L’impressionnisme hongrois, un véritable casse-tête « national »

Tom Guilbert
20 Juillet 2013


Du 28 juin au 13 octobre, la Galerie nationale hongroise organise une exposition qui fait rimer peinture française et hongroise du XIXe siècle. Le palais perché sur les collines de Buda fait face - depuis sa conversion en musée en 1957 - au problème de délimitation de sa collection.


Munkacsy | Routes Poussiéreuses
La Hongrie est un pays qui a perdu les deux tiers de son territoire après le traité de Trianon en 1920, laissant ainsi de fortes minorités hongroises dans les pays limitrophes, telles la Roumanie ou la Slovaquie. C’est pourquoi lors de chaque nouvelle exposition, le qualificatif de « nationale » est un véritable casse-tête pour la galerie : sur quels critères se baser pour qualifier un artiste de « hongrois » ? Le lieu de naissance n’est pas forcément la donnée la plus pertinente au vu de l’histoire hongroise. La langue hongroise ou encore les années passées au sein du pays sont les critères qui peuvent rester au musée pour considérer un artiste comme hongrois, mais autant dire que baser l’ensemble d’un musée sur l’adjectif « national », qui plus est en Hongrie, n’est jamais facile.

Aussi curieux que cela puisse paraître, on pourrait croire que toutes les œuvres rassemblées dans la galerie – en provenance pour la plupart du musée national d’Israël, où elles retourneront à la fin de l’exposition – sont issues non seulement de la même époque, mais de la même zone géographique. En effet, la similarité des productions artistiques française et hongroise est tellement frappante que le visiteur sera bien obligé de relativiser la distance culturelle qui sépare la France de son voisin d’Europe centrale.

L’Impressionnisme français ou le chef de file d’une époque

L’impressionnisme est un mouvement artistique que les historiens de l’art attribuent généralement aux peintres français, qui ont été écartés de la vie intellectuelle parisienne et plus spécifiquement des expositions universelles de 1874 et de 1886. Les laissés-pour-compte de ces grandes messes de l’art ont décidé d’explorer un nouveau style en rupture avec les représentations de l’époque. Les couleurs vives prédominent, les scènes champêtres à la banalité quotidienne baignent dans la lumière chaude du soleil. Alors que la Galerie nationale hongroise décide de réunir une collection de peintures françaises et le travail d’impressionnistes hongrois pêle-mêle peut sembler déroutant : pourquoi exposer dans un musée dédié à l’art hongrois un genre éminemment français ?

Le rayonnement artistique de la France était très important durant la deuxième moitié du XIXe siècle. C’est pourquoi de nombreux impressionnistes hongrois ont visité la France, alors qu’il aurait pu paraître beaucoup plus logique de choisir une destination comme Vienne ou encore l’Allemagne pour se former. De fait, les têtes d’affiche hongroises de l’exposition telles Rippl-Rònai ou Szinyei Merse ont étudié à Munich, cependant ils choisirent la France pour faire bourgeonner leurs carrières. Les peintres hongrois fréquentèrent les maîtres impressionnistes de l’école de Barbizon. Or Monet avait coutume de répondre aux peintres qui souhaitaient obtenir des conseils que la seule chose à faire était de peindre plus, ce que les peintres hongrois se sont atteler à faire.

Mednyànszky | Les Soldats

Des thèmes récurrents dans la peinture française se retrouvent représentés à l’identique dans les nombreuses productions de l’art pictural hongrois. Les scènes de la vie quotidienne, majoritairement en pleine air, sont préférées aux sujets religieux ou à la représentation des notables. Les artistes ont par exemple décliné à loisir le sujet de la meule de foin sans toutefois que les différences entre français et hongrois puissent être perceptibles aux premiers abords. Le directeur du musée national d’Israël a d’ailleurs commenté ces similitudes en appelant les visiteurs à surmonter « la distance entre les deux pays », qui semble alors très peu marquée. À plusieurs moments dans l’exposition, le visiteur s’arrêtera devant deux représentations de barques flottantes sur un lac très coloré dépeint par de légères touches de pinceaux de façon absolument similaire sur les deux tableaux, avec comme seul différence la nationalité du peintre. Pour parler de représentations plus évocatrices, le public averti aura sans aucun doute le thème du déjeuner champêtre en tête, un archétype de la peinture impressionniste : la campagne transformée en lieu de villégiature pour la classe moyenne émergente étant l’un des cadres de prédilections des impressionnistes français. Certains peintres hongrois se livrent également au même type d’exercice, tels Szinyei-Merse et son Pique-nique de mai. Des jeunes gens insouciants et visiblement aisés déjeunent tranquillement sur le flan d’une colline verdoyante alors que le printemps est déjà bien avancé. La simplicité de la scène représentée, le cadre naturel et les couleurs vives pourraient très bien passés pour français.


La réappropriation des codes

S’il est indéniable que « c’est l’influence des peintres français sur les Hongrois » comme l’explique la conservatrice de l’exposition qui a été déterminante et non l’inverse, les artistes centre-Européens créèrent rapidement leurs propres codes. Alors que Zola et le naturalisme commencent à faire partie du passé en France, les Hongrois prennent le parti de peindre la vie quotidienne des paysans. À l’instar de Mednyànszky, les tableaux n’exposent pas les congés de la classe moyenne, mais la réalité d’un empire majoritairement rural et qui s’achemine vers sa fin. Les soldats par exemple a tout d’une peinture impressionniste française sur le plan technique, mais la palette est bien plus sombre et le sujet choisi nettement plus grave. De même, Munkacsy et son tableau Routes poussiéreux empruntent beaucoup au précurseur Turner et aux impressionnistes français tout en représentant un paysan qui traverse une obscure steppe de la campagne, probablement hongroise. Enfin, le tableau le plus significatif de cette morosité est celui de Fülöp et son pauvre lieutenant décoré, mais vieillissant, accoudé à une table basse dans un jardin vide parsemé de feuilles mortes. La décrépitude prochaine de l’Empire austro-hongrois sur la fin du XIXe siècle est palpable en face de cette toile.


C’est donc bien parce que les peintres hongrois se sont gorgés de l’influence impressionniste en France, mais qu’ils se sont empressés de réinterpréter, créant ainsi leur propre version du genre que l’on peut bien parler d’un impressionnisme hongrois et pas uniquement une copie de l’art français. La galerie nationale de Budapest était un musée important à l’échelle du pays et consacré à l’art du pays, mais l’exposition qu’il propose dispose définitivement d’une portée internationale, cela pas uniquement du fait de la présence de maîtres français.

 

Szinyei Merse | Pique Nique de Mai