Inde du Sud, grève anti-corruption des étudiants de Pondichéry

SocialVigil
28 Juillet 2015


Lundi 27 juillet 2015 marque le début d’un mouvement de grève des étudiants de l’université de Pondichéry contre la corruption de la vice-chancelière, Chandra Krishnamurthy. L’Inde révèle sa conscience citoyenne face aux enjeux politiques et sociaux.


Crédit : Lala
Pendant le weekend, des rumeurs courent dans la ville de Pondichéry à propos d'un mouvement de grève qui aurait lieu le lundi 27 juillet, à l’université de la ville. La nouvelle ayant assez peu de crédit, comment ce campus immense - où les frais d’inscription limitent l’entrée - en viendrait à critiquer l’ordre social ? Ce lundi matin à 8h40, l’Inde se révèle : les étudiants sont assis devant les quatre portes de l’université, ne laissant passer ni les employés, ni les policiers. 

À l'origine du mécontentement

La revendication est simple : les étudiants demandent le départ immédiat de la vice-chancelière de l’université, numéro 1 de l’institution. Le discours des insurgés est rodé, les arguments fusent de toutes parts pour expliquer les raisons de cette grève. Des soupçons de corruption financière sont soulevés. Alors que l’université avait réussi à débloquer les fonds pour construire une résidence étudiante de 2 000 places, la construction n’a jamais vu le jour et le financement a été redistribué dans d’obscures conditions. 

Quelques jours auparavant, un professeur de l’université racontait qu’il y a quelques années, les transports au sein du campus étaient assurés par des milliers de vélos prêtés aux étudiants et par des voitures électriques. Aujourd’hui, plus aucune trace de cette mobilité dite douce. Les dépenses de la vice-chancelière sont aussi dénoncées : cinq millions de roupies pour la rénovation de sa résidence (soit plus de 70 000 €), passage d’une à trois voitures de fonction et des frais extravagants de déplacements et de téléphonie. 

Au-delà des dérives financières, la mauvaise gestion est mise en avant par les grévistes. Les bâtiments construits ne sont pas ouverts aux étudiants, les délais pour obtenir les diplômes atteignent un an, la privatisation des examens coûte plus cher que l’habituel partiel sur table, et même le harcèlement des étudiantes par des personnes ivres sur le campus n’est pas pris au sérieux par l’administration.

Crédit : SocialVigil
Le bien-être des étudiants n’est pas le souci de la direction. Les résidences étudiantes ne peuvent accueillir que 40 % des nouveaux arrivants, et encore dans de rudes conditions puisque quatre élèves sont affectés à des chambres prévues pour deux. Certaines de ces résidences n’ont plus de fontaine d’eau filtrée, ce qui souligne l’absence d’eau potable en Inde. Concernant tous les étudiants, les frais de scolarité ont augmenté fortement tandis que depuis deux ans, aucun financement n’a été dédié à l’achat d’ouvrages. 

Aswin, un étudiant contraint de se cacher le visage par peur de représailles de la police ou de l’administration, parle des fraudes scientifiques commises par la vice-chancelière. Preuves écrites à l’appui, plusieurs de ses diplômes sont issus d’une université du Sri Lanka qui n’existe simplement pas. Sur les trois livres qu’elle prétend avoir publiés, deux sont de pures inventions, le ratio est le même concernant les articles scientifiques. On pourrait continuer avec les faux encadrements de thèse : neuf dans son curriculum vitae, deux en réalité, et il en va de même pour les projets universitaires.

Sans doute plus grave, le tract détaillé des étudiants parle de violation des droits de l’Homme et de barbarisme. Un élève insulté et torturé, et de nombreux autres muselés ou expulsés, s’ils ont osé parler. Une gréviste, qui préfère rester anonyme et donne le pseudonyme de Sn, raconte que deux filles subissaient des menaces sexuelles de la part d’un homme. Quand elles ont rencontré la vice-chancelière, celle-ci a suspendu les jeunes filles au lieu de les protéger. 

Inertie politique

Les accusations sont de taille et on pourrait légitimement douter de leur véracité, même si les documents imprimés par les étudiants semblent sérieux. Le tract de deux feuilles est extrêmement détaillé et étaye chacun des chefs d’accusation. Il y a aussi un livret plastifié où le CV de la vice-chancelière est démonté point par point, pour prouver les fraudes avec une copie des documents originaux. Pour Namy, une étudiante gréviste, le début de la prise de conscience date d’il y a deux ans, et depuis huit mois l’organisation de contestations est en place : des courriers ont été envoyés au gouvernement de l’Union indienne, responsable de l’université. 

