Furyo, David Bowie en prisonnier de guerre au Japon

Festival Lumière 2013, viva le cinema

18 Octobre 2013


Le Festival Lumière met un point d'honneur chaque année à présenter, lors de séances spéciales, de grands films dans leur version restaurée. Parmi le cru, cette année, Furyo, de Nagisa Oshima, vient fêter ses 30 ans avec une copie neuve.


Photo extraite du film
Tradition oblige, qui dit projection spéciale, dit personnalité venue présenter la séance. Sous la houlette de l'omniprésent Thierry Frémaux, Furyo se vit donc mis à l'honneur par son producteur britannique Jeremy Thomas.

LES MOTS ET LA FIETÉ D'UN PRODUcTEUR

Jeremy Thomas nous raconta le bonheur qu'il a eu de collaborer avec un des plus grand cinéaste japonais, Nagisa Oshima, à la suite d'une soirée cannoise à base de kimono et de whisky. Il revint sur l’excitation de voir exploser à l’écran des talents purs à l’image de David Bowie qui tient dans le film son plus beau rôle à ce jour, à la place d'un Robert Redford indisponible à ce moment là. On retient aussi Furyo pour la première interprétation au cinéma de Takeshi Kitano qui montre déjà un véritable don pour le jeu. Et, c'est sans parler du saisissant Ryūichi Sakamoto dans son seul rôle d'acteur. Il devint un grand compositeur de musiques de films, signant ici au passage une première bande son inoubliable.

Jeremy Thomas évoqua enfin sa fierté d'avoir produit une œuvre aussi subversive, qu'il décrit comme un « anti Pont de la Rivière Kwaï ». Furyo contient tous les aspects d'un film de guerre, mais développant des sujets autrement plus subtils et ambiguës, comme par exemple, l'amour naissant entre deux soldats. En japonais, son titre signifie « prisonniers de guerre ». C'est donc en toute logique que l'intrigue se situe dans un camp de détention, en plein cœur du conflit du Pacifique Sud de la seconde guerre mondiale. Les prisonniers sont anglais, les geôliers japonais. Le récit se concentre sur la tourmente dans laquelle va être plongé le capitaine du camp, Yonoi (Ryūichi Sakamoto), face à l'attirance irrépressible que lui procure la présence de Jack Celliers (David Bowie), un nouveau détenu. Ce tourment va vite tourner à la folie dominatrice, sous l'œil neutre de John Lawrence (Tom Conti), prisonnier parlant le japonais et adepte de la culture nippone, ainsi que sous le regard de Gengo Hara (Takeshi Kitano), second du capitaine.

SIMPLEMENT SUBVERSIF ?

Subversif, Furyo l'est à plus d'un titre. Le constat d'un japonais décriant la cruauté de son armée dans les camps de prisonniers de guerre n'a sûrement pas du être du goût d'une partie de la population nippone. Au cours de son impressionnante carrière, Nagisa Oshima s'est taillé l'image d'un réalisateur sulfureux, cherchant toujours à secouer ses compatriotes en étudiant les rapports entre pouvoir, sexe et argent.

Furyo n'échappe pas à la règle en traitant l'homosexualité présente au sein des corps armés, un thème que l'artiste ré-abordera souvent, jusque dans de son dernier film, Tabou, où le sujet est déplacé chez les samouraïs. La sexualité traverse l’ensemble de son œuvre, son film le plus emblématique n'étant autre que l'Empire des Sens. Et pourtant, comme dans bien de ses réalisations, le sexe n'est qu'un prétexte au développement d'autres thèmes.

Pour Oshima, l’homosexualité semble déjà symboliser la fascination réciproque entre les cultures européenne et nippone, entre amour et répulsion. Par ce biais, en reliant deux civilisations ennemies et radicalement opposées, le film se pose ainsi la question de l'attirance. Non pas celle pouvant exister entre deux êtres en particulier, mais une attirance universelle faisant fit de tout. C'est sûrement pour décrire l'histoire de cette irrépressible attraction qu' Oshima a choisi le milieu de la guerre entre anglais et japonais. Outre la question de la différence culturelle, il peut ainsi placer cet amour total et inexplicable face à des contraintes telles que la hiérarchie, les combats ou les rapports de domination. Il faut voir Yonoi perdre tous ces moyens face à un Celliers incapable de respecter l'humilité induite par sa position de prisonnier de guerre. On peut imaginer que le thème gay du film n'était même pas une fin en soi, mais s'est imposé dans l'intrigue d'un univers masculin.

DEUX PERSONNAGES EN OPPOSITION

Tout au long du film, Oshima ne semble pas vouloir poser de jugement sur son récit. Pourtant le traitement qu'il réserve à ses deux personnages principaux nous indique de manière subtile ses convictions.

Dans son écriture, et delà de sa nationalité, le personnage de Yonoi incarne le Japon dans toutes ses contradictions. A travers lui, le réalisateur s'amuse, par exemple, à évoquer le théâtre No, où tous les acteurs sont des hommes et où certains d'entre eux sont grimés pour jouer des femmes. Au milieu de tous ces personnages masculins, Yonoi incarne l'ambivalence de cet art, étant à la fois un personnage se voulant exagérément viril du fait de sa frustration, mais toujours maquillé à la manière d'un rôle féminin. En évoquant ce classique de sa propre culture, Oshima se moque un tant soi peu de ses compatriotes du fait de la contradiction présente entre ce genre théâtral et le tabou profond de sa propre société sur l'homosexualité. Il va même plus loin en concentrant autour de ce Yonoi poudré tous les aspects représentatifs des samouraïs, censé être un modèle de virilité chez lui.

En face, Celliers, lui, parait incarner ce à quoi l'artiste aspire. Mû par une volonté d'amendement du passé, Cellier évolue dans une logique d'acceptation pure de l'autre et de ses sentiments, mais sans vouloir faire forcement preuve de compréhension. Il incarne le sentiment d'un cinéaste prônant l'amour universel sur les considérations culturelles de chacun. C'est cet amour qui désarmera littéralement Yonoi dans une des scènes emblématique du film, celle du baiser. Même au moment de sa mise à mort, alors qu'il fait face à une autre universalité à laquelle personne n’échappe, il accepte le fait, sans manifester de résistance. En incarnant ce devant quoi aucun d'entre nous ne peut échapper, à savoir l'amour et la mort, le personnage de Bowie se fait le porte-parole de sentiments universels qu'Oshima cache avec pudeur derrière sa provocation permanente.