En Hongrie, une société qui survit

François-Xavier Legrand
19 Février 2016


Pays enclavé entre l’Autriche et la Roumanie, la Hongrie marque la frontière fictive entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est. Pourtant situées à seulement 250 kilomètres de Vienne, les rues de Budapest nous montrent un environnement aux antipodes de la capitale autrichienne. Frontière imaginaire ou inégalités bien réelles, aperçu d’une société qui survit.


Crédit : François-Xavier Legrand
La Hongrie a adhéré à l’Union européenne le 1er mai 2004, mais ne fait cependant pas partie de la zone euro. Le pays utilise le forint hongrois comme monnaie nationale avec un taux de conversion avoisinant les 310 forint pour 1 euro. Le passage à la monnaie européenne ne fait pas partie de l’ordre du jour. Ayant déjà été repoussée, son arrivée serait maintenant prévue aux alentours des années 2020.

Pourquoi un tel refus ? On peut facilement ressentir la crainte d’une inflation des prix créée par un tel changement. Dans beaucoup de pays voisins, les prix ont augmenté lors du passage à l’euro, en partie dans le but d’une simplification. Que se passerait-il alors en Hongrie si la part de pizza que l’on trouve à tous les coins de rue à 200 forint (0,64 €*), passait à 1 voir 2 € ? Qu’adviendrait-il du petit pain rond à 14 forint (0,04 €*) ? À quel prix serait alors fixée une pinte de bière actuellement aux alentours de 350 forint (1,12 €*) ?

Crédit : François-Xavier Legrand
La crainte de voir le coût de son sac de course augmenter est bien légitime. Il faudrait être dupe pour penser que la brique de lait resterait à moins d’un euro, ou qu’un burger classique dans un bistro soit toujours servi pour 4,5 €*. Il n’en reste pas moins que personne ne se plaint de payer avec des billets de 1 000, 2 000, 5 000, 10 000 ou 20 000. Cette ancienne monnaie qu’est le forint reste donc aujourd’hui dans les portefeuilles hongrois, et ce pour encore un certain temps.

Une inflation des prix inquiétante

En dehors du fait que le passage à l’euro n’est pas à l’ordre du jour, une inflation inquiétante des prix en Hongrie se fait ressentir. « Les prix ne cessent d’augmenter. N’importe qui peut d’ailleurs le constater, les étiquettes de prix changent quasiment chaque jour », déplore Brigitta, une Budapestoise d’une quarantaine d’années. Gábor, Budapestois travaillant dans l’immobilier, a constaté une flambée des prix depuis 2013. « Il est devenu plus rentable de louer son appartement sur Airbnb. Par conséquent le nombre d’appartements loués à l’année s’est vu dégringoler et les loyers de ces derniers monter en flèche pour compenser le manque à gagner ».

Il ressort de cette économie qu’un salaire de base à 350 € par mois ne suffit pas à assumer un logement, ni de la nourriture pour survivre. Les prix sont de plus en plus proches de ceux que l’on peut trouver dans les pays de l’Ouest de l’Europe. Les grands centres commerciaux affichent d’ailleurs des prix similaires. À la question « comment vivez-vous avec un salaire 3 à 4 fois moindre qu’à l’Ouest avec des prix pourtant similaires ? », la réponse est évidente mais toujours difficilement acceptable : « il n’est pas question de vivre, mais de survivre ». Cette réponse est généralisée. Il est commun en Hongrie d’apprendre qu’un médecin conjugue sa vie entre plusieurs cabinets et hôpitaux afin d’atteindre la barre des 1000 € par mois. Un montant qui reste encore de l'ordre de la survie pour nourrir une famille.

Crédit : François-Xavier Legrand
La Hongrie est-elle si pauvre ? Réka, professeur de droit à l’université de Budapest relativise : « le pire se situe à l’Est du pays. Il est fréquent d’y voir des ruraux sans chaussette ni chaussure. À Budapest, les métiers de la finance, du droit et de l’entreprenariat permettent aux personnes de mener une vie très correcte. Ces dernières nous cachent la misère. Pourtant celle-ci est bien réelle ». Réka déplore également un manque de financement dans le secteur public. « Les finances de l’État ne permettent pas de payer correctement le secteur public. Dès lors qu’un diplôme est reconnu à l’étranger, il est très fréquent de voir la personne le détenant migrer vers un autre pays, à l’instar des médecins notamment ». Le professeur de droit s'amuse à reprendre la coutume orale selon laquelle Londres est la seconde plus grande ville du pays, tant le nombre de Hongrois y est important.

Bouches de métro, perrons, trottoirs, porches : les nids de la pauvreté

Hommes ou femmes, jeunes, adultes ou vieillards, pas de distinction. Les sans-abris de Budapest sont largement présents dans les rues. Peu importe le quartier, peu importe le trottoir, une heure de marche dans la ville suffit pour en croiser des dizaines. Voir une personne fouiller dans une poubelle ou faire la queue contre les matelas des sans-abris pour entrer dans une boite de nuit est devenu affaire du quotidien. Alors quand arrive l’hiver, dans un pays où la température peut facilement atteindre les -5 ou -10°C, les bouches de métro deviennent le repère de cette catégorie de la population délaissée. Il y fait meilleur, il n’y pleut pas mais il y a constamment du passage et une lumière aveuglante. Le bruit y est assourdissant. Voilà pourquoi beaucoup d’autres dorment au perron d’une porte. Certains tentent de capter la chaleur d’une bouche d’aération. En somme, tout abri est bon à prendre. Même le compartiment d’une cabine téléphonique permet d’être un minimum séparé de son voisin. À la vue de cette misère sociale et économique, un étudiant budapestois affirme alors que « l’objectif commun à tout individu reste la survie ».

* taux de conversion au 1er février 2016.