L'Iran a-t-il vraiment changé ?

13 Juillet 2014


Depuis l’investiture en Iran du nouveau président Hassan Rohani en août 2013, un processus de démocratisation semble avoir été engagé dans la République islamique, le nouveau dirigeant prônant la voie du réformisme et multipliant les gestes d’ouverture envers l’Occident. Même si dans la réalité, cela reste à nuancer.


Crédit AP
Dès son arrivée au pouvoir, Hassan Rohani a cherché à rapidement tourner la page de la politique de fermeté menée par son prédécesseur, l’ultra-conservateur Mahmoud Ahmadinejad, en affichant un point de vue progressiste sur la liberté d’expression et sur l’égalité hommes-femmes. Il a tout d’abord tendu la main aux jeunes, très actifs lors de la « révolte verte » qui a suivi la réélection contestée d’Ahmadinejad en 2009, en insistant notamment sur sa volonté de mettre fin à la censure d’Internet, et de permettre l’accès aux réseaux sociaux comme Facebook et Twitter. « A l’heure de la révolution numérique, nul ne peut vivre ou gouverner dans l’isolement » avait-il alors défendu.

Un réformisme en demi-teinte

Au-delà des discours, des mesures allant dans le sens de la démocratisation du régime ont été appliquées. La culture est maintenant moins exposée à la censure politique qu’auparavant : la réouverture sous le régime de Rohani de la Maison du Cinéma fait office de symbole pour le milieu culturel. Réalisateurs et acteurs ont retrouvé le sourire : il est devenu plus facile d’obtenir une autorisation de tournage d’un film auprès du ministère de la culture. Autre mesure importante : la libération dès septembre 2013 de plusieurs prisonniers politiques, notamment celle de l’avocate Nasrine Soutoudeh, co-lauréate avec le cinéaste Jafar Panahi du prix Sakharov 2012. On constate également la présence de journaux réformateurs qui sont tolérés par le régime, même s’ils sont soumis à des règles strictes, comme ne pas publier d’articles critiques envers l’islam ou « allant à l’encontre de l’intérêt et de la sécurité du pays ». 

Enfin, Rohani a pris des mesures concrètes pour réduire les inégalités hommes-femmes. Deux d’entre elles occupent les postes de vice-présidentes au sein de son gouvernement, et le ministère des Affaires étrangères compte parmi ses membres une porte-parole et une ambassadrice. Au sein des universités iraniennes, le nouveau ministre des sciences s’est ouvertement opposé à la mise en place de quotas par sexe. 

Mais si cette dynamique suscite un espoir auprès des réformateurs, il faut toutefois relativiser ces changements. Les prisonniers et assignés à résidence politiques sont encore très nombreux dans les geôles iraniennes, et les leaders de la « révolte verte » de 2009, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, attendent encore leur libération. En termes de Droits de l’Homme, l’Iran est au premier rang des exécutions per capita dans le monde. Près de 700 personnes ont été exécutées en 2013, soit une augmentation de 16% par rapport aux chiffres de 2012. Les jeunes, malgré la main tendue de Rohani, sont de plus en plus nombreux à quitter leur pays. 

Concernant les réseaux sociaux, Rohani et certains de ses ministres disposent d’un compte Twitter, et y sont très actifs (le président ayant même souhaité un joyeux Rosh Hashanah aux juifs du monde entier, à la surprise des internautes). Mais pour la population iranienne, contrairement aux promesses du président, Twitter et Facebook restent interdits. Pire, depuis le mois dernier, l’accès à Facebook est considéré comme un « crime ». Quant aux femmes, l’égalité totale avec les hommes n’est pas encore pour aujourd’hui. Lorsque certaines d’entre elles cherchent à s’émanciper ou à assumer davantage leur féminité, elles sont vite rappelées à l’ordre. A l’image de ces femmes qui en mai dernier ont posté des « selfies » sur facebook sans leur voile, accompagnées du hashtag #stealthyfreedom. L’initiative, lancée par la journaliste iranienne exilée au Royaume-Uni Masih Alinejad, a été mal accueillie par les autorités iraniennes. 

Car malgré le statut de président du pays élu au suffrage universel dont Rohani jouit, l’Iran est avant d’être une démocratie une théocratie, où le président de la République n’est que le deuxième personnage de l’Etat. Il n’est chargé que de la gestion des affaires courantes dans les domaines économiques et sociaux, et comme tout iranien et toute assemblée élue, il est soumis à la tutelle du Guide, Ali Khamenei, qui est l’autorité suprême ayant le contrôle absolu sur les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. 


Derrière ces réformes, des objectifs politiques et économiques

Ces réformes internes, encore davantage présentes dans les discours que dans les faits, sont surtout une stratégie internationale et économique : en montrant les progrès réalisés au niveau des Droits de l’Homme, l’Iran cherche à obtenir un assouplissement des sanctions internationales à son encontre pour améliorer sa situation économique. Stratégie payante : les relations entre l’Iran et les pays occidentaux se sont apaisées.

Alors que le dialogue était difficile et coupé sous la présidence d’Ahmadinejad, l’Iran joue la carte de la négociation, et accepte de négocier sur le nucléaire, dossier sensible depuis le début des années 2000. L’Union européenne a suspendu début 2014 une série de sanctions économiques contre le pays, et les investisseurs, parmi lesquels ceux de l’industrie française de l’automobile, cherchent à conquérir le marché iranien. 


L'Iran, nouvel allié des Etats-Unis ?

Qu’il semble loin le temps où depuis 1979 et la chute du Shah d’Iran les Etats-Unis étaient comparés au « Grand Satan », et l’Iran était un pays membre de l’« Axe du Mal » dessiné par Georges W. Bush. Pour la première fois en 35 ans, les présidents iranien et américain ont entamé un contact direct, et les Etats-Unis ont suivi les pays européens dans la suspension de certaines sanctions. Une autre preuve d’un rapprochement réel entre les deux pays est les tensions diplomatiques qui ont émergé dès la fin de l’année 2013 entre Washington et son premier allié au Moyen-Orient, l’Arabie Saoudite. Ce dernier, majoritairement sunnite, craint une hégémonie de son ennemi chiite dans la région. 

La situation actuelle en Irak rassurera peu Riyad. Face à l’avancée des islamistes de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), c’est une inédite alliance Etats-Unis-Russie-Iran qui s’est mise en place. Même si le pays a nié toute présence sur le territoire irakien, des avions iraniens ont été aperçus aux côtés de drones et avions sans pilotes américains. 

Mais jouant la prudence, les Etats-Unis refusent de parler d’un rétablissement officiel des relations diplomatiques entre les deux pays. Certains conservateurs américains restent de plus méfiants quant aux véritables volontés de l’Iran, et l’administration américaine souhaite rassurer ses alliés israéliens et saoudiens. 


Reste des différends majeurs entre les deux pays sur le nucléaire iranien. Alors que le sixième round des négociations avec cinq autres pays, l'Allemagne, la France, la Chine, le Royaume-Uni, et la Russie, se déroule en ce moment-même en Autriche, Téhéran et Washington ont confessé leur échec à trouver une position commune. L’Iran estime par l’intermédiaire de Khamenei qu’elle a besoin de 190 000 centrifugeuses, alors que l’Occident estime que ce chiffre ne doit être que de quelques milliers. Il reste bien du chemin à parcourir pour l'Iran.