Espagne : la nouvelle vague indépendantiste catalane

Hugo Lauzy
26 Septembre 2015


Le 27 Septembre prochain, près de 5,5 millions de Catalans sont amenés à s’exprimer via les urnes pour des élections régionales anticipées, qui en cas de victoire massive des listes indépendantistes, pourraient avoir des conséquences décisives sur l’avenir de cette région espagnole historique. Décryptage de la situation actuelle au cœur d’une Espagne sous tension.


Drapeau catalan sous forme de barricade pour l’indépendance – Crédit Reuters
Dans ce qui peut paraître comme un débat sans fin depuis des années, la phrase d’Artur Mas, leader de la liste indépendantiste « Junts pel Sí » issue de l’union entre le parti de centre-droit libéral catalan (CDC) et la gauche indépendantiste (ERC), sonne comme un ultimatum et dévoile l’enjeu capital de l’échéance que s’apprête à vivre la Catalogne à la fin du mois. « Il s’agit du vote de votre vie », tels sont les mots du chef de l’éxécutif catalan candidat à sa propre réélection, toutefois très décrié par une large partie de ses homologues politiques espagnols de tout bord confondu. 

Si le bloc indépendantiste venait à l’emporter même sans la majorité des sièges du Parlement, ce personnage charismatique de la droite libérale nationaliste catalane, au pouvoir depuis 2010 et issu de la société bourgeoise barcelonaise, promet de lancer le processus parlementaire d’indépendance. Celui-ci devrait aboutir, à l’issue de 18 mois de négociations et d’un référendum approuvé par Madrid et Barcelone, à l’acte de naissance de l’état catalan.
Artur Mas, leader indépendantiste et principal adversaire politique de Madrid – Crédit EFE

De nombreuses figures du nationalisme catalan suivent ce même raisonnement, à l’image de Raül Romeva, autre tête de liste de « Junts pel Sí », qui affirme que les partisans de l’indépendance iront « jusqu'au bout car tout le monde doit comprendre que nous le ferons ». De toute évidence, les sécessionnistes catalans laissent entendre qu'ils ne reculeront devant aucun obstacle légal. En cas de refus du gouvernement espagnol de négocier, Artur Mas a même laissé entendre qu’une déclaration d’indépendance unilatérale pourrait être réalisable. Selon les derniers sondages du journal généraliste El País, les indépendantistes obtiendraient un peu moins que la majorité absolue en termes de sièges entre 66 et 67 sièges sur 135, malgré une majorité relative au niveau des voix, qui atteindrait les 41% au Parlement régional.

Selon les représentants indépendantistes catalans, cette nouvelle « version » du nationalisme s'est enracinée suite aux multiples refus du gouvernement du premier ministre conservateur Mariano Rajoy (PP) de considérer les problèmes catalans à leur juste valeur et d’entreprendre de réelles discussions sur les problèmes de fond. En effet, les tensions et divergences se sont réactivées récemment entre Madrid, place forte de la centralisation du pouvoir espagnol, et Barcelone, ville caractéristique de l’identité catalane et synonyme d’indépendance.

Des négociations au point mort avec Madrid

Dans l’histoire de l’Espagne, les deux plus grandes villes du pays se sont souvent affrontées au niveau historique, politique, économique et même à l’occasion d’événements sportifs. Chaque « clásico » footballistique entre le Real Madrid et le FC Barcelone est devenu une question de suprématie nationale à la fois vitale, mais aussi de reconnaissance internationale afin de revendiquer ses origines. Les Catalans ont longtemps été très attachés à l’Espagne et simplement favorables à un statut d'autonomie. Depuis le retour de la démocratie en 1977, le choix de Jordi Pujol (CDC) qui a dirigé la région pendant 23 ans, de 1980 à 2003, s’est imposé avec de larges transferts de compétences de Madrid vers Barcelone. L'indépendantisme, alors représenté seulement par ERC, demeurait par conséquent à un niveau électoral assez faible avec environ 15 % de votants aux élections régionales. 

