Kaliningrad, les missiles de la discorde

Xavier Maréchal, correspondant à Varsovie
19 Décembre 2013


Après une victoire diplomatique de la Russie sur l’Union européenne, à propos de l’Ukraine, l’ours russe fait une fois de plus parler de lui dans l’est de l’Union européenne, en installant des missiles balistiques de type Iskander dans son enclave de Kaliningrad. Cette installation laisse un arrière-gout de Guerre froide mais surtout d’effroi envers la Pologne et les trois pays baltes. Analyse.


Crédits photo -- AFP/Getty Images
L’idée de voir un jour des missiles Iskander pointant leur bout du nez dans l’enclave de Kaliningrad n’est pas nouvelle. En effet depuis 2011, la Russie menaçait déjà de les installer. Mais quelle en était vraiment la raison? Tout simplement parce qu’il s’agissait d’une réaction au projet américain et otannien d’installer un bouclier anti-missile en Europe de l’Est. Pour rappel, ce projet date de l’administration Bush et se décomposait en deux phases. La première : des radars situé en République tchèque et ayant pour but de repérer des ogives nucléaires en provenance de Rogue States contre l’Europe et les États-Unis. La deuxième : des batteries de missiles dissimulées dans toute la Pologne, afin d’intercepter et de détruire les ogives.

Ce projet de bouclier anti-missile avait envenimé les relations entre Washington et Moscou et avait été mis au placard lorsque Barack Obama est arrivé à la Maison Blanche. En contrepartie les États-Unis ont tout de même installé des missiles sol-air Patriot, en Pologne, durant l’année 2011. Mais récemment le projet de bouclier anti-missile est réapparu dans les affaires de la diplomatie américaine et le nouveau projet prévoit de déployer 24 missiles intercepteurs SM3-IIA en Pologne et autant en Roumanie, d’ici 2018.

Quelles réactions face aux missiles ?

En connaissant l’histoire des pays tels que la Pologne et les pays baltes, on peut effectivement comprendre que l’installation de missiles qui peuvent être modifiés afin d’accueillir des têtes nucléaires ne séduit pas vraiment. Les réactions ont été immédiates.

Les pays baltes sont particulièrement inquiets par ce nouveau rapport de force, car ils avaient intégré l’OTAN et l’UE, durant l’année 2004, en raison des questions de sécurité vis-à-vis de la Russie. En effet pour le ministre de la Défense letton Artis Pabriks : « C'est une nouvelle alarmante, car il s'agit d'un argument modifiant l'équilibre des forces dans notre région. Il ne change pas l'équilibre des forces entre l'OTAN et la Russie mais celui des forces dans la région. Il menace des villes baltes et des infrastructures dans la région de la Baltique. Bien sûr, il nous faut penser comment défendre la région plus efficacement dans le cas d'une crise hypothétique parce qu'il est clair qu'il s'agit d'armes dangereuses». Son homologue lituanien, Juozas Olekas, est, quant à lui, inquiet de la militarisation et surtout de la modernisation de l’armement de la région de Kaliningrad. Pour le ministre de la Défense estonienne, Urmas Reinsalu, « toute croissance des capacités militaires de la Fédération de Russie dans notre région est source de préoccupation ».

La Pologne quant à elle, a une position moins alarmiste que ses voisins baltes, même si cette situation est préoccupante et qu’elle a toujours été inquiète de voir des missiles Iskander à Kaliningrad. Pour l’instant, l’administration polonaise ne dispose pas d’informations officielles du Kremlin.

Situation alarmante vs politique militaire normale

Dans la littérature des relations internationales, et plus précisément dans la littérature réaliste, nous sommes face à un dilemme de sécurité, lequel peut être définit comme l'augmentation, par un État, de sa puissance, ce qui force les autres États à augmenter la leur pour maintenir leur puissance relative. En d’autres termes, la Russie sait que les États-Unis et les pays de l’OTAN sont prêts à se procurer un système anti-missile. Cependant, la Russie a toujours pris ce projet comme une menace pour sa sécurité nationale, alors qu’en se situant dans une logique réaliste basée sur l’intérêt et la puissance des nations, il est tout à fait normal de voir la Russie aller dans ce sens. Qu’auraient fait les États-Unis et l’OTAN, si la Russie avait d’abord installé ses missiles et que les missiles Patriots n’avaient pas déjà été installés en Pologne ? Sans aucun doute, des batteries de missiles auraient été installées quelques jours après.

Ensuite la Russie ne viole aucun traité international en posant ces missiles Iskander M à Kaliningrad. On peut même dire que cette installation répond à au discours de Vladimir Poutine prononcé la semaine dernière, rappelant que toutes agressions extérieures venant d’un pays contre la Russie aura pour réponse une frappe nucléaire. Il s’agit tout simplement de la définition de la dissuasion nucléaire (pour rappel, la France a la même politique en ce qui concerne les frappes nucléaires). Et en ce qui concerne la peur de voir une modernisation des systèmes d’armes, dans l’Oblast de Kaliningrad, c’est une information fondée mais qu’il faut relativiser car la Russie est en pleine politique de modernisation de son armée vieillissante de la fin de la Guerre froide et cette modernisation aura lieu jusqu’en 2020.