La règle d’or budgétaire, une vieille histoire de verrous?

2 Janvier 2013


Le "Journal international" revient sur un article du "Monde" qui traitait de l'histoire de la règle d'or. Contrepoint.


«Aujourd’hui comme en 1926, les budgets successifs démontrent que les gouvernements ne peuvent s’empêcher d’utiliser le déficit pour satisfaire des clientèles électorales, sacrifiant l’avenir pour tenter de remporter l’élection suivante ». Voilà ce que les lecteurs du Monde ont pu lire dans l’édition du mardi 11 décembre 2012, supplément « Eco & Entreprise ». 

Pour légitimer la règle d’or, c’est-à-dire l’inscription dans la Constitution du principe de déficit zéro, David Le Bris en remonte à Henri IV, qui avait confié les trois clefs du Trésor royal au surintendant des finances, au président de la Chambre des comptes et à celui du Parlement. Si cette évocation de l’Ancien Régime ne suffit à vous faire admettre le penchant naturel du pouvoir politique au laxisme budgétaire et donc le bien-fondé de la règle d’or, David Le Bris se propose de vous remémorer l’action de Raymond Poincaré en commençant son récit à l’été 1926 : « A cette date, la situation financière de la France paraît désespérée. »

Nommé à la tête du gouvernement fin juillet par le président Gaston Doumergue, Raymond Poincaré va s’échiner à « rétablir la confiance », comprenez à garantir le remboursement de la dette. Pour ce faire, il applique des méthodes que nous connaissons bien aujourd’hui : coupes budgétaires, hausse des prélèvements et… inscription d’une sorte de règle d’or dans la Constitution ! Bien entendu, une partie des députés de gauche s’y opposent et Léon Blum ose avancer l’idée d’un impôt exceptionnel sur le capital. Les communistes chantent La Carmagnole. Archaïque on vous dit ! Finalement, la mesure est adoptée par « 671 voix pour et seulement 144 contre ». Le courage a vaincu. En apparence…

David  Le Bris prend en effet le parti de débuter son récit à l’été 1926, alors que la France fait face à des taux sur la dette très élevés (plus élevés qu’après la défaite de 1870 !), à la fuite des capitaux, à l’effondrement du Franc et à la panique des petits épargnants. Mais d’où vient cette situation ? Remontons deux ans plus tôt, en 1924, pour bien comprendre. 


Edouard Herriot et les socialistes face au mur d'argent

En 1924, la SFIO et le Parti radical forment une coalition et remporte une courte majorité à la Chambre. Edouard Herriot constitue un gouvernement que les socialistes s’engagent à soutenir sans y participer. C’est le Cartel des gauches. Le transfert des cendres de Jean Jaurès au Panthéon, l’amnistie pour les condamnations de temps de guerre, la réintégration des cheminots révoqués en 1920 ou encore l’application de la législation laïque à l’Alsace-Lorraine sont quelques-unes des propositions phare de la coalition. 

D’autre part, sous la législature précédente, celle du Bloc national regroupant nationalistes, catholiques et progressistes modérés, la dette s’est considérablement accrue. Elle passe de 150 milliards de Francs en 1918 à 338 milliards en 1924. Les difficultés financières sont par conséquent une préoccupation majeure du Cartel des gauches. Les socialistes parlent déjà d’impôt sur le capital et de consolidation forcée (transformation des bons à court-terme en bons à long terme). 

Mais, dès sa victoire, le Cartel des gauches se heurte à l’hostilité des organismes bancaires qui déconseillent systématiquement à leurs clients les bons à court-terme et à la presse conservatrice qui affole les petits épargnants. Le ministre des Finances doit donc recourir aux avances de la Banque de France. Mais cette dernière, sous la direction des « 200 familles »*, devient dès lors le bastion de l’opposition au nouveau gouvernement sur fond de spéculation contre la monnaie nationale. La Banque de France parviendra par deux fois à faire renverser le cabinet Herriot, mettant fin au Cartel des gauches. Dans la nuit du 21 au 22 juillet 1926, quelques heures après la chute du deuxième gouvernement Herriot, Raymond Poincaré est appelé par le président de la République. 

Edouard Herriot estime avoir été victime de l’oligarchie financière, et notamment des banquiers. On ne sait pas si l’expression est du président des radicaux ou de la presse de l’époque mais le « mur d’argent », qui désigne la pression exercée par les pouvoirs financiers contre un gouvernement, est à partir de ce moment-là constitutif de l’héritage de la gauche française. 

En débutant son récit à l’été 1926, David Le Bris passe donc sous silence la bataille qui a opposé le pouvoir politique aux « puissances de l’argent », pour reprendre l’expression de François Mitterrand quelques décennies plus tard. Il dépeint les créanciers comme des gestionnaires avisés et impartiaux quand ceux-ci ne font en réalité que défendre leurs intérêts, le remboursement de la dette. 

La règle d’or, une vieille histoire de rapports de force… 


* Les 200 familles désignaient les 200 plus gros actionnaires de la Banque de France (BdF) dans l’entre-deux guerres. En 1936, le Front populaire réforme la BdF, prélude à la nationalisation en 1945. 



Journaliste spécialiste des questions économiques. En savoir plus sur cet auteur