Le passé, la palme de Cannes ?

Colomba Poinsignon
19 Mai 2013


En compétition au festival de Cannes, le film du réalisateur iranien éblouit par sa force émotionnelle et la maîtrise de l'écriture et de la mise en scène. A voir absolument !


Le nouveau film d'Asghar Farhadi est-il la future palme d'or de ce festival de Cannes ? Rien ne saurait le dire tellement la sélection comporte de réalisateurs aguerris et talentueux (James Gray pour n'en citer qu'un seul). Écrit et réalisé par lui-même, le film de Farhadi ne manquera pas cependant de remporter l'adhésion sans bornes du jury et des spectateurs. Avec un scénario presque trop simple, un couple qui tente de s'unir et un secret qui les encombre, le réalisateur nous plonge dans les arcanes sentimentales d'une famille recomposée. Marie va se remarier avec Samir, elle a deux filles, Léa et Lucie, il a un fils, Fouad. Ahmad a vécu longtemps avec Marie et ses filles, il revient d'Iran pour officialiser leur séparation, après quatre ans d'absence. Samir a une femme qui est dans le coma.

Rien n'est prévisible dans cette histoire pourtant simple, ni les états d'âme de Lucie, l'adolescente de Marie, ni l'assurance d'Ahmad. L'intrigue n'est pas véritablement policière mais soulève des questions que le spectateur et les personnages luttent pour résoudre. Les dialogues ayant pour but la résolution d'une interrogation sont nombreux, sans que cela ne provoque l'ennui. Handicapés par des raisonnements trop subjectifs qu'ils prennent pour intangibles à la manière des enfants, les personnages sont souvent victimes d'incompréhension mutuelle, chacun étant persuadé d'avoir raison. Ce qui est souvent le cas tant l’ambiguïté des rapports humains est une donnée essentielle du film. M'aimes-tu assez pour me pardonner ? Qui choisir entre celle qui n'est plus vraiment là et celle qui est encore attachée à un autre homme ? Peut-on oublier toute cette histoire sordide (ce n'est jamais très joyeux dans l'imaginaire de Farhadi) ? Suis-je encore quelque chose dans cette maison que j'ai longtemps habité ? Ces questions simples ne sauraient définir entièrement les personnages, tant elles se retournent et se complexifient sans cesse au gré des découvertes, des réactions et du pouvoir de la discussion.

Malgré un scénario sans originalité particulière et un déroulement des événements systématique (selon le schéma hésitation, révélation, retournement), l'incroyable densité des relations entre les personnages, immergés dans des situations trop difficiles à appréhender seul, crée une toile éblouissante de tensions, de moments tendre, embarrassants ou drôles, tous vrais. Lors de dialogues percutants, parfaitement éclairés, les acteurs déploient avec force leurs personnages, sauvages et profonds. Ils sont tous exceptionnels, en particulier les deux jeunes enfants, Elyes Aguis et Jeanne Jestin, qui jouent Léa et Fouad. Ils ont un véritable jeu d'acteur et une présence, étonnants à cet âge. Ces personnages secondaires sont là et font partie intégrante du réseau de liens affectifs. Ils sont presque l'âme de la maison de Marie.

Cette dernière, à côté du RER mais parsemée de couleurs chaleureuses et diverses, est le théâtre principal de ces déclarations ou affrontements. Le drame qui se joue sous nos yeux trouve des échos dans ce lieu si présent à l'écran. Ahmad débarque dans cette maison et cette famille qui ne sont plus tout à fait sienne. La maison achève sa mue, avec une nouvelle  peinture et de nouveaux lustres, à l'image de la famille en recomposition qu'il va malgré tout aider à reconstruire sur des fondements sains. A ce personnage attachant mais peu présent car attaché à son pays natal, l'Iran (peut-être un avatar du réalisateur lui-même), répond celle qui est là sans l'être, la femme de Samir. A ces deux personnages est associée l'idée du temps qui passe lorsqu'on est loin : personne ne vous attend, pour pouvoir survivre et aller de l'avant. L'éloignement peut être géographique ou mental, la dépression étant aussi un point commun entre Ahmad et la femme de Samir.

La famille, la dépression, l'angoisse, la tristesse ne sont que des exemples de l'incroyable richesse des thèmes abordés dans ce film avec finesse et travail esthétique. Rien n'est trop lourd ou inutilement rabâché. Une palme d'or serait méritée.