Les Routes au Togo : entre vétusté et abus des institutions

15 Mai 2015


Au Togo, les citoyens souffrent actuellement et depuis longtemps du mauvais état des routes dans leur pays. Bien que ce sujet soit peu abordé dans le monde, un nombre considérable d'individus est aujourd'hui victime de cette vétusté. Routes peu fréquentées et abîmées, chemins chaotiques, véhicules non entretenus, sécurité routière non respectée, corruption : autant de facteurs à risque qui font que de nombreuses vies restent aujourd'hui sur le bas-côté des chaussées togolaises.


Crédit Marion Chevalier
Léo, habitant de Lomé, capitale du Togo, depuis 30 ans, confie : « Ici, l'état de nos routes est catastrophique ». En scrutant l'horizon, l'aspect des routes togolaises est bien éloigné des paysages urbains occidentaux. A Lomé, les conditions de circulation sont difficiles et les routes goudronnées se font rares. Alors que la ville abrite plus de 800 000 habitants, elle compte « seulement 3 grandes routes » comme explique Kossi Emile, 29 ans.

En réalité, ces axes sont très peu nombreux. La ville est presque uniquement composée de chemins de terre parfois aussi larges qu'une deux fois deux voies. Le trafic sur les axes principaux est très dense. Motos, voitures, camions, roulent souvent à plusieurs sur une même file, au coude-à-coude. La plupart du temps, il n'y a pas de terre-plein central ni de ligne blanche au milieu de la route pour borner la largeur de la voie.

C'est donc la densité du trafic dans un sens et dans l'autre qui détermine la limite de chacune des voies. Outre les véhicules, il y a aussi de nombreux marchands sur le bord de la chaussée. Ces vendeurs slaloment sur la route à chaque feu rouge afin de vendre leurs produits (fruits, légumes, eau, téléphones, mouchoirs...).

Ces axes sur-bondés, malheureusement sources d'accidents, ne sont cependant pas les seules causes de décès. L'entretien de ces routes laisse à désirer. De nombreux nids-de-poule, affaissements de la chaussée, trous dans le béton et autres types de dégradations entachent ainsi la sécurité de la circulation. Au-delà de ces rares axes, il n'existe pratiquement que des chemins de terre dans les villes rurales où les risques sont tout autres.

Au Togo, en dehors des villes, d'autres insécurités routières existent. Selon Léo, « l'état de nos routes est un délabrement total, surtout dans les zones rurales où c'est une catastrophe ». Dans le pays, celui qui souhaite sortir de la ville pour se diriger dans les montagnes doit avoir un klaxon aiguisé. De nombreux villages ne sont accessibles que par le biais de petits sentiers étroits et chaotiques.

Puisqu'il est quasiment impossible de se croiser sur ces chemins de montagne, les conducteurs ont tous pris l'habitude de klaxonner de manière très régulière afin d'être entendu par quiconque arriverait en face, au détour d'un virage. Sur ces routes de montagne, il faut également s'attendre à croiser de nombreux camions, sortant des champs, pleins à craquer d'ananas, de bananes, de maniocs ou d'ignames, ramenant leur cueillette dans les grandes villes situées en aval. Ces trajets sont dangereux.

Les charges transportées sont énormes. Une fois le camion plein, les cagettes en trop sont bien souvent ficelées sur les toits ou débordent par les fenêtres. Tout le stock doit partir, coûte que coûte. Ce capharnaüm ambulant représente de vrais risques pour le conducteur qui fait le trajet seul (pour économiser de la place), et qui s'aventure à descendre des routes sinueuses et arpentées. Les pneus des camions souffrent sous le poids de la charge. Le véhicule est déséquilibré et risque de chavirer à chaque tournant.

« Amène-moi vite »

Pour se déplacer dans Lomé, ou même en dehors, la solution choisie majoritairement reste la moto. Selon Kokou, un togolais de 25 ans, « la plupart des habitants n'ont pas leur propre véhicule » et utilise donc le taxi moto : le « zem ». « Zem » est l'abréviation de « zemidjan » qui signifie « amène-moi vite ». Ces taxis motos ne sont pas identifiables à première vue puisque rien n'indique qu'ils sont taxis. Ils se confondent totalement avec les autres chauffeurs.

A l'inverse, les taxis voitures ont un toit jaune pour être reconnaissables. Bien souvent, lorsque les chauffeurs de zems voient des piétons sur le bord de la route, ce sont eux qui s'arrêtent pour proposer leurs services, parfois de manière insistante. Sinon, pour les solliciter, il faut attirer leur attention en criant « pssssst » et en leur faisant signe de s'approcher.

