Fin (in)attendue du gouvernement tchèque

17 Juin 2013


Durant la nuit du 12 au 13 juin, la police fait irruption dans l'Office du gouvernement. Quelques dizaines d'heures plus tard, le Premier ministre annonce sa démission. La République Tchèque perd le gouvernement qui présentait jusqu’alors la plus grande majorité au Parlement jamais acquise. Entre affaires de corruption et de mœurs, sa longévité a été mise à mal.


Crédits photo — Viktor Chlad, Lidové noviny
« Je tiens à souligner que je suis conscient de ma responsabilité politique et j'en tire les conséquences. Dans le même temps, je veux faire le meilleur pour le Parti démocrate civique (ODS - conservateurs) et pour notre pays. Par conséquent, je présente ma démission de mon mandat de Premier ministre.» Par ces mots, prononcés dimanche aux alentours de 22h25, Petr Necas a officiellement mis un terme à sa carrière politique. Il quitte le gouvernement et aussi le fauteuil présidentiel de son parti. La pression publique et politique a été trop grande. Le scandale autour de la possible privatisation des services de renseignements a été fatal pour lui et pour son gouvernement de centre-droit.

Jeudi matin, 400 policiers du Département de lutte contre le crime organisé ont pénétré dans les bureaux gouvernementaux et dans quelques appartements privés. Sept personnes ont été interpelées. Parmi elles, d'anciens députés, des chefs du renseignement militaire et surtout la directrice du Bureau du Premier ministre, Jana Nagyova. La police a également saisi dans plusieurs autres bâtiments de Prague et alentours, des documents importants, mais également environ 150 millions couronnes tchèques (NDLR : soit 5,7 millions d’euros) et quelques dizaines de kilogrammes d’or dont la provenance n’a pas encore été déterminée. Résultat, 7 personnes mises en détention et l’éclatement d’un scandale politique sans précédent.

À cause de cette opération, la République tchèque est plongée dans une crise politique sans précédent. La police a révélé trois grandes affaires liées au bureau du Premier ministre Necas, mais surtout à la Directrice du bureau, Jana Nagyova. L'affaire principale n'est pas encore résolue. Selon la police, le Bureau entretenait des contacts avec les entrepreneurs pragois. Grâce à cette liaison, ces entrepreneurs et lobbyistes auraient influencé la politique de Necas et ainsi remporté des contrats publics. Toute la lumière n’a pas encore été faite sur cette partie de l'investigation et la police a annoncé qu'il y aurait peut-être d'autres arrestations.

Le deuxième scandale est lié aux ex-députés conservateurs. À la fin de l'année dernière, ils ont refusé de voter la loi sur l’augmentation de la TVA. Selon les investigateurs, les députés ont démissionné de leurs postes parlementaires pour que la loi puisse passer et pour que le gouvernement ne tombe pas. Pour les « gratifier », le parti ODS les aurait placés au conseil des entreprises publiques, comme le principal transporteur ferroviaire Ceske Drahy ou la société de transports aériens Cesky aeroholding.

La troisième affaire est peut-être la plus grave. La police a, pendant plusieurs mois, surveillé les communications de Jana Nagyova, la plus proche collaboratrice du Premier ministre Necas. Selon les investigateurs, Nagyova aurait commandité l’espionnage et la surveillance militaire de la femme du Premier ministre. En d’autres termes, les services de renseignements tchèques ont été utilisés pour des raisons privées. Cette affaire de mœurs est un torchon brûlant et constitue, selon les journalistes locaux, le plus grand abus des structures militaires dans l'histoire de la République tchèque.

Nouveau Premier ministre ou élections anticipées ?

La question est maintenant de savoir quelles seront les conséquences de ces affaires. Le gouvernement est tombé, mais les partis de droite veulent maintenir la coalition, proposant de remplacer uniquement le Premier ministre et d’amener à leur terme les dossiers en cours. L’opposition, quant à elle, rejette la responsabilité de ces affaires sur toute la coalition de droite au pouvoir et réclame la tenue de nouvelles élections.

Désormais, les clés pour résoudre cette situation sont en possession du président Milos Zeman. Idéologiquement, il se veut président de gauche, donc opposé au gouvernement actuel. Il est par ailleurs le premier président tchèque élu au suffrage universel direct. Sa légitimité en est donc renforcée. À côté de cela, au cours des derniers mois, on a vu que le président a déjà plusieurs fois fait montre de son pouvoir et, selon certains juristes, il a même dépassé les prérogatives que lui confère la constitution.

Il est nécessaire de rappeler que le système tchèque est un système parlementaire - donc le Président ne possède qu’un pouvoir symbolique et ne devrait pas interférer avec la politique du gouvernement. Mais comme Milos Zeman a souvent critiqué le gouvernement en place, il n’est pas à exclure qu’il puisse se considérer lui-même comme sauveur de la politique tchèque. Par ailleurs, au cours de cette crise, il est resté remarquablement silencieux. Sa décision pourrait être une véritable surprise. Une chose est certaine : il est impossible qu’il procède à la dissolution du Parlement. La constitution tchèque ne lui accorde pas tel pouvoir. 

La situation actuelle est chaotique. Petr Necas devrait officiellement démissionner cet après-midi. Pour la suite des évènements, toute la République tchèque s’en remettra à la décision de Milos Zeman. La fin de ce gouvernement conservateur est tout de même empreinte d’ironie. Lors de son intronisation, le gouvernement avait solennellement proclamé qu’il en finirait avec les pratiques de corruption et de clientélisme. Il avait également annoncé qu’il ne ferait pas pression sur les structures policières et judiciaires. Selon les observateurs, c’est peut-être cette liberté nouvelle des structures policières qui ont entraîné la chute du gouvernement. Par le passé, elles avaient les mains liées et aucune investigation n’était menée dans les plus hautes sphères politiques.

Bien qu’à ce jour cela ait pour conséquence de plonger le pays dans la crise, peut-être que la perspective d’avoir une police et une justice indépendantes s’avèrera, à terme, être un legs du gouvernement Necas à la nouvelle société tchèque.



Correspondant à Prague pour Le Journal International. En savoir plus sur cet auteur