La Patagonie au coeur d'un conflit ethnique

4 Mars 2013


De nombreux terrains ne cessent d'être vendus dans le sud de l'Argentine au profit d'entreprises internationales ou de propriétaires terriens locaux. Ce marché florissant donne lieu à de vives contestations de la part de la communauté mapuche, qui accuse l'Etat argentin de lui dérober ses terres.


Rosa est membre d'une des communautés mapuches. Elle vit avec sa famille dans un lof (groupe de maisons appartenant à la communauté), situé en retrait à quelques kilomètres de Villa la Angustura dans la province de Neuquen. Elle explique dans quelles conditions elle et sa famille vivent. "Le gouvernement provincial nous tolère car il n'a pas d'autres choix, explique-t-elle. Depuis que nous nous sommes montés en association, nous avons à nos côtés un avocat et de nombreuses organisations internationales qui nous soutiennent. Mais les promoteurs immobiliers nous guettent et la commune fait pression pour que nous partions. Jusqu'à l'année dernière nous n'avions pas l'électricité et on continue toujours à aller puiser l'eau dans la rivière, faute d'installations. Nous ne souhaitons pas moderniser notre niveau de vie mais seulement faire reconnaitre nos droits". Rosa tend sa main en direction de maisons récemment construites. "Ces terrains que vous voyez étaient les nôtres avant !"


Les relations conflictuelles entre les mapuches et l'Etat argentin ne sont pas nouvelles. Elles remontent à l'arrivée des espagnols et la politique d'extermination entreprise par le Président Roca pendant la „conquête du désert“. Aujourd'hui la culture des peuples natifs est protégée au niveau institutionnel et la propriété communautaire indigène est reconnue par la Constitution. Toutefois comme le souligne le rapporteur de l'ONU, James Anaya, ces droits ne sont pas suffisamment respectés. Lors d'une visite en Argentine en novembre 2012, il a interpellé l'Etat sur "l'absence de priorité donnée aux droits de l'homme".


Les couleurs oubliées de Benetton

En 1997 l'entreprise de textiles italienne Benetton a racheté d'énormes territoires en Patagonie à la compagnie anglaise Terres du Sud pour un prix estimé à 50 millions de dollars. Ces terres étaient jusqu'à présent occupées par la communauté mapuche. Selon celle-ci, l'entreprise n'aurait pas respecté la procédure légale d'investissement dans les pays en voie de développement, imposée par le code de conduite européenne. Des poursuites ont été engagées.


Expulsées et privées d'accès à l'eau, beaucoup de familles ont du migrer vers la ville. Elles sont souvent confrontées au chômage et à la discrimination raciale. Aujourd'hui considéré comme le plus grand propriétaire terrien d'Argentine, le groupe industriel a clôturé ses champs où paissent désormais des milliards de moutons. Pointé du doigt par les communautés mapuches qui lui imputent les mesures d'expropriation, Benetton a répondu en 2000 par l'inauguration dans la commune de Leleque d'un "musée d'histoire régionale". Pour les habitants de la province, l'initiative n'a fait qu'aggraver le conflit. "Ce musée est un non-sens, s'indigne Julio, un  mapuche qui travaille aujourd'hui comme guide de montagne dans la ville El Bolson. Le musée relate la culture et la manière de vivre mapuche en exposant des objets qui ne lui appartiennent pas, généreusement offerts par de riches donateurs !"


Au Chili, les tensions s'intensifient

Le 4 janvier dernier, la presse chilienne rapportait le meurtre de deux personnes, assassinées par un groupe de mapuches. Les hommes, cagoulés et armés, se seraient introduits dans la demeure d'un couple d'origine suisse, propriétaire de terrains revendiqués par la communauté. La date de l'incident n'a pas été choisie au hasard. Elle coïncide avec la mort de l'étudiant mapuche Matias Catrileo, abattu cinq ans plus tôt par des hommes étroitement liés aux époux défunts. Un règlement de compte qui en dit long sur les tensions sous-jacentes. Le Président chilien Pinera a immédiatement ordonné un renforcement de la police sur le territoire, annonçant le début d'une lutte menée contre "une minorité de délinquants terroristes et violents". 

Environ 150 000 mapuches vivent en Argentine. Au Chili ils sont plus de 900 000. Depuis 1990, les conflits se multiplient et le phénomène prend de l'ampleur, tant au niveau politique que social. Il révèle l'équilibre fragile et la relation délicate unissant les pays d'Amérique latine aux peuples originaires. Selon Rolando Hanglin, journaliste pour La Nacion, le conflit mapuche en Argentine et au Chili doit être abordé avec une extrême précaution, reflet des violences passées pour éviter une nouvelle guerre ethnique.




Lorsque l'addiction du voyage rencontre la passion de l'écriture, elles forment un cocktail… En savoir plus sur cet auteur