La révolution vegan : Melle Pigut, portrait d'une vegan-blogueuse (1/2)

Solweig Ogereau
11 Novembre 2014


Un sujet, une polémique. Le veganisme est régulièrement au centre des débats. Le Journal International a décidé de rentrer un peu plus en profondeur dans ce thème et d’interviewer une vegan et une nutritionniste. Première partie de ce dossier : rencontre avec une vegan.


Crédit Rick Ligthelm
Mlle Pigut, selon son pseudonyme vegan tiré de son blog, PIGUT : Petites Idées pour Grandes Utopies  donne des cours de cuisine, fait de temps en temps des animations et écrit des livres de cuisine. Elle a accepté de répondre à quelques questions pour nous présenter sa vision du véganisme.

Qu’est-ce qui vous a motivée à devenir vegan ? Depuis combien de temps l’êtes-vous ?

J’étais végétarienne depuis l’âge de 13 ans, parce qu’à l’époque je n’avais pas envie de manger des animaux, donc pendant des années et des années j’étais végétarienne sans vraiment chercher à comprendre pourquoi ou comment mais pour moi c’était une évidence de ne pas tuer des animaux pour les manger. Et puis il y a cinq ans, j’ai commencé justement à voir des choses sur Internet, voir la façon dont les animaux étaient traités, voir ce qui se passait derrière le lait et les œufs. Avant je ne mangeais simplement pas de viande ni de poisson, et quand j’ai vu un peu ce qui se passait pour les vaches laitières, pour les poules pondeuses, j’ai décidé petit à petit de devenir vegan. Au début je ne connaissais pas le mot parce que c’est vrai que c’est quelque chose d’assez récent en France. Donc j’ai arrêté de manger des œufs, du lait, j’ai refusé de manger tous les produits animaux et puis après je me suis rendue compte que ça existait et que c’était le véganisme.
 

Les premières critiques qui sont faites concernent une insuffisance en protéines dans les végétaux, comment faites-vous pour pallier à cette insuffisance ? Et comment compensez-vous l’absence de vitamine B12 ?

En fait les protéines ne constituent pas un problème à partir du moment où on mange varié. Il y a des protéines dans les végétaux, il y a même quelques végétaux qui ont les huit acides aminés essentiels – c’est vrai qu’il y a beaucoup moins de végétaux dans lesquels il y a un bon équilibre.  Il y a le soja, le quinoa, il y en a quelques autres. Mais la plupart des végétaux vont avoir tel et tel acides aminés et pas tel et tel autre, du coup c’est pour ça qu’il faut combiner légumineuses et céréales, parce qu’avec ces deux là, on sait qu’on a tel et tel acide aminé dans l’un, tel et tel acide aminé dans l’autre et donc on a ce qu’on appelle une protéine complète. Les protéines c’est un faux problème, tant qu’on mange à sa faim, on a les protéines qu’il faut. Il y a d’autres problèmes « cachés » par ce problème de protéines, parce que les gens sont mal informés, ils ont peur pour leurs protéines et ne voient pas ce qui pourrait être un vrai problème.

La vitamine B12, c’est un vrai problème : c’est une bactérie, elle était présente avant dans le sol, dans l’eau, mais elle ne l’est plus à cause de l’agriculture intensive. On la retrouve dans les animaux, qui sont, même aujourd’hui en France, supplémentés en B12. Le plus gros consommateur de B12 en France ne sont pas les vegans, ce sont les animaux. Et du coup on est obligé de se supplémenter, moi je prends un complément de B12 tous les jours, ce sont de petites pilules qu’on croque et qu’on avale.

Ca ne vous dérange pas de devoir vous nourrir en pharmacie ?

Au départ je n’ai pas accepté comme ça, je n’étais pas contente de me dire « Ah tiens je vais prendre une gélule ! », mais ce qu’il y a déjà c’est que les gens qui mangent de la viande la prennent parce à travers les animaux, donc je me dis autant aller à la source, puisque les animaux mangent eux-mêmes la pilule. Ils ne doivent en intégrer qu’une certaine partie, donc autant en prendre une moi-même. Et c’est vrai que moi de toute façon je ne veux pas blesser les animaux, donc je ne vais pas aller manger un morceau de viande juste pour avoir un peu de B12.