Qu'il s'agisse de la voiture ou de la moto, les passagers paient « à la place » et ne louent pas le véhicule comme en Europe. Sur un taxi moto, le chauffeur peut prendre jusqu'à 2 passagers. Kossi Emile explique que, « normalement, c'est interdit d'être trop sur la moto ou dans la voiture mais la corruption permet cela ».

Léo ajoute que même si prendre deux passagers expose les chauffeurs au risque, « parfois ils prennent un ou deux passagers en plus pour pouvoir joindre les deux bouts ». Pour le taxi voiture, un chauffeur peut prendre au maximum 7 passagers, pour un total de 8 personnes dans la voiture.

Au Togo, autant pour les taxis motos que pour les voitures, il n'y a aucun compteur pour déterminer le coût de la course. Avant d'embarquer, le passager indique le lieu où il souhaite se rendre, le taxi propose un prix. Après négociation, les deux parties trouvent un accord. Lorsque qu'un taxi dépose son passager, celui-ci n'a plus qu'à payer le chauffeur. Si le taxi avait plusieurs passagers, alors chacun paie de manière individuelle ce qu'il doit.

Les arnaques sont rares, exceptées parfois chez les femmes qui rentrent en taxi seules la nuit. Dans ces situations, certains chauffeurs annoncent parfois un prix plus élevé à l'arrivée que ce qui avait été fixé au départ. Si les femmes refusent de payer plus, les chauffeurs les suivent chez elles et font du bruit afin de réveiller leurs voisins. Pour éviter de tels scandales, les femmes paient souvent à contre-cœur le prix demandé par le taxi.

« Quand il pleut, c'est le chaos »

« Les situations les plus dangereuses, c'est quand il pleut » explique Léo avant d'ajouter, « quand il pleut, c'est le chaos, c'est de la boue... bref , il est très difficile de circuler ». Lorsque la pluie tombe sur Lomé, tous les chemins de terre se transforment en chemins de boue. C'est extrêmement dangereux. Les motos s'enlisent et restent parfois coincées. Les motards doivent alors descendre de leur deux-roues, mettre les pieds dans la boue et tenter de sortir leur véhicule de terre. Les motos patinent, le sol est glissant.
Crédit Justine Rodier

Un dérapage peut arriver à tout moment. Outre la boue, des immenses flaques se forment sur la route. Les motards essaient du mieux qu'ils peuvent de slalomer sur ces routes semblables à de véritables gruyères. Mais, il est très risqué de slalomer dans la boue, et les chauffeurs se retrouvent bien souvent nez-à-nez avec d'autres motos qui slaloment entre les flaques en sens inverse.


D'autres fois, les flaques immenses recouvrent la totalité de la route, les zems n'ont pas d'autre possibilité que de traverser les flaques, parfois assez profondes. Léo indique que, « l'eau occupe toute la route car les caniveaux ne sont pas bien faits ». Certains habitués, pour éviter les sentiers boueux et bondés où les risques d'accidents sont grands, décident d'emprunter d'autres chemins. Ces voies secondaires sont tout autant boueuses mais le trafic y est moindre, ce qui permet de diminuer le danger. Cependant, contourner les zones à risques demande de faire un détour assez important, ce qui double parfois le temps de trajet. Si les particuliers n'hésitent pas à le faire pour protéger leur sécurité, les taxis motos, pressés de déposer leur client pour en transporter un nouveau ne s'accordent pas le temps de faire des détours.

Les failles et abus du système

Mis à part ces explications, d'autres facteurs à risques sont bien présents et non négligeables, notamment le mauvais états des véhicules. Pour commencer, Kossi Emile signale que, « pour les taxis voitures, il faut un permis, des papiers, des tas de certifications... mais pour les motos ce n'est pas un besoin : n'importe quel particulier peut en fait décider de transporter des gens ». Cette affirmation assez inquiétante fut vite amplifiée par Kokou, « tous les chauffeurs de taxis moto savent conduire mais tous n'ont pas leur permis de conduire ».
Crédit Justine Rodier

Au Togo, il est en fait très facile de s'improviser taxi, seule une moto suffit. Ensuite il ne reste plus aux chauffeurs qu'à transporter des passagers. Si par malheur un contrôle de police devait arriver, rien n'empêche de dire que le passager est un ami ou un membre de la famille qui ne paiera pas la course. L'entretien des véhicules laisse également à désirer. Sur certains zems, il n'y a pas de rétroviseurs. Les pneus ne sont pas toujours correctement gonflés.

