Jamaïque : le cannabis enfin dépénalisé

9 Avril 2015


Cela en étonnera plus d’un, mais au pays de Bob Marley, la consommation de cannabis n’est pas autorisée. Du moins, elle ne l’était pas jusqu’au 24 février dernier. Malgré la révolution rastafari des années 1970 et les nombreuses idées reçues, la consommation, la vente et l’achat de marijuana étaient jusqu’ici interdits sur le territoire du premier fournisseur de cannabis des États-Unis.


Crédit Amir Cohen / REUTERS
Halte aux idées reçues. La Jamaïque n’est pas le paradis des fumeurs. Depuis 1913, la loi de la Ganja y interdit toute forme de consommation du cannabis, alors que nombre de rastafaris l’utilisent de manière rituelle. Pour eux comme pour beaucoup d’autres Jamaïcains, cette loi initiée par le Conseil des églises évangéliques de Jamaïque fut pendant un siècle un instrument d’oppression des élites coloniales blanches sur les classes populaires noires, chez qui la consommation de cannabis était largement répandue. Alors que le pouvoir de l’Église déclinait depuis déjà plusieurs années, le conseil évangélique aurait proposé cette loi au Conseil législatif, dans un contexte d’émergence du « mouvement revivaliste» et de lutte contre « l’insanité et les mauvaises mœurs»

Surtout, les élites coloniales s’inquiétaient de la proportion de fumeurs de cannabis parmi les « autochtones ». Appliquée à partir des années 1920, cette loi a régi la consommation de marijuana pendant plus d’un siècle, régulièrement complétée avec de nouveaux amendements.

Bien qu’une large diminution de la culture illégale du cannabis a pu être observée depuis les années 1960, la consommation de marijuana constitue aujourd’hui un pôle majeur du tourisme jamaïcain. Depuis des années, des circuits touristiques permettent à des touristes de visiter Trenchtown, le quartier de Kingston qui a vu naître Bob Marley, ou encore sa maison aujourd’hui devenue un musée, et d’acheter à la fin de leur visite leur sachet d’herbe souvenir. Une pratique sur laquelle les autorités préfèrent fermer les yeux pour ne pas nuire à une économie peu florissante autrement.

Booster les économies locales et le tourisme médical

Non contentes de dépénaliser la consommation de cannabis, les deux cours législatives jamaïcaines ont approuvé par le vote de cette loi, l’octroi de « licences de cannabis », créées pour encadrer l’usage médical du cannabis. Par la création de cette licence, le gouvernement jamaïcain espère acquérir une place de choix sur le marché mondial du cannabis médical, et attirer toujours plus de touristes sur son sol, qui pourront acheter en toute légalité sur le sol jamaïcain le cannabis prescrit par leur médecin, et ce à un prix compétitif. 

Plusieurs laboratoires locaux œuvrent déjà à l’élaboration de médicaments issus de dérivés du cannabis, en vue d’une commercialisation imminente. Si les scientifiques jamaïcains semblent centrer leurs recherches sur le traitement du glaucome en réduisant la pression oculaire à laquelle les malades sont sujets, les applications médicales du cannabis sont nombreuses. Agissant contre les nausées, la douleur, l’anorexie, la cachexie, l’asthme, et excellent relaxant musculaire, le cannabis et ses dérivés sont notamment utilisés dans le traitement du cancer et plus particulièrement dans les effets secondaires de la chimiothérapie, mais aussi de maladies chroniques comme Parkinson ou Alzheimer.

Autoriser la consommation dans le cercle privé

Cette autorisation de l’usage médical du cannabis s’accompagne aussi d’une dépénalisation de sa consommation dans le cercle privé. Pour les rastafaris, qui constituent 10% de la population jamaïcaine, cela représente un soulagement certain. Dans leur culte, la « ganja » est une plante sacrée dont la consommation permet à l’esprit de s’élever. Cela viendrait du fait qu’un des théoriciens du mouvement rastafari, Leonard Percival Howell, était un fumeur régulier et considérait ce geste comme un sacrement du rastafarisme. Inspiré de la prophétie énoncée par Marcus Garvey, il fut l'un des premiers à considérer Hailé Sélassié Ier comme le messie noir attendu par les Africains arrachés à leur Terre Promise, à l’image des juifs exilés à Babylone. Alors que la consommation de cannabis était déjà répandue, elle est tout à coup devenue rituelle, alors qu’interdite depuis une dizaine d’années déjà : les rastafaris ont depuis toujours vécu leur religion de manière illégale. 

Désormais, la consommation de cannabis n’est plus passible d’une arrestation ou d’un emprisonnement, et ne constitue plus un délit susceptible d’être inscrit dans les casiers judiciaires. Il est autorisé de posséder jusqu’à 57 grammes de cannabis et de cultiver jusqu’à cinq plants de marijuana chez soi. La possession de marijuana, même en dessous du seuil autorisé, reste cependant passible d’une amende, et il est interdit de fumer dans l’espace public.

Une dynamique régionale

Ces dernières années, de nombreux États du continent américain se sont penchés sur la question de la dépénalisation du cannabis. En Amérique latine, l’Argentine et le Pérou ont opté pour une dépénalisation totale de la consommation de cannabis en petite quantité. L’Uruguay, qui a dépénalisé l‘usage du cannabis en août 2013, fut le premier pays au monde à avoir mis en place un contrôle total de la chaîne de production du cannabis, de la récolte à la consommation. Au Nord, alors que le Canada s’est contenté d’autoriser l’usage médical du cannabis en 1999, les États-Unis se sont montrés moins frileux. Lorsqu’ils ont autorisé l’usage récréatif du cannabis dans les États de Washington et du Colorado le 1er janvier 2014, dix-neuf autres États proposaient déjà d’acheter du cannabis à des fins médicales.

Cette légalisation totale, qui n’est entrée en vigueur que le 26 février 2015 dans l’État de Washington, est appliquée depuis plus d’un an au Colorado, et a des résultats fulgurants sur l’économie de l’État et sa capitale. À un tel point qu’aujourd’hui, les recettes issues du cannabis s’élevant à plus de 50 millions de dollars, le Colorado ne sait plus quoi faire de son argent. Autant d’exemples et d’arguments qui ont sûrement fait progresser plus vite les réflexions menées par les dirigeants jamaïcains.



Etudiante en Master de Journalisme à l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon, passionnée de musique… En savoir plus sur cet auteur