Prendre des gélules est une chose qui n’est pas facile à accepter, que tous les vegans n’acceptent pas, mais c’est aussi notre santé, on n’est pas là pour se rendre malade, et puisqu’elle n’est pas disponible dans la nature à cause de l’aseptisation de l’eau etc., de la façon dont nous avons « maltraité » les terres, on est obligé de prendre des pilules.

Et tout va bien, côté santé ?

Je suis devenue végétarienne très jeune mais en mangeant n’importe comment, mais ça a été quand même. Mon fer a toujours été très bas. C’est mieux depuis que je suis végétalienne, parce que je fais plus attention à ce que je mange. Le fer végétal s’assimile moins bien que le fer animal, mais en même temps il semblerait que l’alimentation animale empêche certaines absorptions. Mon B12 était tombé en flèche car j’en ai entendu parler très tard (on voit bien que le faux problème des protéines occulte les vrais problèmes !). J’ai donc fait un test et mon taux de B12 était assez bas. J’étais à peine vegan à ce moment-là, des amis omnivores se sont amusés à faire le test et il y a des omnivores qui sont carencés en B12. C’est à prendre au sérieux. Je fais aussi beaucoup de sport.

C’est difficile de savoir si on est carencé ou non puisque le taux de fer a été décidé en regardant  des gens de la population saine. Mais on ne s’est pas posé la question de savoir s’il y a un taux de fer optimal. D’ailleurs entre les pays, entre les Etats-Unis, l’Angleterre, la France, l’Allemagne ce ne sont pas les mêmes taux donc voilà, c’est un peu compliqué ; je pense honnêtement qu’on est au début de la nutrition. Moi honnêtement ça va, je fais des tests tous les ans ou tous les deux ans. J'ai commencé le végétarisme très jeune donc c'est difficile de savoir ce que ça m'a apporté mais pour moi le végétalisme s’est accompagné d’une alimentation plus saine, de beaucoup de découvertes aussi. 

J’ai l’impression d’être moins fatiguée que les autres mais ça peut être dû à mon métabolisme. Apparemment avec le végétalisme on récupère mieux. Il y a un manque de médecins formés à la nutrition en général, et végétale en particulier.

Le végétalisme n’est pas un régime dangereux en soi, il faut bien l’équilibrer, c’est vrai pour le régime omnivore aussi. Et puis, selon l’Association américaine de diététique, le végétarisme et le végétalisme sont valides pour tous âges.

Crédits Anna Verdina (Karnova)
Selon vous, y a-t-il des exceptions au rejet de l’élevage ? Est-ce que la viande produite par un fermier qui élèverait ses animaux dans le respect, sans leur fournir d’hormones, médicaments etc, serait consommable ?

Non. Moi de toute façon je ne comprends pas qu’on arrive à tuer les animaux pour se nourrir, sachant qu’on peut s’en passer. Tuer un animal c’est lui causer du tort alors qu'il peut être super bien traité… C’est sûr que je préfère ça à une industrie. Le problème c’est que quand ça existe tout le monde se dit que l’animal est bien traité, n’empêche qu’on n’est pas derrière l’éleveur tout le temps donc on ne sait pas s’il est bien traité ou non finalement, et que les abattoirs sont les mêmes pour tout le monde.

