Inde : la politique de l'écran total

2 Avril 2013


Retour sur un phénomène de société de plus en plus présent au pays de Gandhi, où la couleur de peau devient la représentation des différentes castes, et où les plus colorés luttent pour la clarté. Rencontres et confessions, entre deux soins du visage.


La youtubeuse "Jessica Kardashian" faisant l'apologie des produits Fair and Lovely
« Je me couvre toujours le visage durant cette saison, c’est mieux pour ma peau… » explique Djodhy dont on croirait qu’il prend immensément soin de lui, notion attribuée généralement à la gente féminine. « Ah non, pas du tout ! C’est juste que si je reste quelques temps au soleil ou si je vais me baigner, je vais bronzer et je vais devenir noir… ». Ah ? Noir en tant qu’Indien, il l’est déjà. Mais ne nous fâchons pas et écoutons les témoignages de ces personnages du continent asiatique complexant sur la variante que peut prendre leur teint chocolat : « Je ne suis pas black, je suis marron, j’ai même été à une époque plutôt clair mais depuis que je vis dans le Tamil Nadu et que je nage de temps à autre, j’ai malheureusement bruni. Ma famille me le fait constamment remarquer. Vous savez quand on vient d’une haute caste, ressembler à un Dalit peut être très mal vu. » se défend Shiva. « La dernière fois, ma famille est devenue quelque peu pénible. Voir ma peau si claire et pure auparavant endosser une couleur bien plus foncée leur a fait un vrai choc. Mes parents m’ont acheté un kit « Fair and Lovely » et des soins du visage à faire pendant un mois avant d’ajouter « surtout, que cela ne t’arrive plus ! Une fille respectable ne devrait jamais ressembler à une intouchable, c’est une honte » ajoute Anush.

Jusqu’ici, on peut déjà noter que quelques chose ne tourne pas rond dans la société indienne. La plus grande démocratie du monde se rapprochant de la communauté la plus diverse serait-elle aussi la plus raciste ? Probablement. Les publicités imprègnent l’idée de la pureté selon la clarté de la peau. Une variété de petits clips circulent ainsi sur internet et sont aussi souvent diffusés à la télévision en hindi, ou en anglais, donnant déjà le ton : une Indienne au tein doré ne pourra pas prétendre à une place dans un avion à la dernière minute, contrairement à celle qui utilisera la crème « miracle » pour réduire les pigments foncés de sa peau, car elle ressemblera alors à quelqu’un de « respectable ». On aurait pu croire à une blague, mais vue la réaction de divers Indiens à l’apparition des rayons de soleil, on constate que « to be fair » est l’une de leurs préoccupations quotidiennes. « Le seul obstacle pour obtenir l’emploi de mes rêves ? C’était ma peau ! », tel est le slogan de la marque indienne, inventant le racisme mis en bouteille. Ciblant particulièrement les femmes, la publicité insinue également que les femmes ne pourront jamais obtenir un emploi grâce à leur capacité intellectuelle mais bien grâce à leur apparence. BBC News en parlait déjà en 2003 lors du lancement de la campagne de publicité pour cette marque critiquable car hors-la-loi. « Je ne trouverai pas de mari car je suis trop noire », certains jeunes ont pris les slogans de Fair and Lovely très à cœur, adulant une admiration sans borne à la « race blanche » et se laissant des marques sur la peau afin de pouvoir être enfin considérés comme des Indiens beaux et intelligents.

La mode inspirée par les couleurs occidentales : une nouvelle forme de scandale…



Etudiante en sciences politiques à l'Université Lyon 2 et ayant la chance de passer un an en Inde,… En savoir plus sur cet auteur