La diplomatie Chavez : rupture ou continuité ?

14 Mars 2013


Depuis plus de 14 ans, la politique internationale du Venezuela était exclusivement dessinée par la personnalité et le charisme du président Chavez, qui a réussi à repositionner le Venezuela comme un acteur régional et international important, notamment grâce à son discours anti-américain.


Le président Chavez a toujours été convaincu que les Etats-Unis étaient impliqués dans le coup d’Etat organisé en 2002 contre son régime. C’est la raison pour laquelle il a considéré les Etats-Unis comme l’ennemi principal du Venezuela et aussi comme une menace contre la stabilité de toute la région, qu’il fallait impérativement contrer. Ce contexte justifie les motivations du défunt Président à donner priorité à la lutte contre l’impérialisme et le néo-colonialisme américain, clef de voûte de sa politique extérieure.

Aujourd’hui, le Venezuela se trouve orphelin de son grand leader, ce qui ne sera pas sans incidence sur la politique étrangère du pays, c'est-à-dire sur l’avenir de la diplomatie chaviste. Devant cette situation se pose la question suivante : la mort d'Hugo Chavez pourrait elle changer les orientations de la politique étrangère du Venezuela ? D’aucuns estiment que la diplomatie vénézuélienne s’inscrit dans le cadre d’une continuité, mais toujours est-il que la disparition de Chavez a engendré un vide énorme qui pourrait réorienter les principes de la diplomatie vénézuélienne et modifier ainsi le comportement du pays sur la scène internationale. 

Genèse de la diplomatie chaviste

Le principe fondamental de la diplomatie chaviste réside principalement dans la lutte contre l’hégémonie américaine. En effet, le président Chavez s’est efforcé, durant ses années de règne, d’éloigner le spectre de l’influence américaine planant sur la région. Pour mener à bien ses ambitions diplomatiques, il a vite adopté une approche opportuniste en utilisant les ressources pétrolières, monopolisées grâce à la politique de nationalisation, pour expulser les sociétés nord-américaines.

Ce contexte justifie sans doute la diplomatie pétrolière instaurée par Chavez et incarnée par le programme Petro Caribe. Cette politique a réussi à rallier ses voisins à sa cause, puisque ces derniers ont (presque) tous opté pour des gouvernements « gauchistes » facilitant ainsi la création, en 2005, de l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA), englobant — outre le Venezuela — Cuba, la Bolivie, l’Equateur, la République dominicaine, le Nicaragua, Antigua et Barbuda, et Saint-Vincent et les Grenadines. Cette alliance a permis au président Chavez d’avorter le projet de zone de libre échange des Amériques (ZLEA), soutenu par les Etats-Unis. Il s’agit d’un succès diplomatique important, arraché par le chef d’Etat vénézuélien.

Fort de son succès régional et conduit par sa vision bolivarienne, Chavez n’a pas hésité à poursuivre sa lutte contre l’impérialisme américain en-dehors même de sa région, en soutenant notamment les pays proposant des modèles de sociétés concurrents à celui des Etats-Unis, ce qui justifie ses excellentes relations avec des régimes considérés par Washington comme des ennemis. En effet, Chavez n’a jamais hésité à soutenir le régime iranien pour contrecarrer les sanctions internationales dont la majorité sont imposées par Washington. De même, il a toujours fait part de son soutien au régime de Bashar El-Assad, considérant que la crise syrienne n’était qu’une instrumentalisation occidentale, menée par les Etats-Unis. Par ailleurs, l’action diplomatique de Chavez l’a conduit à assister le régime nord-coréen, en dépit de son isolement international. Sans oublier les bonnes relations qu’il entretenait avec la Chine et la Russie, avec lesquels le Venezuela demeure lié par des accords de coopération stratégiques, aussi bien sur le plan économique que militaire.

En dépit des critiques, force est de constater que le chavisme, en matière de politique étrangère, présente un succès considérable, il a atteint son but : stopper l’hégémonie américaine dans la région. De plus, il a su bousculer la puissance américaine en évitant l’isolement du Venezuela. Ce dernier s’est en effet imposé comme une puissance incontournable de l'Amérique latine.

