États-Unis : où va Google avec le rachat de Nest Labs ?

22 Janvier 2014


La petite start-up co-fondée par les « papas » de l’iPod est la troisième plus grande acquisition du géant américain. Avec Nest, Google fait un pas de plus vers le secteur des objets connectés, et plus largement vers son objectif de rassembler et exploiter toutes les données disponibles.


Google a frappé un grand coup avec l’annonce, la semaine dernière, du rachat de la start-up Nest Labs pour 3,2 milliards de dollars (2,3 milliards d’euros). C’est la troisième plus grosse acquisition de la firme de Moutain View après les 12,5 milliards de dollars déboursés en 2012 pour le fabricant de téléphones Motorola Mobility et les 3,24 milliards de dollars de DoubleClick, une régie publicitaire basée sur un modèle d’enchères en ligne achetée en 2008.

Un marché au potentiel de plusieurs milliers de milliards de dollars

L’opération doit encore être validée par les autorités de régulation pour être effective. Elle marque une nouvelle avancée du géant américain dans le secteur prometteur de l’Internet des objets, après les très médiatisées Google Glass. Grande tendance du dernier CES de Las Vegas, salon réservé aux produits high-tech grand public, les objets connectés prennent toutes les formes : montres et bracelets, drones, brosses à dents ou raquettes de tennis… 40% des stands du salon étaient concernés tandis que le chiffre d’affaires du secteur devrait passer de 1,6 à 5 milliards de dollars cette année. Dans dix ans, les analystes de McKinsey tablent sur un marché global allant de 2700 à 6200 milliards de dollars, dont 600 à 1300 pour le seul marché américain.

Nest, créé en 2010 par deux anciens d’Apple, se distingue par son implantation dans le monde spécifique de la domotique, soit, pour faire simple, de la maison intelligente. La start-up commercialise deux produits : un thermostat  qui permet de surveiller et régler en temps réel la température de votre habitat à partir de votre smartphone ; un détecteur de fumée  qui contrôle, là aussi depuis l’un de vos écrans, le taux de monoxyde de carbone présent dans l’atmosphère. Ces appareils apprennent dans la durée les habitudes de l’utilisateur et peuvent anticiper et s’adapter en conséquence.

Google renoue ainsi avec son projet PowerMeter, un service de gestion de l’énergie domestique abandonné en 2009, faute de débouchés. En 2014, la donne semble avoir changé. Bien que le chiffre d’affaires de Nest soit un secret bien gardé, les estimations vont de 40 000 à 50 000 terminaux  vendus tous les mois, pour un prix moyen de 250 dollars.

Un investissement stratégique pour les futurs produits Google

Mais, malgré le dynamisme du secteur, l’intérêt du « moteur de recherche » ne se limite pas à assurer l’efficience énergétique et la sécurité de votre foyer.

Avec Nest, Google met la main sur une équipe qui a déjà fait ses preuves : Matt Rogers et surtout Tony Farell, en grande partie à l’origine de deux des récents succès majeurs d’Apple : l’iPod et l’iPhone. Amener dans son giron le créateur des produits qui ont permis au groupe de Cupertino de se réinventer, ainsi que l’expertise en matière de design de tous les anciens de la marque à la pomme qui l’ont suivi chez Nest, vaut bien 3,2 milliards de dollars. Une goutte d’eau par rapport aux 56,5 milliards de dollars  de cash à la disposition de l’entreprise.

Si, dans un premier temps, Nest garde son nom et son activité, avec toujours Tony Farell à sa tête, il est aisé d’imaginer une utilisation du savoir-faire de la start-up dans d’autres projets de Google : des téléphones portables sous Android, qui justifient le rachat de Motorola, aux Google Glass, en passant par les Google Car, les voitures sans pilote. Un marché où Mountain View fait office de précurseur. De plus en plus, Google jette des ponts entre le monde digital et le monde réel.

On peut ainsi penser à Google Street View du service Google Map, qui cartographie l’ensemble du globe et permet d’avoir un aperçu détaillé de l’évolution des zones photographiées dans le temps. Nul doute que ces applications trouveront une utilité accrue grâce aux Google Car. L’avant-dernière acquisition de l’entreprise concernait d’ailleurs Waze, un service de navigation GPS israélien alimenté par ses utilisateurs acheté un peu moins d’un milliard de dollars l’été dernier. On peut aussi citer Google Books, la librairie en ligne qui a pour but de scanner et rassembler l’ensemble des œuvres écrites et qui est déjà l’un des plus grands corpus textuels au monde.

