Espagne : succès garanti pour la chaîne humaine en Catalogne

Laura Noëlle Ballo, à Barcelone | Traduit par Aurélie Fagot
17 Septembre 2013


Une année de plus, c’est l’heure du 11 septembre en Catalogne, un jour très particulier dans le calendrier de ses habitants qui célèbrent leur traditionnelle Diada, le Jour de la Catalogne. La matinée a été grise et pluvieuse mais le mauvais temps n’a pas arrêté les 1,6 millions de Catalans sortis dans les rues vêtus de jaune, avec pour but de former la Vía Catalana (voie catalane) afin de défendre l’autodétermination de leur province.


Crédits photo -- Laura Noëlle Ballo/Le Journal International
La chaîne humaine a réussi à parcourir la côte catalane de bout en bout, depuis la frontière franco-espagnole jusqu’à la limite avec la communauté valencienne. Au total : 89 communes dans lesquelles des centaines de milliers de familles, d’amis et de personnes âgées se sont donné la main dans l’espoir de voter lors d’un référendum prévu pour 2014. C’est l'objectif fixé par le résident catalan Artur Mas qui s’est engagé à lutter jusqu’à ce que le gouvernement espagnol accorde aux Catalans la possibilité de se prononcer sur la souveraineté de leur pays.

Le sentiment d’un peuple uni

Il est maintenant 17h14, en référence au fatidique 11 septembre 1714, date à laquelle Barcelone est tombée aux mains des troupes de Philippe V. Chacun était à sa place lorsque les cloches de la cathédrale de La Seu Vella de Lleida ont annoncé que l’heure était venue. De spectaculaires images aériennes ont offert un panorama inédit de personnes agitant fiévreusement des drapeaux catalans depuis un Paseo de Gracia noir de monde, depuis le stade du Camp Nou, et même depuis les nationales et les autoroutes. Le tout dans un seul but, celui de démontrer au monde que les Catalans sont plus unis que jamais.

Une journée festive teintée de rouge et jaune

Des icônes de la culture populaire catalane telles que les castellers (1), les sardanas (2) ou les gegants (3) ont remplis les rues de musique, de sourires et d’embrassades entre les participants issus de générations et classes sociales différentes, entourés de centaines de drapeaux. Les nombreux enfants présents à leur première manifestation ont également retenu l’attention générale, avec leur visage barrés des quatre rayures et de l’étoile bleue, symbole de l’indépendance.

Dans le même temps, une atmosphère à la fois festive et pacifique s’est installée aux alentours d’une Sagrada Familia brillant sous les premiers rayons de soleil de la soirée, un majestueux drapeau suspendu sur sa façade. C’est là que Claudia et Paula, 18 ans, nous expliquent que lorsqu’elles ont voulu s’inscrire sur Internet pour participer à la Vía, il n’y avait plus d’emplacement disponible. C’est pour cela qu’elles ont décidé de s’inscrire à la dernière minute au « tronçon 0 », qui leur a permis de figurer sur la liste des participants, se joignant ainsi virtuellement à la chaîne passant devant leur maison.

De son côté, Laia, 25 ans, a déménagé aux Terres de l’Ebre, une région au sud de la Catalogne qui a réussi à se remplir malgré la peur initiale de continuer à souffrir du manque de population. Laia est d’avis que la situation économique espagnole n’est plus viable et défend fièrement qu’ « aujourd’hui, nous avons essayé de montrer à tout le monde ce que le peuple catalan souhaite réellement ».

Organisation logistique et déploiement de sécurité

À peine quinze minutes après le début de la formation de la chaîne, un petit incident s’est produit dans la Sagrada Familia lorsqu’un drone (utilisé pour prendre des photos), qui survolait un groupe de jeunes filles, est tombé. Celles-ci ont été blessées légèrement aux bras et ont immédiatement été confiées aux services sanitaires afin de s’assurer qu’il ne s’agissait que de simples égratignures. D’autre part, des jeunes apparemment sympathisants de groupes politiques anti indépendantistes ont été interpellés, suspectés de trouble de l’ordre public.

Pendant ce temps, depuis la Plaza Catalunya, le centre névralgique de la cité condale, la Présidente de l’Assemblée Nationale de Catalogne (Asamblea Nacional de Catalunya, ANC), Carme Forcadell, a prononcé un discours dans lequel elle a revendiqué qu’ « avant des actions historiques, ce sont des décisions historiques qui sont nécessaires », faisant référence à la période préoccupante de crise vécue par les Espagnols. Et pour elle, il n’existe d’autre solution que l’indépendance de la Catalogne pour continuer à avancer. Des paroles chargées d’émotion qui ont été acclamées par les centaines de personnes présentes qui ont ensuite repris à l’unisson l’hymne catalan Els Segadors.

Crédits photo -- Laura Noëlle Ballo/Le Journal International


L’espoir est ce qui meurt en dernier

Francisco, 72 ans, insiste sur le fait que la mobilisation a été si massive que « plus qu’une chaîne, on aurait dit une marée de personnes, bien que l’important soit le sentiment exprimé ». Marta, 43 ans, approuve et se projette : « J’ai l’espoir et la foi que Rajoy [le chef du gouvernement espagnol, ndlr] finira par nous reconnaître comme un nouvel État européen ».

Un peu plus pessimiste, José, 42 ans, déplore que « le problème vient du fait que l’Espagne détourne toujours le regard et copie Barcelone, comme aujourd’hui où ils veulent que Madrid organise les Jeux Olympiques de 2020. C’est qu’ils doivent faire, c’est regarder vers le haut, vers l’Europe ». Finalement, Cristina, 54 ans, se montre ferme : « La relation avec l’Espagne est comme un mariage. Nous, nous ne voulons pas continuer à vivre avec eux, c’est pourquoi nous demandons le divorce ».

Rappelons qu’à l’heure actuelle, un sondage réalisé par la station de radio Cadena Ser prévoit que 52 % des Catalans voteraient en faveur de l’indépendance lorsd’un éventuel référendum, une option rejetée par le gouvernement espagnol, qui la considère « anticonstitutionnelle ».

La Catalogne s’adresse au monde entier

Crédits photo -- Laura Noëlle Ballo/Le Journal International
Si les opinions sont partagées, la journée s’est déroulée à l’aide d’une organisation exceptionnelle et restera dans les mémoires grâce à une action de masse s’adressant à la communauté internationale. De cette façon, en plus des centaines de citoyens qui sont descendus exprimer leur désir de liberté en Catalogne, de nombreux groupes de Catalans ont organisé leur propre chaîne humaine depuis Buenos Aires, Paris, Munich, Pékin ou Mexico, afin de manifester leur soutien à leurs compatriotes.

Au total, 200 journalistes internationaux étaient accrédités pour Barcelone, d’où les nombreux panneaux aux slogans rédigés en anglais, tels que « Hello world! I’m Catalan and I want to be free ».

(1) Pyramides humaines
(2) Danses traditionnelles catalanes 
(3) Les géants, figures emblématiques des défilés