Comment les étudiants ont-ils accès à autant de données ? La réponse est simple : nombre de professeurs de l’université ont expérimenté eux-mêmes la gestion de l’université par Chandra Krishnamurthy, et font partie du mouvement de grève, au moins tacitement. Ce lundi matin, quand les policiers ont menacé d’arrêter des élèves, on voit le secrétaire général de l’Association des professeurs de l’université de Pondichéry - la PUTA, Pondicherry University Teachers’ Association - s’interposer puis prendre la parole en ces termes : « si la police arrête quelqu’un, je serai le premier. » L’ovation est énorme, scellant l’alliance dans la lutte des professeurs et des élèves.  

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La situation est à peine croyable. Les preuves sont accablantes. On soupçonne la vice-chancelière, qui n’a presque jamais enseigné, d’avoir obtenu ce poste car elle connaissait une personne haut placée au gouvernement. Les rumeurs parlent du ministre de l’Intérieur. Au-delà de ce parachutage, la gestion de l’université est alarmante, les transferts financiers douteux, et le bien-être et la sécurité des étudiants sont menacés. Dans cette configuration, la logique serait que cette personne démissionne. Le problème est qu'elle demeure fidèle au poste depuis deux ans, et que la situation empire. L’université de Pondichéry, qui se classait dans le top ten des universités indiennes en 2013, est passée 61e en 2015. Face à l’inertie des politiciens, la seule réponse pour ceux qui tiennent à cette université, ceux qui aiment enseigner ou apprendre, qui ont une certaine idée de l’éducation, c'est la grève.

Une grève pacifique et courageuse

L’université indienne n’est pas l’université française. L’inscription coûte cher, comparé au revenu moyen du pays, et selon l’UNESCO en 2002, seulement 1 enfant sur 10 atteignait les études supérieures. Le respect porté envers les professeurs est immense, comme le montre le fait qu’à chaque entrée et sortie de l’enseignant de la salle de classe, l’ensemble des élèves se lève. On est loin des amphithéâtres distraits où les étudiants arrivent après le début du cours. 

Dans ce contexte, des centaines d’étudiants restent assis pour bloquer les portes de l’université, malgré la pression des policiers et les risques académiques encourus. Les slogans « nous voulons la justice » en anglais, ou « dans chaque ruelle de la ville, on entend dire que notre vice-chancelière est une voleuse » traduits de l’hindi, sont des chants de motivation pour la résistance pacifique. Le campus rassemble des étudiants indiens et internationaux, permettant une émulation culturelle. Alors que Pondichéry se trouve dans la région linguistique tamoule, le slogan hindi représente l’Inde du Nord et l’anglais unifie l’insurrection. 

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Plusieurs fois durant cette matinée, la tension est montée. Des policiers ont tapé de leur matraque en bois sur des étudiants assis. Ils n’ont pas cédé à la violence face aux coups, aux menaces et aux remontrances morales des policiers. Un seul slogan en guise de réponse : « Police, aide-nous ». Il y a aussi les nombreux employés de l’université : pour certains, des gens très pauvres. Une partie d’entre eux tenait à rentrer. Un homme criait « c’est ma place » en faisant signe à l’assemblée que son travail à l’université permet de nourrir sa famille. Certains de ces travailleurs, équipés de motos, ont essayé de rouler sur la foule assise des étudiants. Là encore, les insurgés n’ont pas cédé. Ils sont courageux et déterminés à rester pacifiques. 

Dans la patrie de Mahatma Gandhi, chef de file de la non-violence, il est difficile de comprendre ces personnes dotées d’engins motorisés, qui pensent que la cause est écrasable. Défendent-ils le bilan de la vice-chancelière ? Ou simplement veulent-ils que leur façon routinière d’aller au travail ne soit pas perturbée, y compris par des questions éthiques ? Dans tous les cas, c’est l’image de la place Tian'anmen qui vient en tête, quand les motards font rugir leurs mécaniques fumantes face aux étudiants assis, inamovibles et courageux. 

L’absurdité de la gestion de l’université appellerait par bon sens à changer d’équipe dirigeante, vice-chancelière en tête. Pourtant cela n’est pas évident, et le poids de l’autorité policière et administrative peut anéantir à tout moment cette juste revendication. Comment quelques centaines d’étudiants et de professeurs pourraient-ils tenir tête à un État corrompu et têtu, doté de matraques ? Un des moyens pour que la justice revienne est la prise de conscience citoyenne à travers les médias, et le rejet par chacun d’entre nous de la corruption.