Même si ça n’avait rien d’industriel, comme un fermier qui laisserait ses animaux mourir de leur belle mort, pourquoi manger leur lait alors que ça n'est pas du tout indispensable à notre vie ? Ce serait continuer de faire passer le message qu'on a besoin d'exploiter les animaux pour vivre. C'est drôle, il y a tellement de gens qui arrachent de "mauvaises herbes" (des orties par exemples) de leur jardin sans sourciller alors qu'ils pourraient s'en nourrir, mais quand il s'agit de produits animaux, il ne faudrait jamais "gâcher" et les manger absolument. D'un autre côté, lorsqu'une femme humaine allaite, on n'a pas spécialement le réflexe de récupérer du lait pour en boire alors que c'est tout à fait comestible. On sait en plus à quel point il est fatiguant de "fabriquer du lait" pour le corps. Pourquoi faire une différence avec une chèvre, pour elle aussi, créer ce lait demande beaucoup d'énergie. Pourquoi est-ce que prendre soin d'un animal doit être "rentable", pourquoi ne pas le faire juste pour l'aider à vivre au mieux sans attendre de contrepartie (lait, œufs, etc.) ?

Pour ce qui est de vendre les produits de ses animaux, c'est encore une fois vouloir que les animaux soient rentables et passer le message de l'exploitation animale obligatoire. C'est considérer ses compagnons plus comme des produits que des êtres pour moi. Dans tous les cas, pour moi, décider de la vie d'un autre être sans son consentement, c'est déjà un problème. Et puis, puisqu'on peut se passer de consommer des produits animaux, autant laisser vivre tous les êtres comme ils l'entendent, près ou loin des humains.

Est-ce que vous pensez que bannir l’élevage causerait la disparition des espèces domestiques (puisqu’elles sont incapables de se nourrir par elles-mêmes pour une partie) ?

C’est vrai qu’elles ont été « inventées » par l’homme, puisque ce sont des espèces que l’on a croisées pour obtenir un animal qui va nous donner plus de lait. En même temps, on a imposé des espèces à certains endroits, ce qui fait qu’il y a des animaux sauvages qui eux ont disparu. Donc peut-être que tout cela se mélangerait, que ces animaux disparaîtraient et que d’autres espèces apparaîtraient. Peut-être que certains s’adapteraient. Je me sens plus concernée par la souffrance des individus que l’avenir de l’espèce.
 

Qu’en est-il du traitement des animaux dans les zoos, les cirques et les parcs aquatiques ? Soutenez-vous l’idée qu’il faut les libérer ? 

Je suis complètement contre tous ces endroits, ce sont des endroits créés pour faire de l’argent, il y a des arguments comme quoi c’est pour sauver des espèces, mais il n’y a en général qu’une cinquantaine d’espèces en danger dans un zoo, quand on voit le nombre d’espèces qu’il y a dedans, c’est une fausse excuse. D’autant qu’encore une fois ce qui m’intéresse ce n’est pas l’espèce, même si ça ne me réjouit pas qu’elle disparaisse, c’est plutôt l’individu en lui-même. En plus c’est un peu hypocrite parce que les espèces disparaissent beaucoup à cause de nous, et on les met dans des zoos pour les préserver après. Je pense qu’on pourrait faire des efforts pour faire des zones sauvages où on pourrait les laisser vivre tranquillement ou quelque chose comme ça. Enfermer les animaux en cage, dans des conditions horribles pour eux, c'est inacceptable… Un lion n’a pas l’espace dont il a besoin, ni la chaleur. Il vaudrait mieux des réserves naturelles, c’est compliqué mais ils auraient vraiment besoin de plus de place.

Les cirques je trouve ça vraiment scandaleux parce qu’ils sont encore moins bien traités, ils sont tout le temps sur la route, quand ils ne sont plus en état on les euthanasie ou on les met dans un refuge, c’est vraiment de la marchandise en fin de compte. Je suis contre ça, pour moi ce sont des êtres vivants et jamais on n’euthanasierait un humain parce qu’il ne peut pas se reproduire correctement [en référence à l’euthanasie d’une girafe dans un zoo danois il y a  quelques mois, et ce malgré une mobilisation importante, NDLR].