La liste des acquisitions de Google est longue, et chacune enrichit l’écosystème développé par la firme, qui fait de la diversification de ses activités une priorité stratégique. Du moins, en apparence.

S’immiscer dans le monde réel, une nouvelle façon d’exploiter nos données

Dans les faits, chaque initiative a pour but d’enrichir les bases de données du moteur de recherche et de rendre ce dernier plus intelligent. En analysant les millions de documents de Google Books, les logiciels de l’entreprise sont désormais capables de décrypter les éléments textuels présents sur Google Street View. Ils pourront également, couplés à Google Traduction, déchiffrer en temps réel les indications d’une ville pour le touriste étranger doté de Google Glass…

Les possibilités sont nombreuses et comme pour les « wearable technologies », Google table avec Nest sur une implantation progressive dans le secteur de la domotique : d’abord une « application au périmètre fonctionnel étroit, conçue avec un vrai savoir-faire design et marketing, afin de créer une expérience et un lien direct avec le consommateur » comme l’explique dans Les Echos Nicolas Colin, co-fondateur de la société d’investissement The Family et auteur du rapport Colin - Collin. Puis des applications de plus en plus larges (Google pourrait par exemple ressusciter son projet de Smart TV), prenant ainsi à contre-pied les entreprises déjà présentes sur le marché mais dont les solutions complexes et globales effraient les clients potentiels.

À partir de Nest, Google pourrait être aux objets connectés ce qu’il a déjà réussi à être dans le monde numérique dont il concentre les principaux services : moteur de recherche, plateforme vidéo avec YouTube, messagerie avec Gmail, téléphonie avec Android, GPS et cartographie sur Google Map, le tout rassemblé et interconnecté au travers de votre profil Google + . Car il est fort probable que, sans être adepte de ce réseau social, vous en possédez un.

Il suffit d’imaginer la reproduction du modèle Android, qui équipe aujourd’hui près de 80% des smartphones, pour le secteur de la domotique ou des wearable technologies : en laissant des constructeurs partenaires utiliser ses propres technologies, la firme en assure la diffusion massive et l’accès à de nombreuses données. C’est la base de son modèle économique, Google tirant ses revenus de la publicité et de l’utilisation et la valorisation de ces données auprès des annonceurs. «  Google tente de changer le monde avec ses terminaux et ses services mobiles. On l’a aussi vu annoncer récemment une alliance pour développer Android dans les voitures. La maison est donc une étape très importante pour eux », déclarait ainsi Tony Farell au Wall Street Journal.

Outre le trafic, l’acquisition de YouTube pour 1,65 milliard de dollars, première action d’envergure de Google en 2006, devait déjà permettre d’augmenter le total de données exploitables. La deuxième opération, le rachat de DoubleClick, offrait la possibilité de mieux les monétiser.

Maintenant capable de suivre les moindres mouvements de votre double en ligne, l’entreprise de Larry Page et Sergey Brin cherche à repousser les limites du monde virtuel : avec son projet de ballon dirigeable pouvant apporter une connexion WiFi n’importe où dans le monde, elle cherche à accroître le nombre d’utilisateurs potentiels. C’est la même logique qui pousse la firme à pénétrer le monde réel grâce à son apparente « diversification » et ainsi collecter de plus en plus de données.

L’explosion annoncée des objets connectés, favorisée par la tendance du « Quantified self » qui consiste à utiliser une batterie de capteurs pour se mesurer (de votre pouls à vos déplacements, vos activités ou vos fréquentations) constitue une formidable perspective pour Google  si la firme parvient à imposer un système d’exploitation commun.

Bien sûr, ce dernier jouera la carte de la transparence quant à l’utilisation de nos données privées. Mais il y a tout à parier que, à l’image de ce qu’il a fait en ligne, Google saura proposer des services innovants qui inciteront les utilisateurs à partager le plus de données possible.



Étudiant en journalisme économique au magistère JCO (Aix-Marseille Université), je suis aussi… En savoir plus sur cet auteur