Le grand Magal, le plus grand pèlerinage du Sénégal

Thomas Delattre, correspondant à Dakar, Sénégal
9 Janvier 2015


Le 11 Décembre dernier, le Grand Magal de Touba a rassemblé des millions de fidèles. Principal événement religieux du Sénégal, il revêt de plus en plus un rôle fédérateur dans une société aux influences multiples. Entre dévotion et récupération politique, le Sénégal vit au rythme du Magal pendant toute la durée du pèlerinage. Reportage.


Crédit Thomas Delattre
« Touba! Touba! Touba! » Dans le vacarme des moteurs et des klaxons, l'appel des poinçonneurs peine à couvrir l'agitation ambiante. Groupés en essaims, les bus attendent les pèlerins pour entamer leur longue route vers la ville sainte du Sénégal. La lumière crue de la station service tranche avec la nuit. Dans les cars bondés, les fidèles attendent en silence, dans un calme assoupi. Il est 4 heures du matin. Dehors, les chauffeurs de taxi invectivent les indécis, et les vendeurs ambulants proposent cacahuètes et café. Les véhicules s'ébranlent enfin, et une colonne peu ordonnée prend le chemin de Touba.

La vingtaine, les épaules larges, Pape se rend lui aussi en pèlerinage. Parti la veille de Saint-Louis, le jeune homme est sur la route depuis une dizaine d’heures. Pas de quoi entamer son enthousiasme. « Je vais rejoindre ma famille » annonce t-il avec entrain, « ​ils sont tous là-bas ».

Arrivé à Touba, Pape se rue hors du bus. « On y est », lance t-il avec un grand sourire. Dès la gare routière, le pèlerin est assailli par les appels à la prière provenant des haut-parleurs. Dans les rues de la ville, les passants jouent des coudes, recouvrant leur visage de tissus pour échapper aux trombes de poussière. Pape marche d'un pas leste parmi la circulation dense des taxis, des bus et des charrettes. Il s'arrête finalement à l'entrée d'une maison à la peinture défraîchie où une trentaine de membres de sa famille s'affairent. Un groupe de femmes cuisine le repas du soir tandis que des enfants vont et viennent. Installés sur une natte, un groupe d'hommes discute des festivités. « ​La véritable fête, c'est le soir » explique Pape, une lueur d'excitation dans les yeux.


Entre dévotion et recueillement

Comme chaque année, le 18 Safar du calendrier hégirien (11 décembre en 2014), des centaines de milliers de mourides convergent vers Touba pour le Grand Magal, principal événement religieux du Sénégal. Le mouridisme est une branche de l'islam qui s'est développée autour de la personne de Cheikh Ahmadou Bamba. Il mêle aux enseignements du prophète Mahomet des valeurs issues de la culture wolof et est pratiqué aujourd’hui par 28% de la population sénégalaise.


Né en 1853, Ahmadou Bamba prêcha l’islam dans une société sénégalaise bouleversée par la colonisation. Malgré une doctrine qui se veut pacifique, il est exilé au Gabon en 1895 par les Français, qui le voient comme une menace pour leur domination. Il ne revient à Dakar qu'en 1902, sous les acclamations d’une foule qui le pensait mort, avant d’être de nouveau exilé en Mauritanie pendant quatre ans. Aujourd'hui, une mythologie fournie s'est développée autour des actions et miracles du saint homme. D’après la légende, treize soldats coloniaux se seraient écroulés, morts, au moment d'exécuter Bamba. Fondateur de Touba, où il est enterré, les fidèles y commémorent son départ en exil à l'occasion du Magal.

Les fidèles patientent des heures durant, groupés en une foule compacte, pour pouvoir approcher le mausolée de Bamba et de ses descendants, point d'orgue du pèlerinage. Dans la grande mosquée, les plus fervents lisent le Coran pendant des heures. Le Magal permet aussi aux Mourides de rencontrer leurs chefs spirituels, qui prodiguent conseils et directives pour l'année à venir. Ainsi, le calife général enjoint cette année les sénégalais à se mettre au travail, car « un pays ne saurait se développer à travers les mondanités » argue t-il. Certains reprendront la route en fin d'après-midi, leurs actions de grâce accomplies. Ceux qui comme Pape dispose d'un pied-à-terre, continueront de célébrer Bamba et les retrouvailles familiales jusque tard dans la nuit.

Une importance sociale et politique

« Toutes les familles religieuses du Sénégal et de la région participent au Magal, c’est bien plus qu’un événement religieux » affirme Serigne Bassirou Abdou Khadre, porte-parole du calife général, autorité religieuse mouride.  « ​Le mouridisme est une source de stabilité et de concorde nationale » poursuit-il. D’après les organisateurs, pas moins de quatre millions de pèlerins se seraient rendus à Touba cette année. L'état sénégalais s'est fortement impliqué dans l'événement. 1300 policiers et 160 hommes du service d'hygiène sont déployés, et l'armée distribue petits pains et café, afin d'assurer la sérénité du moment. Pour être certain que les assiettes soient pleines, 3500 tonnes de riz sont distribuées, dont 2000 réservées aux indigents. 

Le Magal est aussi l'occasion pour les hommes politiques de faire acte de présence. Abdoulaye Wade, premier président mouride du pays de 2000 à 2012 s'est rendu à Touba le weekend précédant les célébrations. En pleine reconquête depuis sa défaite électorale face à Macky Sall, il a reçu un accueil des plus chaleureux. Le symbole d’un clientélisme qui ronge la politique sénégalaise affirme Moustapha Cisse Lo, député fidèle a Macky Sall. D’après lui, l’ancien président aurait fait distribuer de l’argent aux fidèles : « ​Il loue des gens et fait semblant d'avoir mobilisé. Il utilise l'argent qu'il a volé, et ce sont des milliards ». La ferveur religieuse n'aura pas effacé les divergences politiques.

A l'heure du départ, les bus et taxis reprennent leur ballet matinal tandis que chacun tente de trouver un transport. C'est avec la sensation du devoir accompli qu'ils rentrent, profitant du trajet pour débattre de politique, entre partisans et opposants de l'actuel président. Sur les murs bordant la chaussée, des graffitis, derniers témoins de la ferveur du Magal, déclarent tous « ​Bamba merci ».