Kazakhstan : le président veut changer le nom du pays

Akhmed Rakhmanov, pour FranceKoul.com
19 Février 2014


Lors de la visite à l’Ecole des intellectuels d’Atyrau, le président kazakh Noursoultan Nazarbayev a proposé de changer le nom de son pays. Selon lui, le suffixe « stan » cause la méfiance auprès des investisseurs et des touristes.


© RIA Novosti
Noursoultan Nazarbayev veut changer le nom de son pays. Il justifie cette proposition en prenant l’exemple de la Mongolie qui, avec ses 2 millions d’habitants, attire désormais les investisseurs étrangers. En langue altaï-turcique, la Mongolie se serait nommée « Mögulistan », mais elle a fait le choix de ne pas retenir ce suffixe, ce qui serait une des raisons de son succès économique actuel. Noursoultan Nazarbayev espère attirer davantage d'investisseurs sur le marché kazakh en se débarrassant du « stan ». La proposition qu'il retient est Қазақ елі (Kazakh Eli), soit « le pays des Kazakhs » en langue kazakhe. Toutefois, Nazarbayev souligne qu’ « avant [de renommer le pays], il faudra obligatoirement en discuter avec le peuple. »

Le «stan» : entre histoire et stéréotype

Le terme « stan », d'étymologie persane et ourdoue, se traduit initialement comme « le lieu » ou « l'endroit où l’on se tient ». Il partage ainsi une origine étymologique indo-européenne avec le latin « status », soit également avec l' « Etat » en français. Avec le temps, la signification de ce terme a évolué vers une acception plus large, et tend à signifier simplement « le lieu où habite un peuple », ou « pays de ». Les cinq républiques d'Asie Centrale ont retenu cette terminaison.

En 2013, le problème lié à cette terminaison a déjà été soulevé sur le site onlinepetition.kz. Comme l'indique le sujet intitulé « Image du pays – image du peuple », la plupart des étrangers ont tendance à confondre le Kazakhstan avec d’autres pays, notamment l'Afghanistan et le Pakistan, ce qui nuirait à l’image du pays. L'auteur de la pétition insiste sur le fait que malgré les efforts d’intégration du Kazakhstan sur la scène internationale et ses succès économiques et scientifiques, le suffixe « stan » l'entrave dans son ascension. Le changement équivaudrait ainsi à un « rebranding » vertueux pour le tourisme, les investissements et la perception du pays à l'étranger.

Une idée nationaliste ?

Cette proposition n’est pas nouvelle. En 2010, lors d’un rassemblement des nationalistes kazakhs, le changement de nom du pays était au coeur des discussions. Les nationalistes avaient proposé de remplacer le nom de Kazakhstan par « État kazakh » ou « Kazakhie », ce qui reviendrait à inscrire l'ethnie kazakhe dans le nom du pays, alors que le nom actuel permet de maintenir la distinction entre Kazakhstanais (citoyenneté) et kazakhs (nationalité).

À son indépendance, le Kazakhstan a hérité d’une véritable mosaïque ethnique issue notamment des déportations staliniennes et des politiques de peuplement des terres vierges de l'URSS. Au cours des XIXe et XXe siècles, les Russes, Ukrainiens, Allemands ou encore Polonais ont été encouragés ou forcés à migrer vers les républiques d'Asie centrale. La définition d'une identité nationale s'avère difficile, alors que le Kazakhstan ne fait pas exception à l'affirmation de plus en plus vive de la culture et de la langue de l'ethnie « titulaire » (soit correspondant à l'appellation d'une république) dans les anciens pays soviétiques.

Parmi les 17 millions d'habitants du Kazakhstan, plus de 40% font partie de minorités, et l'ethnie majoritaire kazakhe sent sa langue et sa culture menacées. Alors que le russe domine les usages linguistiques, la présence de la la langue kazakhe dans la vie politique et économique du pays sont un débat politique récurrent au Kazakhstan. La question du statut officiel de la langue russe avait déjà donné lieu à d'importantes polémiques : en 2000, elle a été consacrée comme langue d'usage officielle à égalité avec le kazakh (selon l'article 7-2 de la Constitution). 

Promotion active de l’ethnie kazakhe

Cette politique consiste, d'une part, à attirer les Kazakhs habitant les républiques voisines. Afin de favoriser le retour de ces « oralmans », le gouvernement a mis en place le programme Nourly kosh (« migration claire » en kazakh) qui leur accorde un accès gratuit à des services publics ainsi que des aides financières. Les services concernés incluent l’enseignement supérieur, l’aide à la recherche d’emploi, l’apprentissage des langues kazakhe et russe et des services médicaux. Ils bénéficient également d'allocations ponctuelles, d’aide financière pour l’achat d'un logement et du remboursement des frais de rapatriement.

La langue kazakhe sous pression

Malgré ces efforts, l’identité kazakhe reste marginalisée. Les grandes villes sont généralement russophones, et la langue kazakhe ne joue qu’un rôle symbolique et politiquement instrumentalisé dans le pays. Elle est avant tout pratiquée dans les villages, et peine à retrouver une place centrale dans la société, alors que les médias russes et russophones restent omniprésents. D'autre part, la place de l'anglais croît considérablement, en particulier parmi la jeunesse. Par exemple, la Nazarbayev University, université d'élite fondée récemment à Astana, est entièrement anglophone. Le pays est également très urbanisé : plus de 60% de la population habitent en ville, où la langue d’usage administratif et de communication est restée le russe.

Un changement de nom dans la logique de la « kazakhisation »

Une telle mesure serait dans la continuité de la « kazakhisation » de nombreux noms de villes, de rues et de lieux dits, et peut être liée au projet d'établir l'alphabet latin pour la langue kazakhe à partir de 2025. Comme le remarque Mukhit-Ardager Sydyknazarov, politologue au Centre d'études contemporaines du Kazakhstan : « Au bout du compte cette idée rappelle un jeune qui a obtenu sa première carte d'identité à la majorité et peut enfin lui-même décider de l'orthographe de son prénom et de son nom de famille et à quelle famille - voire à quelles familles il appartient. »

 À cela s’ajoute la volonté d'une attache « européenne » de ce pays disposant d'une partie de territoire minuscule à l’ouest du fleuve Oural (considéré par certains comme la limite de l'Europe géographique). Le Président a basé toute sa « sftratégie 2050 » sur le concept de l’eurasianisme, cherchant à établir le Kazakhstan comme une puissance régionale. Se défaire du « -stan » permettrait ainsi au pays de se détacher symboliquement d’un «Sud» ou d’un «Tiers-Monde» dont il s'écarte économiquement.