Les centres aquatiques et autres c’est vraiment un scandale aussi, ce n’est vraiment pas adapté du tout, en plus il y a eu plein de scandales de maltraitance, et ils ne sont vraiment pas bien installés, ils ont de petites piscines. C’est du délire, les gens viennent, ils veulent voir un spectacle – tous ces endroits, les zoos, les cirques, objectifient l’animal, alors que ce n’est pas un jouet, ce n’est pas une poupée. Pour moi ce n’est pas positif, parce que les enfants pourraient aller se promener en forêt avec leurs parents, ils verraient plein d’animaux. 
 

Un rassemblement pro-vegan lors du Melbourne Walk against Warming - crédits Takver
Le fait d’être vegan et concernée par les questions écologiques vous pousse-t-il à faire davantage attention à la provenance des aliments que vous consommez ? Mangez-vous principalement bio ?

Je mange complètement bio. Ce n’est pas forcément le cas de tous les vegans. Pour moi c’est lié sans être lié, disons qu’une ouverture d’esprit en appelle une autre, et en plus si on pourrit la planète on ne peut pas sauver les animaux donc c’est mieux de consommer bio. J’essaye de faire du local le plus possible ; j’ai quelques aliments qui viennent de loin (des bananes par exemple) ; je privilégie qu’ils viennent par bateau. J’essaie de faire attention : une planète saine c’est aussi important.

Puisqu’on parle de nourriture, il faut dire que la gastronomie française met souvent en avant la viande mais elle peut encore évoluer ! C’est vrai que la nourriture vegan industrielle n’est généralement pas très bonne que ce soit la viande ou les fromages. Mais comme ça explose, de plus en plus de trucs arrivent. Et puis, imiter permet de toucher un public plus large et à la fois d’aider ceux qui débutent. Le fromage et la viande sont très forts en goût, quand on devient vegan, végétalien ou même végétarien, on n’est plus habitué. Notre palais s’est développé : on sent le goût de la pomme. On n’a plus forcément envie d’aliments aussi forts.
 

Est-ce que cela représente un budget important ?

Je cuisine tout moi-même, la cuisine est mon métier, pour moi manger c’est important, et ne pas nuire c’est important, donc que ce soit cher ou pas je le fais. Je gagne très peu ma vie, mais enfin avant, dans les années 50, on dépensait environ 40% de nos salaires dans la nourriture, maintenant beaucoup moins, et on trouve ça normal, moi je n’ai pas d’iPod, je n’achète pas grand-chose mais la nourriture c’est important pour moi donc je dépense ce qu’il faut. En allant voir les producteurs locaux, en achetant des produits de saison etc., il y a moyen que ce ne soit pas trop gênant, mais c’est sûr que ça demande d’être conscient, de faire des recherches donc quand on est pressés ce n’est pas forcément facile. Moi je trouve que ça vaut le coup.

En plus de ça, je voyage beaucoup en camionnette aménagée. Je pars plus longtemps, je réfléchis pas mal à ça. J’aimerais bien prendre l’avion pour partir au bout du monde pour une semaine mais je ne le fais pas. Je privilégie le co-voiturage, le train. Je fais mes courses dans la grande ville à côté, une fois par semaine et je réfléchis à l’avance, si j’ai oublié un truc tant pis.

Certains parlent d’une communauté vegan, qu’est-ce que cela vous évoque ?

En tant que végétarienne, j’étais toute seule. Mon père était végétarien mais on ne partageait pas grand-chose, j’étais vraiment la seule végétarienne, je ne sais même pas si c’était pour les animaux, je ne l’ai jamais trop su, donc on se sent seul, les autres nous regardent de travers, il y a des ricanements, c’est assez dur parce qu’en plus c’est une décision qu’on prend en pensant faire quelque chose de bien, donc je me faisais un peu discrète. Avec Internet, il y a une communauté qui s’est créée, des gens qui se sont retrouvés parce qu’effectivement, les vegans, il y a plein de gens qui pensent que c’est des bobos qui habitent à Paris et qui sont plein de thunes, mais les vegans c’est plein de monde : c’est ton voisin, c’est n’importe qui, des gens de tous niveaux sociaux, des gens qui habitent à la campagne, à la ville, et Internet nous a permis de communiquer : les forums, les blogs, les réseaux sociaux. Et ça a permis premièrement de partager avec des gens qui partagent ce qu’on ressent, et ça fait du bien, ne pas se sentir jugé à chaque fois qu’on dit un truc, mais aussi de pouvoir aller plus loin, s’échanger des choses que l’on a apprises ici ou là, sur tel aliment, réfléchir sur pourquoi au fond on fait ça à tel animal. Cela fait réfléchir que ce soit philosophiquement, en théorie, en pratique, pour échanger de bonnes adresses.