La police arrête parfois des zems afin de les contrôler. Le point qui fâche le plus en règle générale est le port du casque. Léo explique, « Pour le port des casques, c'est rare de voir les usagers et les chauffeurs de taxis moto en porter. » Se protéger la tête est pourtant obligatoire, pour le chauffeur, et pour le passager. Lorsqu'un policier attrape un zem, si un des usagers n'a pas de casque, c'est toujours le conducteur qui est pénalisé.

Kossi Emile indique que « le plus gros risque est toujours pour le chauffeur, c'est lui qui paie car on lui confisque sa moto ». Les chauffeurs essaient donc autant que possible de se munir d'équipements. Léo précise que « ceci est difficile à cause du manque d'argent pour acheter les casques. Ils sont très chers. » La police essaie donc de contrôler les routes pour faire respecter au mieux la sécurité.

Une importante corruption reste cependant régulière chez les forces de l'ordre. Léo alerte que « la police joue son rôle, même si elle est corrompue, sur les routes elle prend de l'argent chez les chauffeurs de taxi et chez les motos ». Au Togo, les zems et les motos sont en effet les plus ciblés par la police. Dans ce pays, la corruption des forces de l'ordre est malheureusement bel et bien présente.

Ainsi, même si tout est en règle, les policiers inventent parfois de nouvelles exigences pour les chauffeurs qui ne peuvent rien faire d'autre que d'user de la corruption pour ne pas payer d'amendes. Le problème de corruption n'est pas un phénomène à négliger puisqu'il a beaucoup plus de conséquences qu'on ne peut le penser. Les répercussions de ces malversations se font sentir sur la vie au quotidien de nombreux citoyens.

Au niveau économique, les phénomènes de corruption dont sont victimes les chauffeurs ont en fait de réelles conséquences sur le pouvoir d'achat des habitants et donc sur leur niveau de vie. Léo confirme, « les chauffeurs doivent corrompre, le coût du transport est donc cher et du coup, les prix des produits augmentent ». En effet, les chauffeurs de camion déboursent des sommes supplémentaires pour emmener leur cargaison à bon port.

Une fois devant les marchands, ils demandent donc une somme plus conséquente pour la livraison de la cargaison. Par ricochet, les vendeurs doivent hausser le prix de vente de leurs produits afin que cela soit rentable pour eux. Les personnes directement touchées sont les foyers les plus pauvres qui perdent en pouvoir d'achat.

Ce sont également les marchands qui ne parviennent pas à vendre la totalité de leur stock du fait des prix trop élevés, les consommateurs n'étant plus intéressés. Le mauvais fonctionnement des routes n'est donc pas bénin et agit sur toute l'activité d'une société.

Pour finir, une dernière faille est à déceler dans le système : l’État n'investit pas assez dans les routes. Ces dernières années, une légère modernisation des routes a pu être constatée. De nouveaux travaux ont lieu actuellement pour faciliter la circulation dans le pays. Bien que l’État semble se préoccuper un peu plus des conditions routières, la face cachée du gouvernement est toutefois plus sombre.

Kossi Émile explique qu'un système de taxation a été mis en place, « les taxis donnent des sous à l’État tous les mois, c'est un impôt qu'ils paient pour que les routes soient rénovées. » Au premier abord donc, l’État paraît impliqué. Mais Kossi Émile poursuit, « sauf que bien souvent, les routes ne sont pas rénovées et les impôts sont toujours là. ​»

L’État garde cet argent pour lui. Mis à part les taxis, d'autres aides sont accordées à l’État pour qu'il assure la sécurité routière. Mais une fois encore, Léo avoue, « L'Etat se sert des aides venant de la communauté internationale, d'une petite partie des ressources financières venant des institutions du pays. Mais la grande partie, ça finit dans leurs poches, laissant ainsi la population dans la souffrance. »

Il semble donc que deux défis restent à relever pour le gouvernement : investir dans la réhabilitation des routes et faire taire la corruption. Il ne reste plus qu'à espérer que l’État ait vite ce déclic afin d'éviter de nouvelles victimes de la circulation et afin de permettre un meilleur fonctionnement de l'économie qui ne serait enfin plus perturbée pas des éléments extérieurs néfastes.





Etudiante en licence de Science Politique, j'ai toujours été curieuse de découvertes, ce qui me… En savoir plus sur cet auteur