Lac Balkhach, récit d'une catastrophe annoncée

Aisaulé Akkozhina, Rédactrice pour Francekoul.com à Astana
9 Mai 2013


Le lac Balkhach est le plus grand lac du Kazakhstan et le deuxième d’Asie centrale, après la mer Caspienne. Il est le seul lac au monde qui possède « des eaux différentes », soit une partie saline et une autre d’eau douce. Un bout de pur paradis de la nature, menacé par un destin écologique qui commence à ressembler à l’histoire tragique de la mer d’Aral. Explication d'une catastrophe annoncée.


Children enjoy swimming in Lake Balkhash in Priozersk, Kazakhstan in 2011. The city was the center of the Sary-Shagan Polygon, the testing range for anti-ballistic missiles. Crédits photo — Ikuru Kuwajima
La dernière annonce de Noursoultan Nazarbayev à propos de la voie ferrée connectant Astana avec Almaty a éveillé l’inquiétude des riverains du lac Balkhach. La ligne, qui doit être construite à travers le lac, pourrait mettre en péril l’état écologique déjà désastreux du grand lac Balkhach.

Ces dernières années ont été construits de nombreux barrages sur les affluents du lac en Chine et au Kazakhstan. Avec le développement agricole de ces deux pays, les ponctions dans le lac et les rivières affluentes sont en augmentation chaque année. Si l’on ajoute les usines soviétiques, l’utilisation d’engrais et les rejets de populations environnantes – le destin écologique du lac Balkhach commence à ressembler à l’histoire tragique de la mer d’Aral. L’histoire de ce lac - de son écologie et des dangers qui pèsent sur lui - reste cependant différente.

Le nom « Balkhach »

De nombreuses légendes sont arrivées jusqu’à nos jours à propos de l'étymologie et de l’histoire du lac Balkhach. Le peuple qui a peuplé sa bordure ouest lui a donné le nom de « Ak Teniz » (la « Mer blanche »). Les habitants de l’est l’ont appelé « Jumbak Köl », le « Lac aux énigmes ». D’où vient le nom de Balkhach ? Une des possibles traductions depuis les langues tatar, kazakh et altaïque (groupe de langue turcique se mélangeant dans la région), ce mot désigne une « contrée marécageuse, couverte de mottes » ou « mottes sur les marais ». Une autre version s’appuie sur une histoire d’amour tragique d’une jeune fille dénommée Balkia qui se serait donné la mort en disant « Que personne ne voit, ne sache mon cœur anxieux, mon âme chagrine ! ». Après cela , les habitants auraient commencé à appeler le lac Balkhach (le diminutif du prénom Balkia) en l’honneur de l’amour fidèle et pur de la jeune fille. C’est pourquoi jusqu'à aujourd'hui le peuple habitant autour du lac l’appelle aussi le lac de l’amour.

Origine et découverte

Il est difficile de dire par qui et quand a été découvert le lac. Il était déjà connu parmi les Chinois comme « Puku-Buku » dès l’année 103 avant notre ère jusqu’au VIIIe siècle. L’espace au sud du lac, entre lui et les montagnes Tian-Chan, était connu en tant que territoire des « Sept rivières », où les Turcs et Mongols ont mélangé leur culture avec la population établie et ont demeuré par la suite en Asie centrale. Les premières informations dignes de foi sur Balkhach ont été établies au XIIIe siècle par les Européens Jean de Plan Carpin et Guillame de Rubrouck. Les géologues et géomorphologues constatent que le lac existe depuis plus de 35 000 ans. Aux alentours du XXe siècle, la nature de Balkhach s’est conservée presque sous son aspect originel, avec sa flore et sa faune vierges.

La région compte de nombreux endroits inexplorés. Depuis des temps immémoriaux, la beauté du lieu était une source d'inspiration pour les hommes. Au bord des rivières et près du lac ont été faites des découvertes archéologiques étonnantes. Parmi elles, les sépulcres de l’île Tasaral, connue pour sa tradition d’inhumation singulière et un monument de l’époque du bronze : la nécropole Begazy. Les bords du lac étant plats, il est pratiquement impossible de voir le panorama du lac depuis ses rives. Le seul point de vue reste la chaîne de montagnes adjacente de Bektau-Ata (qui culmine à plus de 1000 mètres au-dessus du niveau de la mer). Par temps clair, le lac se dévoile sur plus de 100 kilomètres à l’horizon.

