La Russie peut-elle redevenir une grande puissance ?

Corentin Corcelette
27 Mai 2014


Depuis la chute de l’URSS, la Russie a du mal à réaffirmer sa puissance. Depuis peu, le pays dirigé d’une main de fer par Vladimir Poutine semble prêt à jouer les premiers rôles sur la scène internationale. Le plus grand pays du monde est-il définitivement installé sur l’échiquier mondial ou lui reste-t-il encore des progrès à réaliser dans certains domaines ? Analyse.


Vladimir Poutine lors du G8 d'Enniskillen, en Irlande du Nord, en juin 2013. En matière internationale, la Russie n’accepte plus de jouer les seconds rôles. Crédit DR
L’industrie du pays est ravagée et le retard pris face aux pays émergents ne cesse de croître. En effet à ce sujet, l’économiste Evgueni Lassine, ancien ministre de l’économie a dit : « C’est un leurre de comparer la Russie à la Chine, à l’Inde ou même au Brésil, car notre industrie est à reconstruire ». Le problème du réseau routier illustre cette situation. Alors que chaque année, la Chine construit quarante mille kilomètres de routes supplémentaires, la Russie se contente d’un petit millier. Les économistes estiment que cette situation s’explique par le fait qu’un kilomètre de route coûte trois fois plus cher qu’en Europe. Ceci nous permet de soulever un autre problème auquel est confronté la Russie, il s’agit de la corruption. Ainsi, le pays occupe la 146ème place sur 180 du classement établi par l’ONG Transparency International concernant la perception de la corruption. Elena Panfilova estime que la corruption fait perdre chaque année au budget entre deux cents et quatre cents milliards de dollars. L’essentiel de cet argent revient aux personnes qui travaillaient sur les contrats liés aux ressources naturelles et sur les projets anti-crise. 

Les exportations de pétrole et de gaz (60% des exportations russes) cachent cette misère industrielle. Nous pouvons alors craindre des effets dévastateurs dans le futur. Cette surutilisation de ces ressources n’entraîne pas assez de diversification de la structure de production et surtout d’exportation. Le pays est souvent décrit comme un pays rentier, c’est-à-dire qui détient un patrimoine important générant des rentes. Le risque est de tomber dans ce qui s’appelle le syndrome hollandais. Ce dernier décrit l’ensemble des mécanismes par lesquels une forte dotation en ressources naturelles peut influencer négativement la croissance à long terme. Ce terme est apparu dans The Economist pour expliquer la stagnation de l’activité aux Pays-Bas dans les années 1960. Cette stagnation s’explique par le résultat d’un large gisement de gaz naturel. L’exploitation de cette ressource va générer des profits, ce qui va inciter le pays à développer l’activité au détriment des autres secteurs. L’inflation va alors apparaître suite à l’accroissement du revenu national et de la demande. Dans le même temps, l’afflux de capitaux va entraîner un excédent commercial et une appréciation du taux de change réel. Ce qui va donc réduire la compétitivité des autres entreprises exportatrices. Leurs profits vont diminuer, ce qui renforce l’idée de développer l’activité extractrice. Cependant, cette stratégie des agents montrent ses limites sur le long terme. En effet, une fois les ressources naturelles épuisées le fait de ne pas avoir suffisamment développer les autres secteurs de l’économie et la surévaluation du taux de change aboutissent à une stagnation durable de l’économie. 

Les défis de la Russie

La Russie doit parvenir à un développement autonome en modernisant son tissu industriel à partir des gains apportés par les exportations de gaz et de pétrole. Elle doit pour cela, inciter les pays étrangers à investir. Là encore les problèmes internes du pays peuvent freiner les investisseurs. En effet, c’est la stabilité politique et institutionnelle des pays qui va encourager les investisseurs qui seront alors rassurés par un climat des affaires favorable. Ce qui semble encore plus difficile aujourd’hui avec les sanctions de l’Europe et des Etats-Unis depuis l’annexion de la Crimée. La Russie doit donner une image forte et ouverte en réalisant des réformes market-friendly, c’est-à-dire axé sur le marché. La création de zones franches avec des avantages fiscaux peut permettre d’être plus attractif. Certains signes vont dans ce sens comme la création d’une Silicon Valley russe, qui accueillerait des laboratoires de recherche de firmes étrangères et russes, des pépinières d’entreprises et des grandes écoles. Cependant, quelques critiques peuvent être faites sur ce projet. Dominique Fache explique que le projet est issu d’une réflexion trop superficielle et rapide. Dimitri Zimine ajoute que cette modernisation devrait également s’appliquer dans le domaine politique. 

Boulat Stoliarov de l’Institut pour la politique régionale de Moscou avoue lui-même que le gouvernement est « doté d’une administration qui tourne à vide ». Cette critique fait référence à l’incapacité du pays à sauver les quatre cents monovilles spécialisées dans une branche unique de l’industrie. À propos de cet héritage, jugé encombrant de la planification soviétique et pourvoyeur de millions d’emplois, un Stoliarov désabusé explique qu’il faut les laisser mourir. D’autant plus que depuis la libéralisation de l’électricité et des télécoms, le pays enregistre des entrées nettes de capitaux alors que sous Eltsine nous observions des fuites de capitaux. 

Ainsi, la Russie est sur la bonne voie afin de devenir une future grande puissance mais les problèmes liés à la mafia repoussent encore les investisseurs. C’est pourquoi il faut éviter de heurter les entreprises étrangères qui veulent s’implanter, en libéralisant le marché. Nous pouvons alors nous poser des questions sur la stratégie actuelle de la Russie qui consiste à entretenir une confrontation permanente avec l’Europe et le Etats-Unis. Sur le plan économique ces querelles ont un impact désastreux. En effet, en quelques jours les importations vers la Russie ont baissé et le rouble a perdu énormément de sa valeur à cause de la perte de confiance des entreprises.