Le discours des indépendantistes s’est néanmoins ouvertement radicalisé depuis l’annulation par le tribunal constitutionnel du statut d’autonomie renforcée de la région en 2010, pourtant accordé sous le gouvernement socialiste Zapatero (PSOE) en 2006. Ce statut permettait la reconnaissance d'une nation catalane. Par la suite, le refus madrilène de négocier un nouveau pacte fiscal, plus avantageux pour la Catalogne, première région industrielle d'Espagne représentant près de 20% de son PIB, ajouté à la négation du référendum du 9 novembre 2014 par le gouvernement espagnol, jugée comme « anticonstitutionnel », n’a fait qu’envenimer les débats. Pourtant, le scrutin rendu non-officiel avait fait apparaître le résultat record de 90% d’avis favorables. Le taux de participation, de seulement 40%, ne pouvait cependant pas servir de vote d’adhésion unanime à la cause catalane.
Plusieurs centaines de milliers de personnes lors de la manifestation de la « Diada de Catalunya » du 11 septembre 2015 dans les rues de Barcelone - Crédit EFE

L’engouement populaire vis-à-vis de l’identité catalane s’est toutefois fait profondément ressentir le vendredi 11 septembre 2015 dans les rues de Barcelone, lors de la « Diada », journée nationale de la Catalogne. Plus d’1,5 million de personnes venant de toute la Catalogne à la fois espagnole et française, s’étaient donnés rendez-vous à l’occasion de la grande manifestation indépendantiste, aux couleurs sang et or du drapeau catalan. Le soutien populaire est passé de 15% en 2006 à près de 50% l’année dernière. 

Une Espagne divisée en deux

Le premier objectif des indépendantistes est de pousser l'Espagne à discuter sur un pied d'égalité avec la Catalogne sur les modalités d'une séparation dans un cadre ibérique et européen, comprenant une possible éviction de l’Union Européenne. Au regard des exportations catalanes dans la zone euro, cette exclusion pourrait se révéler à double tranchant. Les partis traditionalistes, à l’image du PP et du PSOE ont quant à eux du mal à trouver leur place dans le nouvel échiquier politique, où les nouvelles puissances populaires tels Podemos (extrême gauche) ou Ciudadanos (centre-droit) préconisent une « troisième voie » qui amènerait la Catalogne à un statut d’état fédéral. Toutefois, aucun des ces partis traditionalistes ou populaires n’arrivent pour l’instant à contrer la force indépendantiste en Catalogne. 

La réaction des autres autonomies espagnoles ne s'est pas faite attendre. Comme le précise la présidente du gouvernement andalou, Susana Diaz (PSOE) qui « ne soutiendra pas une réforme de la Constitution reconnaissant à la Catalogne des « singularités » qui peuvent être des privilèges face à d’autres régions ». Les indépendantistes catalans se plaignent par exemple de trop participer à l'effort national pour rembourser la dette héritée de 2008. Elle affirme de manière virulente qu’ « Artur Mas est en train de diviser l’Espagne » et que « si les indépendantistes catalans prétendent être une nation, c’est qu’ils sont déjà un état, ce que je ne partage absolument pas ». 

La course aux soutiens politiques au niveau international est aussi une bataille de communication entre les deux camps qui essayent de se rallier des personnalités influentes. Mariano Rajoy s'est beaucoup rapproché de la chancelière allemande Angela Merkel ces derniers mois, et Berlin aime à montrer l'Espagne comme le nouveau modèle de « l'austérité qui porte ses fruits ». Le gouvernement français s'est lui montré assez hostile à l'indépendance catalane, tout comme le président américain. Lors d’un discours prononcé en marge de la réception du roi d’Espagne Philippe VI le 15 septembre, Barack Obama a réitéré « qu’en termes de politique étrangère, la présence d’une Espagne forte et unie est importante non seulement en Europe, mais aussi aux États-Unis et à travers le monde», a-t-il ajouté, sans citer explicitement la Catalogne. 

Du côté des indépendantistes, les soutiens de personnalités politiques internationales sont inexistants. Afin de populariser leur cause, ils ont cependant fait appel à l’ancien entraîneur du FC Barcelone, aujourd’hui aux commandes du Bayern Munich, Pep Guardiola, comme tête de proue de l’identité catalane. Gérard Piqué, défenseur du FC Barcelone, se retrouve lui au centre d’une polémique enflammée sur ses positions pro-catalanes, au point de se voir directement désigné par le peuple espagnol comme « persona non grata » en sélection espagnole. Le ton est donc donné, une semaine avant des élections qui pourraient changer l’avenir du pays, et à moins de trois mois des élections générales prévues le 20 décembre prochain.