Être étudiant en Turquie (2/2)

Jean-Baptiste Roncari
23 Janvier 2016


A la suite de l'attentat perpétré par un fanatique de Daech le 12 janvier 2016 à Istanbul, le Journal International a voulu en savoir plus sur la Turquie, et en particulier sur son système éducatif. Pour ce faire, nous avons choisi d’interviewer Çağrı Bozkurt, étudiant turc en relations internationales ayant effectué un Erasmus en République Tchèque l’année dernière. Rencontre.


Crédit Karadeniz Teknik Üniversitesi
Le Journal International : Depuis 2012, le gouvernement Erdogan est critiqué par une large frange d’étudiants et professeurs, qui voit dans les réformes de l’éducation une attaque envers la laïcité. Comment perçois-tu ces réformes ?

ÇB : En réalité, cela ne concerne pas une grande partie d’entre eux. Il s’agit en général de professeurs et d’étudiants qui sont toujours contre les réformes du Parti de la justice et du développement (AKP). J’ai du mal à comprendre ce genre de personnes. En fait, lorsque je lis quelque chose ou effectue une recherche à leur propos, j’ai l’impression qu’ils ne protestent que pour être contre le gouvernement. Je ne dis pas qu’ils ont complètement tort, je suis parfois d’accord avec leurs pensées et leur opposition à certaines mesures gouvernementales.

Les réformes du gouvernement Erdogan sont, entre autres, la réorganisation de l’école avec 12 ans d'enseignement obligatoire (4 ans au premier cycle, 4 ans au second cycle et 4 ans au troisième cycle), la réouverture des collèges Imam-Hatip, l’obligation d’être scolarisé à 66 mois (5 ans et demi), l’ajout de nouvelles options que l’on peut choisir librement, telles que « La vie du Prophète Mohamed », étude sur le « Coran », « langues vivantes », et « dialectes »… Ainsi, ces choix vont dans le sens d’une évolution démocratique pour l’éducation. Pour moi, la réouverture des collèges Imam-Hatip est une bonne chose. Ces écoles ne sont pas obligatoires, personne ne peut être forcé à y aller. Mais les jeunes qui préfèrent aller dans ces collèges se définissent en général comme conservateurs. C’est leur premier droit pour moi. On est libre d’y aller ou non. Personne ne met de limite à ce droit : « le droit de s’exprimer, le droit de vivre pour soi librement ».

Ces écoles sont sous le contrôle de l’État qui souhaite ainsi éviter au mieux les risques de radicalisation.

JI : Parlons à présent de la récente attaque terroriste qui a touché un quartier touristique d’Istanbul, non loin de la Mosquée bleue (Sultanahmet Camii). La menace terroriste était-elle présente dans l’inconscient collectif ?

ÇB : Avant l’attaque, il y avait quelques annonces venant de la police et des services de sécurité. Sur leurs sites, ils recommandaient d’être plus attentif dans les lieux fréquentés, de ne pas y aller si cela n’était pas nécessaire. Après l’attaque, nos médias et politiciens en ont beaucoup parlé, surtout sur le fait que des touristes aient été touchés. L’Allemagne a coopéré avec la Turquie pour enquêter sur l’attaque, des officiels sont venus. Cela montre au monde que nous devons coopérer pour détruire cette menace terroriste.

Il est possible que cela recommence, ce qui dissuade les gens d’aller sur les endroits à risque en particulier. Je suis en ce moment à Ankara, dans la capitale, et j’ai un peu peur d’aller dans les lieux fréquentés. Nous avons conscience de la situation, mais nous continuons à vivre en espérant que cela ne recommence jamais.

Caricature de l'artiste palestinien Ala El-Lakata suite à l’attentat survenu à Istanbul le 12 janvier dernier.
JI : Pour en revenir à ta vie étudiante en Turquie, tu es dans une école internationale qui accueille de nombreux étudiants étrangers. Parlez-vous de la menace terroriste en classe ou entre étudiants ? 

ÇB : Oui, nous discutons de la menace terroriste en classe, entre étudiants et professeurs. Nous sommes en vacances en ce moment, donc nous n’avons pas encore eu l’occasion de parler de l’attaque d’Istanbul. Cependant, nous avions parlé de l’attaque de Paris lorsque cela s’est produit. Nous nous étions demandés quelle organisation terroriste avait pu faire cela, quel était leur objectif, quelles pouvaient être les conséquences de cette attaque, dans quelle mesure la France et les Français ont été touchés, et bien sûr, comment nous pourrions mettre fin à ces choses – en coopérant contre le terrorisme par exemple.

JI : À ce propos, depuis que l'État islamique menace la France, un nouveau mot est apparu dans le discours politico-médiatique français : le mot « radicalisation ». Avez-vous déjà été sensibilisés sur les risques de radicalisation ? Le mot « radicalisation » fait-il lui aussi partie de votre discours politico-médiatique ?

ÇB : Ce mot fait partie de nos discours médiatiques et politiques, surtout après les attaques terroristes comme à Istanbul, Paris… Nous sommes sensibilisés sur les risques de radicalisation à travers les médias, sur internet surtout. Par exemple, ils relaient des histoires sur les gens qui ont rejoint l’État islamique pour le djihad, soulignent ce qu’il leur arrive – des mauvaises choses comme vous pouvez l’imaginer et mettent en avant leurs regrets.

JI : Débattez-vous de la notion de laïcité en classe ?

ÇB : On parle de la définition de laïcité au collège, mais nous n’en débattons pas tant que cela. C’est plutôt débattu sur internet, dans les médias, à la télévision par les politiciens, les professeurs, les journalistes…

JI : Tu as prévu d’aller à Istanbul pendant les prochaines vacances, pour une quinzaine de jours. Quel est ton état d’esprit après l’attaque terroriste survenue dans la ville, le 12 janvier dernier ?

Je n’ai pas peur d’aller là-bas. J’y vais souvent et ce sera comme toujours. Le terrorisme se nourrit de la peur. Je ne leur donnerai jamais cette chance. Mais, en même temps, je serai plus attentif. Si je veux visiter certains lieux en particulier, je ne vais pas y aller aux heures de pointe, et je prêterai l’oreille aux annonces faites par la police au vu de la situation.




JI : Merci beaucoup Çağrı Bozkurt, nous te souhaitons une bonne continuation !