Je pense que la communauté vegan c’est ça, pouvoir faire avancer le veganisme, parce que c’est vrai que forcément on a envie de sauver des animaux et on ne peut pas le faire tous seuls donc on veut que les gens voient ce qu’on fait et peut-être convaincre d’autres personnes. Après ça ne veut pas dire qu’on est tous pareils, ça ne veut pas dire qu’on est tous d’accord. Mais ça permet justement d’échanger, et on peut en discuter, on peut aller plus loin comme ça. Maintenant j’ai plein d’amis qui sont vegans, avant je n’en connaissais pas. De petits groupes se forment comme ça, de plus en plus d’ailleurs, à Nantes par exemple, ils choisissent un restaurant classique, expliquent au restaurateur ce qu’est le véganisme, et ça leur permet à la fois de faire découvrir et de manger vegan tous ensemble ; d’autres font des pique-niques.

Mlle Pigut aux côtés de Ôna Maiocco, fondatrice de Super Naturelle
Est-ce que vous avez l'impression que le véganisme attire plutôt les femmes ?

Le stéréotype de la femme sensible et de l'homme fort, en plus de l'association du véganisme à de la sensiblerie plutôt qu'à une force ont probablement joué un rôle. Je crois que jusqu'à récemment, les hommes hésitaient peut-être plus à devenir végétariens que les femmes. J'ai l'impression que du fait du développement du véganisme, de sa popularisation et de l'engagement au-delà de la nourriture qu'il représente, ça attire davantage d'hommes. En tout cas, il y a des hommes vegans, et j'ai l'impression qu'il y en a de plus en plus. Bien sûr, ce ne sont que des impressions.

Est-ce que vous prenez partie, militez ?

Je pense qu’il y a plein de façons de militer. Je signe des pétitions tout le temps. Je milite un peu toute la journée avec mon blog, pour montrer aux gens ce qui existe. Quand on est vegan on devient un peu toujours activiste rien que par notre consommation, après il y en a qui vont plus ou moins loin, il y en a pour qui c’est vraiment primordial d’être dans la rue tout le temps pour dire ce qu’ils ont à dire, moi je ne me sens pas toujours à l’aise, très franchement, d’aller manifester dans la rue, donc je choisis vraiment les manifestations qui me parlent le plus. Quand je ne peux pas y aller, je partage sur les réseaux sociaux pour que d’autres y aillent. 

Avez-vous vu beaucoup de gens se convertir au véganisme ?

Il y a de plus en plus de gens qui s’intéressent à ça. Ca existe depuis très longtemps, mais c’est resté très marginal, je pense surtout parce que les végétaliens étaient assez marginalisés, je le sais puisque j’étais végétarienne quand j’étais jeune, il y a 15 ans, on était mis de côté et du coup moi-même je n’osais pas aller plus loin, on a pas envie d’être un paria de la société alors on hésite. Et là le fait qu’avec Internet il y ait l’ouverture, qu’on voit qu’il y a d’autres gens, qu’on n’est pas le seul à penser comme ça, on peut s’entraider. C’est sûr qu’il y a une nouvelle façon de cuisiner, une nouvelle façon de consommer, une nouvelle façon de vivre, du coup ça donne des idées et tout le monde se sent plus libre de faire ça.

