Hongrie : la loi anti-SDF de Viktor Orbán

Manuel Blanc, correspondant à Budapest
19 Octobre 2013


Le lundi 30 septembre 2013, à l'orée de l'hiver le plus froid depuis un siècle, la Hongrie a adopté une loi permettant aux autorités de chasser les sans-logis de certains endroits et de détruire leurs abris, exposant ceux qui se risqueraient à la transgresser à des amendes, des travaux d'intérêts publics, voire des peines de prison. Une loi qui inquiète en Europe.


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Le texte figurait depuis longtemps en haut de l'agenda législatif hongrois. Déjà en 2012, la Cour Constitutionnelle l'avait déclaré non-conforme. Cette année, grâce à sa majorité écrasante sur le Parlement, le Fidesz a pu modifier la Constitution, laissant libre champ à la mise en application de la loi.

Une énième provocation de Viktor Orbán

Fort de son poids électoral, soutenu par une partie de l'opinion, et toujours habile pour mettre à profit les tensions sociales émergeant de la crise économique qui frappe le pays, Viktor Orbán se dresse encore une fois contre les ONG et l'Union Européenne. Les rappels à l'ordre et autres condamnations verbales n'entament pas, pour l'heure, sa détermination. Ce n'est pas la première fois que l'UE réagit, sommant le dirigeant hongrois de respecter l'état de droit. Les condamnations européennes étaient à leur apogée au moment de la révision de la Constitution, mais jamais Orban n'a fait marche arrière, profitant au contraire des rappels à l'ordre pour dénoncer une tyrannie de Bruxelles.

Le calendrier n'est pas non-plus anodin, puisque l'entrée en vigueur des mesures anti-SDF correspondent à deux échéances électorales majeures. D'abord, les élections législatives hongroises se profilent, et sont prévues pour avril 2014. Pendant que le parti socialiste tergiverse, la faction de Viktor Orbán incarne la stabilité dans le pays, puisque ce dernier vient d'être réélu à l'unanimité à la présidence du Fidesz. Il a dans la foulée lancé sa campagne, se montrant motivé à libérer le peuple de « l'esclavage » des multinationales, des banques, et de l'Union européenne. Justement, la deuxième échéance électorale majeure avec laquelle concorde la loi est belle et bien la tenue des élections européennes, l'année prochaine. En plus de la loi contre les sans-abris, contraire aux idéaux européens, Bruxelles se soucie donc, à plus long terme, d'une traduction dans les urnes de cette montée de l'euroscepticisme radical.

Une loi en cache-misère

La position officielle du gouvernement veut que cette loi profite à tous, y compris aux SDF, car accompagnée d'une augmentation du nombre de places en foyer. Cependant, ces lieux d’accueil sont le plus souvent insalubres, surchargés, et parfois même dangereux. L'augmentation des crédits qui leurs sont alloués ne sera pas suffisante pour accueillir dans des conditions décentes les personnes chassées des rues. Il est alors compréhensible que les sans-logis soient nombreux à ne pas désirer être hébergés dans ces lieux, et certains justifient même leur refus par une volonté de rester digne, révélatrice des conditions de vie en foyer.

Étant donnée la situation, cette loi agira donc plutôt comme un artifice, et elle servira à masquer la pauvreté, en déplaçant ses victimes dans des zones à l'écart des regards du plus grand nombre, et notamment des touristes, qui sont nombreux à venir profiter des trésors dont regorge, par ailleurs, la Hongrie. Dans les faits, les lieux desquels seront chassées les SDF seront évidemment les endroits les plus touristiques de la capitale hongroise. Le pays a vu depuis quelques années, une augmentation de la fréquentation des touristes. Beaucoup d'entre-eux se montrent souvent choqués des images que l'ont peut voir en se promenant, à n'importe quelle heure du jour ou du soir, dans les rues de la capitale hongroise.

En plus des abris de fortune qui pullulent dans les stations de métro ou sous les porches des grands bâtiments, et d'où les SDF se font déjà chasser par la police, il est extrêmement fréquent de croiser des gens, de tous âges et de toutes origines, cherchant à manger dans les poubelles, ou en quête de quelques forints, la monnaie locale. D'aucuns diront que de telles images sont perceptibles dans l'hexagone, mais l'ampleur est autrement plus important en Hongrie, où les stigmates de la pauvreté sont omniprésents, et alertent tous les sens du passant. Ce sont donc plutôt les signes extérieurs, et non la pauvreté en elle-même, que vise à éradiquer cette loi, afin de ne pas heurter la sensibilité des passants, et de pouvoir compter sur un bouche-à-oreille favorable.