Cependant, la disparition du Président Chavez soulève plusieurs questions quant à l’avenir de ce chavisme qui devra s’adapter aux considérations politiques et économiques très complexes, d’où l’analyse des perspectives de la politique étrangère du Venezuela post-Chavez. 

Perspectives de la diplomatie chaviste

@REUTERS/Miraflores Palace
Le succès de la diplomatie du président Chavez, principalement au niveau régional, pose un énorme défi à son successeur. En fait, le président par intérim Nicolas Maduro incarne un nouveau leader du chavisme, puisque celui-ci a été nommé par le président Chavez lui-même, comme son successeur pour maintenir, voire renforcer ce lourd héritage qui lui a été légué, principalement en matière de politique étrangère.

Or, le probable successeur de Chavez — longtemps dans l’ombre — s’est illustré en tant que ministre des Affaires étrangères de Chavez. Il est d’ailleurs considéré comme l’un des architectes de la souveraineté du continent latino-américain. Il s’agit, en réalité, d’un signal assez fort que le Venezuela est loin de modifier sa politique extérieure. Justement, le successeur de Chavez n’a pas tardé à le confirmer, car ce dernier suivant les traces de Chavez, a créé la polémique en accusant les Américains d’être les responsables de la maladie et du décès d’El Presidente. Le dauphin de Chavez n’a pas hésité à expulser deux fonctionnaires américains dont l’attaché militaire de l’ambassade américaine ; un comportement qui confirme que le chavisme demeure toujours d’actualité et que son créateur ne l'a guère emporté avec lui dans la tombe.

Ceci étant, même avec un Chaviste au pouvoir, il ne serait pas surprenant de voir un changement d’orientation dans la politique étrangère du pays dans le but de relever les défis économiques et sociaux. Justement, le Venezuela hérite d’une situation politique et sociale très difficile, qui a causé une grande division au sein même de la population.

En outre, la situation économique du pays demeure aussi très alarmante, puisque le déficit public n’a cessé de s’accroître, atteignant plus de 20% du PIB. A cela, il faut ajouter le taux d’inflation qui croît considérablement à tel point qu’il se situe entre 20% et 30% chaque année, en raison du manque de diversité économique - le pétrole constitue 94% des exportations vénézuéliennes.

Cette dépendance aux rentrées pétrolières engendre une croissance des importations du pays qui achète à peu près tout pour subvenir aux besoins de sa population. Cela suppose que le nouveau Président devra adopter une approche diplomatique plus ouverte et moins radicale vis-à-vis de l’extérieur. Par conséquent, on pourrait assister à l’émergence d’un néo-chavisme, qui, sans pour autant rompre avec ses alliés traditionnels (à l’exemple de la Russie qui se déclare convaincue de la continuité des bonnes relations qui ont atteint leur point culminant justement aux années de la présidence de Chavez), pourrait prôner l’ouverture sur le monde occidental.

Ainsi, un rapprochement avec l’ennemi américain demeure très probable. D’ailleurs, les relations économiques entre les deux protagonistes continuent de se développer ; c’est dans ce sens que le président américain Obama a immédiatement réagi à la mort de Chavez, en déclarant qu' « en ces temps difficiles, les Etats-Unis renouvellent leur soutien aux Vénézuéliens et leur intérêt à développer des relations constructives avec le gouvernement ». Car ne faut-il pas oublier que le Venezuela demeure un important fournisseur des Etats-Unis en ressources pétrolières.

De ce qui précède, la politique étrangère du Venezuela se situe face à un défi important. Celle-ci doit se focaliser sur les solutions nécessaires pour faire sortir le pays de cette crise, susceptible de compromettre sa stabilité et sa sécurité. Pour cela, une conversion vers une politique étrangère active, prônant l’ouverture et le multilatéralisme devient plus que primordial afin d’acquérir plus d’investissements nécessaires au développement et à la croissance d’un pays en pleine transition.



Doctorant en Relations et Droit Internationaux à l'Université de Rabat (Maroc) et membre du Centre… En savoir plus sur cet auteur