Espagne : le référendum catalan met Madrid sous pression

Valentin Berthoux
20 Janvier 2014


Le 12 décembre 2013, après plusieurs semaines de discussion, le gouvernement catalan s’est enfin décidé sur les modalités du référendum sur l’indépendance, prévu le 9 novembre 2014. Celui-ci prendra la forme d’une double question.


Chaîne humaine du 11 septembre 2013, Plaça Catalunya, Barcelone | © Valentin Berthoux/Le Journal International
« Souhaitez-vous que la catalogne devienne un État ? » En cas de réponse affirmative, le citoyen devra répondre à une seconde question : « Souhaitez-vous que la Catalogne devienne un État indépendant ? ». Cette double question est le résultat de longues heures de négociation entre les différents partis catalans. Le choix de la question a été le centre d’un fort débat au sein de la société catalane, face à un gouvernement central qui ne souhaite pas en entendre parler. L’enjeu d’un telle décision était important : il s’agissait de laisser, ou non, une possibilité de représentation aux citoyens qui soutiennent la « 3e voie ».

Cette « 3e voie », très discutée, est une solution intermédiaire, moins radicale que l’indépendance. Pour certains, le statu quo n’est plus tenable pour la Catalogne, mais ils ne veulent pas non plus en arriver jusqu’à la sécession avec le reste de l’Espagne. C’est par exemple le cas de la proposition du PSC (Parti Socialiste Catalan) qui appuie l’idée d’un État fédéral. Cette « 3e voie » peine tout de même à exister au milieu d’un débat qui se radicalise de jour en jour.

Bien plus qu’une simple annonce d’un calendrier, les politiques catalans ont trouvé un moyen de renvoyer la balle dans le camp de Madrid qui répète depuis plusieurs mois que le référendum est anticonstitutionnel et qu’il n’aura jamais lieu. En annonçant une chronologie et une question claire, les Catalans poussent le pouvoir central à sortir de son silence et à s’exprimer sur la question. Madrid est maintenant dans une situation délicate où interdire la consultation passerait pour une mesure antidémocratique aux yeux des citoyens et de la communauté internationale.

Internationaliser le conflit

Le rôle de la communauté internationale est essentiel; et cela, les Catalans l’ont bien compris. Le président de la Generalitat, Artur Mas, mène depuis plusieurs mois différentes actions et réunions à l’étranger et à Bruxelles, pour tenter d’internationaliser l’affrontement. Dernièrement, il a écrit à plusieurs États européens et aux institutions européennes pour défendre son projet de référendum et d’autodétermination pour le peuple catalan. La Via Catalane, grande chaîne humaine traversant l’ensemble de la Catalogne, organisée le 11 septembre 2013, en se basant sur l’exemple la Voie Balte de 1989, s’inscrivait aussi dans cette logique d’internationalisation du conflit.

Aujourd’hui, il est clair que les Catalans sont sur le point de gagner ce pari. La bataille entre Barcelone et Madrid est devenue manichéenne et le gouvernement central en s’obstinant à refuser un référendum, endosse le rôle du « méchant » s’opposant à la liberté d’expression d’un peuple. A l'étranger, certaines voix se sont élevées pour demander que ce référendum puisse être organisé au nom de la démocratie et du droit à l’autodétermination.

Un mauvais calcul politique de Madrid

Madrid est aujourd’hui dans une posture très délicate. Le gouvernement de Rajoy refuse le dialogue avec la Catalogne et se retranche derrière la Constitution pour expliquer qu’un référendum n’est pas réalisable. Au fond, ce rejet est logique : l’exécutif de droite satisfait ainsi à une grande partie de son électorat conservateur et défenseur du traditionnel centralisme d’État.

Mais, ici, le calcul politique est peut-être mauvais. Actuellement, le principal argument des indépendantistes catalans est le fait que Madrid s’oppose à un acte démocratique et ignore les demandes du peuple. Il est clair que Mariano Rajoy en se refusant à tout dialogue et en mettant en place une logique d’affrontement frontal contribue aujourd’hui à alimenter encore plus la cause indépendantiste.

Un pari déjà gagné ?

Depuis plus d’un an, la bataille menée par Artur Mas finit petit à petit par porter ses fruits. De nos jours, parler d’indépendance en Catalogne n’a plus rien de tabou, alors qu’il y a quelques années, ce débat se réduisait à quelques irréductibles. Mais il ne faut pas s’y tromper, ces revendications ne sont pas une invention du président à la barre d’une hasardeuse manœuvre politique. Si le débat indépendantiste s’est imposé, c’est bien parce que la société civile catalane s’est emparée de l’idée et est descendue en masse dans les rues, à plusieurs reprises. Depuis 2010, les manifestations réunissant à chaque fois des millions de manifestants s’enchaînent. Pour une région de 7 millions d’habitants, la mobilisation est plus que massive.

Reste que la double question du référendum ouvre de nouvelles inconnues. Avec maintenant 3 choix pour le citoyen; quel nombre de vote sera retenu pour considérer une option comme gagnante ? Le gouvernement d’Artur Mas précise qu’une option sera reconnue comme valide si celle-ci dépasse 50% des voix exprimées. Dans les consultations avec plus que deux options, atteindre 50% est très difficile. Le dernier sondage réalisé montre que 44% des Catalans sont en faveur de l’indépendantisme et voteraient oui aux deux questions. Un très bon résultat pour les séparatistes. Mais surtout, ce que révèle cette étude, c’est que 20% des Catalans n’ont encore rien décidé. Ce pourcentage très élevé invite à la prudence et prouve que l’issue du vote est clairement imprévisible.

Au fond, ce qui se passe depuis plusieurs mois, au delà d’une lutte pour l’indépendance ou pour le droit à l’expression, c’est que les Catalans réussissent petit à petit à faire accepter leur identité et leur constitution en tant que nation, à l’Espagne et au reste du monde. Cette affirmation, loin d’être anecdotique dans la conscience commune, est un pas de géant moins de 40 ans après la fin de la dictature franquiste.