Avant c’était mal vu, c’est toujours plus ou moins le cas d’ailleurs mais maintenant, même si autour de soi on a que des gens qui nous font des reproches, le fait qu’il y ait d’autres gens qui pensent comme nous est rassurant. Ca fait qu’aujourd’hui il y a beaucoup plus de gens qui s’intéressent à ça, je pense qu’il y a un petit effet de mode aussi en ce moment, avec le « green » etc., mais les gens deviennent rarement vegans comme ça, parce que le véganisme c’est vraiment une éthique, ce n’est pas juste un régime alimentaire. Les gens qui ne le font pas par éthique craquent en général, parce que ne pas manger de viande parce que c’est la mode, ça ne peut pas durer longtemps. Mais parfois la nourriture vegan plaît à quelqu’un, qui par curiosité va faire des recherches, va réfléchir et arriver finalement au véganisme. Je reçois de plus en plus de messages disant qu’ils sont devenus vegans, que mon blog les a aidés.

C’est vrai que cet effet de mode véhicule aussi des clichés, et parfois avec mes amis on se dit qu’on est un cliché vivant et on en rit aussi, je ne sais pas si c’est plutôt positif ou négatif, je suis partagée, parce que ça commence, qu’on ne sait pas trop, on a envie de dire que c’est positif, ça fera autant d’animaux sauvés, ça fera autant de gens qui s’intéresseront au véganisme. Et en même temps c’est à double tranchant parce qu’effectivement, Elle qui dit                        « c’est génial, la nourriture vegan c’est trop bon » , à la fois c’est bien parce que les gens vont découvrir ça, et à la fois on ne voit pas les valeurs qu’il y a derrière, ça devient juste une question de consommation.

Quand on est vegan on a l’impression qu’on est tout le temps en représentation, quand on va dans un repas, même si on n’a pas du tout envie d’en parler. C’est parfois compliqué, parce que les gens s’en font toute une montagne, ils paniquent, donc en général c’est à nous d’expliquer, c’est ce que les vegans font le plus souvent, mais certains n’ont pas envie, et il y a des gens qui n’ont pas envie de comprendre non plus. De toute façon dans les relations sociales, quand on devient vegan c’est sûr qu’il y a quelque chose qui change. Déjà parce que ce n’est pas juste un régime alimentaire, ni même un mode de vie, c’est une valeur, c’est une éthique. Quand j’étais végétarienne, que je n’en parlais pas, je croyais que tout le monde l’avait compris et accepté, et quand je suis devenue vegan je me suis rendu compte que ce n’était pas le cas, personne n’y avait réfléchi, donc j’ai été un peu déçue que des gens que je connaissais depuis 15 ans découvrent tout à coup une partie de ma personnalité, de mes pensées, de mes valeurs, comme s’ils ne me connaissaient pas entièrement.  Ca a parfois créé un fossé, certains se sont senti dépassés par ça, moi je me suis dit que les gens changent aussi, j‘arrive à 30 ans, on a pris des chemins différents.

Il y a souvent pas mal de changements dans la vie sociale, il y en a qui arrivent à créer des liens avec leurs amis, je pense que ce sont des gens très ouverts, qui acceptent que les autres soient différents, mais c’est vrai que quand tu as des amis qui ne sont que omnivores, c’est évident que si tu commences à parler du véganisme et que tu as envie qu’on te comprenne, à chaque soirée ça va être des discussions sur toi, des moqueries – pas méchantes, mais tu es avec tes amis, tu n’as pas envie de te justifier, d’être un modèle, d’être en représentation, parfois on a l’impression d’être anti-convivial. Et c’est vrai que c’est plus agréable d’être avec des vegans, je ne le cache pas, parce que tout à coup, on peut parler d’autre chose. Et puis on n’a pas forcément les mêmes avis mais du coup on peut discuter et ce ne sera pas toujours un mur où les gens ont peur qu’on soit en train de faire du prosélytisme.  Comme tout changement dans la vie, il y a des gens qui ne l’acceptent pas – pour certains c’est quand leurs amis ont un enfant, quand ils changent de travail, qu’ils deviennent religieux. On arrive avec une différence et je trouve qu’en France les différences sont très mal acceptées, que ce soit une différence d’origine, sexuelle, de valeur.