Libye : Apocalypse now, oui mais après ?

Arnaud Salaun
15 Juillet 2014


Pour la seconde fois depuis le renversement de Kadhafi, la Libye a été appelée aux urnes fin juin. Deux ans après l'organisation du premier scrutin libre du pays, rebelote donc, et échec de nouveau.


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Les 200 membres du Congrès général national (CGN), ersatz de Parlement, ont été élus par une minorité de Libyens, 630 000 sur les 3,4 millions d'électeurs éligibles. Une abstention en forme de désaveu, rien de surprenant. Le Congrès libyen est à l'image du pays : un Far West. Le fiasco de la transition démocratique favorise l'idée qu'un retour à la monarchie constitutionnelle pourrait constituer une solution provisoire. Peut-être pas si bête.

DES SUBDIVISIONS SURARMÉES

Anticipant la chute de Mouammar Kadhafi, les rebelles créent un Conseil national de transition (CNT) quelques mois avant sa mort en octobre 2011. Le CGN, élu pour la première fois le 7 juillet 2012 au suffrage universel, s'y substituera ensuite. En février 2014, une assemblée constituante voit le jour. Autant d'échecs. L'autorité du CGN, noyauté par les islamistes radicaux, est friable, la mission de l'assemblée constituante est un échec. Jusqu'à présent, aucune Constitution n'a vu le jour.

L'Etat n'assure pas ses fonctions régaliennes. Les populations ne jouissent d'aucune sécurité. De Tripoli à Tobrouk, le pays est ravagé par des bandes armées ayant fait main basse sur les dépôts de Kadhafi. En l'absence d'observateurs sur place, il est difficile de dénouer avec précision le noeud d'intrigues qui agitent la Libye. Pour se faire une idée de la situation d'ensemble, on peut cependant se représenter un pays dans lequel il suffit à une poignée d'individus de posséder grenades et AK-47 pour prendre le contrôle d'un quartier, d'un village, d'une route, y dresser des barrages, organiser un racket.

Ces milliers d'électrons libres gravitent autour d'environ 150 tribus, entretenant elles-mêmes des rapports plus ou moins étroits avec des mouvances qui surnagent en fonction des régions du pays. Berbères à l'ouest, contrôlant le trafic de pétrole et de produits chinois ou turcs en direction de la Tunisie. Fédéralistes partisans de l'indépendance à l'est, s'appropriant ou libérant, au gré de leurs humeurs, les ports pétroliers du coin. Milices arrimées au "Bloc de la fidélité au sang des martyrs", groupe islamique représenté au sein du CNG, à Misrata, au centre-nord. Première ville portuaire du pays, Misrata héberge également un certain nombre de mafias turques, et sert de point de passage vers l'Europe à la cocaïne sud-américaine et à l'héroïne afghane. Le sud de la Libye, vaste région désertique, est quant à lui hors de portée des radars. Dans ces conditions, on en est réduit à s'imaginer. Et on s'imagine facilement le pire.

LA LIBYE, PAYS DE COCAGNE POUR DJIHADISTES

Paradis pour contrebandiers de tout poil, la Libye version post-Kadhafi est aussi celui des djihadistes. Dans le nord, deux factions amies, et répondant toutes deux au nom d'Ansar Al-Sharia, sèment la terreur. La plus importante, originaire de Benghazi, deuxième ville du pays après Tripoli, est emmenée par Mohammed al-Zahawi. Son principal fait d'armes : l'attaque contre le consulat américain de Benghazi, le 11 septembre 2012, ayant entrainé la mort de l'ambassadeur Christopher Stevens. Le procès d'Ahmed Abou Khattala, cerveau présumé de l'opération, vient de s'ouvrir à Washington. Pour l'instant, l'homme plaide non-coupable.

Dans son genre, l'autre Ansar Al-Sharia n'est pas mal non plus. Dirigée par Abou Sofiane Ben Qoumou, ancien pensionnaire de Guantanamo, son centre névralgique se trouve à Derna, ville servant de base de départ de djihadistes à destination de la Syrie ou du Sinaï. Par capillarité, ces formations imbibent la plupart des villes côtières du pays, tandis qu'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) aurait étendu son entreprise dans tout le sud.

Aussi assiste-t-on depuis plusieurs mois à un déferlement d'attentats terroristes, de meurtres, d'enlèvements ou de vols imputés aux islamistes radicaux. Une violence impunie, sauf à de rares exceptions. Le 7 avril dernier, à la sortie de Derna, un des bras droits de Ben Qoumou est retrouvé criblé de balles. L'acte sera revendiqué par un certain "service de renseignement de Derna"groupuscule luttant contre l'obscurantisme.

APOCALYPSE NOW, OUI MAIS APRÈS ?

Mais sinon, rien ou presque n'empêche la marche tranquille du fanatisme. Ayant publié des photos d'elle au bureau de vote sur sa page Facebook, mercredi 25 juin, Salwa Bouguiguis, une avocate et militante des Droits de l'Homme, a été exécutée dans son domicile de Benghazi le soir même par des hommes cagoulés. Son mari est porté disparu.

Certains, à l'image du général à la retraite Khalifa Belqasim Haftar, tentent bien de reprendre par la force le contrôle du pays. Ancien proche de Kadhafi trahi par le dictateur, il rejoint les Etats-Unis en 1990 et s'installe à deux pas du siège de la CIA, avant de retourner en Libye en 2011 pour participer au soulèvement populaire.

Depuis, épaulé par des milices et des unités de l'armée régulière, il n'a de cesse de ferrailler contre les radicaux, et de prôner un modèle démocratique. Ses intentions sont louables mais l'homme ne bénéficie d'aucune assise populaire, et se heurte à un problème de taille : la Libye n'est pas prête. Force est de constater qu'on n'instaure pas la démocratie ex-nihilo. Les exemples afghan et irakien en attestent. Ministre des Affaires étrangères du pays, Mohamed Abdelaziz va dans ce sens : "Pour le moment, il n'y a pas la maturité politique nécessaire pour mettre en place des institutions démocratiques nationales".

L'échec de la transition démocratique est à l'origine d'une idée de plus en plus répandue au sein des cercles d'influence du pays, mais aussi internationaux. Et si on réinstaurait la monarchie constitutionnelle ? De 1951, date de son indépendance, à 1969, date du coup d'Etat de Kadhafi, la Libye est en effet gouvernée par le roi Idris 1er. La Constitution qui faisait alors autorité, préparée par des représentants des trois provinces de Libye sur la base d'une résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies, est considérée comme un texte équilibré. Elle consacre les libertés fondamentales, assure la souveraineté à la nation, encadre les prérogatives du roi, garantit la séparation des pouvoirs. Bref, peut-être pas le Pérou, mais on s'en approche.

"En l’absence de chef charismatique, alors que le pays, riche par ses ressources et sa population éduquée et peu nombreuse, doit impérativement maintenir son unité pour assurer sa survie, le retour à la monarchie (constitutionnelle) peut constituer une voie d’apaisement de nature à rétablir la concorde, l’autorité de l’Etat, l’union de la nation et des tribus autour d’un principe spirituel et politique qui renouerait avec l’histoire de la Libye indépendante brisée par les années de fureur", soutient Jean-Yves de Cara, professeur à l'université Paris Descartes. Un come-back de la famille al-Senoussi, sur le trône de 1951, date de l'indépendance de la Libye, à 1969, date du putsch de Kadhafi, ne serait pas à exclure.