De l’histoire à l’écologie menacée

Children run past ruined ships abandoned in sand that once formed the bed of the Aral Sea. Lake Balkhash in Kazakhstan faces the danger of becoming another Aral Sea because of upstream diversion by China. Crédits photo — Reuters
Cette région, du milieu des steppes, a été longtemps disputée, notamment par la Chine, qui considère qu’elle ferait partie de son aire civilisationnelle et serait la frontière Nord de son empire (sous la dynastie Qing). La richesse de la région en termes de ressources est très importante, mais ce ne seront que les Russes qui les premiers au XIXe siècles commenceront à les exploiter, principalement pendant la période soviétique. Mais la Chine, à défaut de pouvoir mettre la main sur la région, ponctionne à foison les affluents du lac, pour nourrir les 150 millions de personnes que Pékin prévoit en taille de la population pour sa région du Xinjiang.

La flore et la faune de cette région sont variées : environ 60 espèces des plantes, un très grand nombre d’oiseaux, d’animaux et d’insectes. En premier lieu, comme tous les lacs steppiques du Kazakhstan, Balkhash étonne par sa variété ornithologique, avec le cygne blanc comme carte de visite du lac. On peut aussi voir des pélicans blancs, des faisans, des aigles et d’autres oiseaux.

Le bassin de Balkhach possède également une réserve importante de poissons. Ce n’est pas par hasard que les Kazakhs appelaient autrefois le lac « Balyk as » (le poisson-plat). Vingt espèces des poissons telles que la perche, la carpe, la brème, le silure, ou le sandre peuplent le lac. La perche de Balkhach ainsi que la marinka de Balkhach ou le Schizothorax argentatus ont été insérés dans le livre Rouge international des espèces menacées. Seules des brèmes et des « vobla », gardons de la Caspienne, sont encore aperçus. « La population de carpes a diminué de 95 % », et la célèbre « marinka » d'Asie Centrale a disparu, affirme le naturaliste Sergeï Talouchak.

Le lac Balkhach est le plus grand lac du Kazakhstan et le deuxième d’Asie centrale, après la mer Caspienne (qui a un statut international de Lac). Il est le seul lac au monde qui possède « des eaux différentes », soit une partie saline et une autre d’eau douce. En 1903 le géographe L .S. Berg , après avoir visité Balkhach, a déclaré que le lac était « une énigme de la nature », l’eau de la partie Est étant saline, tandis qu’à l’ouest elle était douce. Le bassin intérieur de Balkhach s’écoule dans le lac Balkhach par l’intermédiaire de sept rivières : Ili , Karatal , Aksu , Lepsy, Ayagouz. Il reçoit la plus grande partie de son eau de la rivière Ili, qui prend sa source dans la province chinoise du Xinjiang, où se développent l’agriculture et l’industrie en augmentant de plus en plus l’utilisation de l’eau. Autrefois le territoire du lac Balkhach était considérablement plus grand qu’aujourd’hui. Le niveau d’eau a baissé du fait de l’usage intensif des eaux de ses affluents pour l’arrosage. En prime, le réservoir de Kapchagay (du côté Kazakh) et le barrage sur le « Kach » du côté chinois ont été construits sur le cours d’Ili.

La menace des pollutions

« Kazakhstan and China: Oil and Water ». Crédits photo — 2013 by James Wasserman photographer
Le lac Balkhach est aussi menacé par les rejets de l’usine métallurgique construite en 1937 dans la ville de Balkhach. Cette usine est une grande source de pollution pour l’environnement, avec d’importants rejets d’eaux polluées dans le lac qui mènent à de nombreuses maladies de la faune. Les pêcheurs constatent que les poissons malades deviennent de plus en plus nombreux dans le lac, sans parler de leur disparition. La santé des pêcheurs est, également, mise en danger sans aucune considération, ceux-ci ayant besoin de s’exposer à ce danger pour travailler et produire une alimentation prisée et réputée. Le combinat, installé juste au bord du lac et à proximité des quartiers résidentiels de la ville de Balkhach, menace en même temps la santé des citadins par ses rejets atmosphériques.

« Balkhach a déjà rétréci de 2 000 km2 », affirme Zharas Takenov, qui dirige le département écologie du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) à Almaty. Le complexe métallurgique rejette une grande quantité de métaux non-ferreux dans le lac, qui pourrait disparaître comme la mer d'Aral, souligne le PNUD dans un récent rapport. Le Kazakhstan, qui pourtant veut aujourd’hui faire revivre la mer d’Aral, asséchée et rayée de la carte par les ingénieurs soviétiques, ne semble pas aujourd’hui afficher une volonté réelle de prévention d’une catastrophe similaire déjà en chemin et qui aurait des conséquences désastreuses pour l’ensemble du pays.