Etats-Unis : de l'influence des lobbys sur le jeu politique

Thomas Nogris
4 Novembre 2015


En 2010, la Cour Suprême Américaine a rendu un arrêt autorisant les lobbys à participer aux campagnes électorales américaines dans les 60 jours précédents le scrutin, confortant encore plus la place des groupes d'intérêt sur la scène politique. Perspectives sur l’univers mystérieux du lobbying, à moins d'un an de l'élection présidentielle américaine.


Une réunion entre Barack Obama et le businessman Warren Buffett - Crédit Wikipedia Commons
Dans la nuit du 24 au 25 octobre, en France comme dans beaucoup d'autres pays, a eu lieu le passage à l'heure d'hiver. Aux États-Unis, le même changement aura lieu près de 4 semaines plus tard. Cette différence ne doit rien au hasard, mais à l'influence de deux lobbys, celui des fabricants de barbecues et des industriels du golf.

Cette anecdote témoigne à elle seule de l'importance du « phénomène lobby » aux États-Unis. The National Rifle Association, Sierra Club, Blue Cross Blue Shields sont des exemples de groupes de pression, ayant une influence déterminante sur la législation américaine. Dans leur ouvrage The Interest Group Society, J.M Berry, chercheur à Tufts University et C. Wilcox, de Georgetown University, recensent environ 600 lobbys « ayant un bureau de lobbying actif à Washington », sur un total de plus de 20 000 groupes d'intérêt répertoriés. Des chiffres qui ont explosé entre 1950 et 1990, leur nombre ayant quasiment quadruplé. Au total, plus de 3 milliards de dollars ont été dépensés en lobbying en 2014 par les groupes d'intérêts.

Aux origines du phénomène

Pour retracer l'histoire du lobbying et comprendre l'origine de leur influence, il faut remonter à la fin du 18ème siècle. Le 22 novembre 1787, James Madison, l'un des pères fondateurs de la Constitution, et futur quatrième Président des États Unis, publie un essai intitulé Federalist No 10 . Ce texte, qui s'inscrit dans une série d'écrits consacrés à la préparation de la future Constitution, propose un raisonnement concernant la gestion des factions, c'est-à-dire les groupes organisés par des citoyens et dont l'objectif est de représenter divers intérêts sociaux, économiques ou intellectuels.

Deux options sont exposées par Madison : interdire l'action des factions sur la politique, ou alors les autoriser et permettre aux intérêts privés d'influer sur le jeu politique. En expliquant que « la recherche de la satisfaction de l'intérêt individuel est semé dans la nature de l'homme », James Madison justifie sa décision de privilégier la seconde option. 

L'objectif est de concilier intérêts personnels des citoyens, fédéralisme et démocratie en autorisant l'action de groupes privés dont les influences se contre-balanceront et s'équilibreront pour faire naître des lois illustrant un compromis social. Cela permettrait également à la population de s'exprimer plus fréquemment que lors des élections présidentielles organisées une fois tous les 4 ans. 
L'ancien lobbyiste Jack Abramoff- Crédit Alex Wong

Une pratique largement remise en question

Malgré cette volonté initiale, la réalité révèle une surreprésentation des entreprises. Cette situation est la conséquence directe, selon Berry et Wilcox, de « l'interventionnisme croissant » du gouvernement américain dans l'économie du pays et de l'augmentation du nombre de régulations depuis les années 1960 et 1970. Les compagnies et groupes industriels, soucieux des conséquences pouvant affecter leur activité, ont intensifié leurs actions de lobbying, au détriment d'autres intérêts sociaux. Si bien que l'opinion générale concernant les lobbys s'est très largement détériorée depuis quelques décennies.

La médiatisation de certains scandales n’aide pas à redorer leur image. Pêle-mêle, les affaires Duke Cunningham, William Jefferson et Jack Abramoff ont ponctué l'actualité des années 2000. Le scandale autour de ce dernier avait été d'ailleurs largement relayé par la presse au niveau international. Condamné au milieu des années 2000 pour corruption, Jack Abramoff expliquait dans son livre récemment paru comment il achetait les voix des sénateurs.

Des universitaires américains ont cherché à mesurer le rapport entre argent et influence dans les luttes de pouvoir à Washington. Dans l’ouvrage Lobbying and Policy Change, who wins, who loses, and why, Frank Baumgartner a conduit une étude destinée à mesurer l’impact des différentes techniques de lobbying. Les résultats montrent que l'argent n'est pas forcément le critère déterminant la réussite de l'action des lobbyistes sur une problématique donnée, mais que de façon globale, ce sont les ressources financières qui déterminent la capacité d'un groupe à s'inscrire dans la durée et à organiser ses actions.

Le fait est que la réalité du lobbying reste très intimement liée aux financements. La mission principale du lobbyiste est d'amener ses préoccupations sur l'agenda politique, d'influer sur la prise de décisions, qu'elles soient au niveau exécutif, législatif, fédéral ou à l'échelle des Etats. Son influence peut aussi s'exercer afin de bloquer le processus décisionnel. Par conséquent, cette influence se fait sur le long terme, en établissant des contacts solides avec les politiques, souvent accompagnés d'avantages financiers relatifs aux campagnes électorales. 

L'influence d’un lobby n'est donc pas proportionnelle à l'importance numérique du groupe représenté, mais plutôt aux ressources propres de l'organisation. Ce phénomène, que Mancur Olson Jr nomme la logique de l'action collective, fait ressortir des lobbys particulièrement puissants et résilients. Par exemple, la National Rifle Association est extrêmement présente, et ce malgré une position minoritaire concernant la libre circulation des armes.
Barack Obama, lors d'un meeting de campagne en Caroline du Nord, en 2008 - Crédit Jim Young

L'impossible réformation du système

Dans son discours de candidature à l'élection présidentielle de 2008, Barack Obama assurait avec vigueur son intention de lutter contre la trop grande influence des lobbys. Il y affirmait que « les lobbyistes, les intérêts particuliers ont entraîné [le] gouvernement dans un jeu qu'eux seuls peuvent se permettre de jouer » et qu'il souhaitait reprendre et garder la main sur un gouvernement que les groupes d'intérêt « croient posséder » .

Cependant, l'absence de changements suite à son élection en 2008, et les liens maintenus par le Président avec certains groupes, témoignent de la difficulté à réformer ce système politique.

Il était ainsi préférable pour les gouvernements successifs d'assurer le contrôle de l'activité et d'en réguler l’exercice. Le Bipartisan Campaign Reform Act est entré en vigueur en 2002 pour contrôler l'investissement publicitaires lors des campagnes électorales. Seule une participation de type « hard money », en dons financiers limités et déclarés, était autorisée. 
 

Les adaptations qui ont suivi les régulations montrent encore une fois la puissance des lobbys. Ceux-ci optent désormais pour l'investissent par le biais d’associations sans but lucratif, dont les dons ne sont pas contrôlés. De plus, l'utilisation de « soft money » a pu reprendre suite à l'autorisation de la Cour Suprême, en 2010, d’un film concernant Hilary Clinton, par l’arrêt Citizen United vs Federal Election Commission.