suis en danger » explique Gashaw. Sa belle-mère, assise à côté de lui, secoue la tête avec inquiétude et regarde par la porte. La conversation lui fait peur et elle craint que quelqu’un ne l’entende. Dans ce contexte, le vote a-t-il encore un sens dans l’esprit des Éthiopiens ?

Même s'ils sont souvent silencieux, les citoyens éthiopiens se rendent en réalité bien compte du climat hostile qui règne dans leur pays. Certains envisagent même un changement à venir. « Il y a une diaspora en dehors du pays, et ils préparent quelque chose je pense. C’est surtout des jeunes. » Il semble y avoir un fragile espoir sur le long terme dans les propos de Gashaw, mais pour l’heure, impossible de savoir s’il ira voter.

« Seul Dieu peut nous aider » soupire Hanna, en levant les yeux au ciel. La religion est d’ailleurs un moteur clé d’une grande partie de la population, et met possiblement la politique au second plan dans la vie quotidienne de certains Éthiopiens.

L’ouverture à l’international : l’issue de secours ?

L’Union Africaine, dont le siège se situe à Addis-Abeba, semble devenir de plus en plus importante et influente sur la scène mondiale. La capitale éthiopienne croule d’ailleurs sous les projets de construction, lancés par des investissements qui commencent à arriver de part et d’autre. Il est donc probable que l’Éthiopie joue à l'avenir un rôle important d’un point de vue diplomatique et économique dans la région, mais également au-delà des frontières africaines.

Le pays reste extrêmement pauvre malgré une croissance importante, et dépend de l’aide internationale, provenant en grande partie de l’Union européenne, des États-Unis et de la Banque Mondiale. Faire parvenir cet argent aux populations qui en ont le plus besoin reste un des défis de la communauté internationale, qui profite en vérité de cette dépendance.

Dans un tel contexte, est-il encore étonnant que Barack Obama ait salué le caractère démocratique de l’Éthiopie, alors qu’une déclaration contraire aurait pu attirer l’attention internationale sur des problèmes plus ou moins sous-jacents ? Au delà des intérêts économiques et diplomatiques, les États-Unis, qui se veulent le plus grand garant de la liberté de la presse, ainsi que l’UE, grand défenseur des droits humains, n’auraient-ils pas une obligation vis-à-vis d’une population opprimée dans son exercice et dans sa réflexion politique ?