Manifeste Citoyen : la réponse citoyenne à la crise de l’UE

3 Décembre 2013


Le 3 décembre, Alternatives Européennes, organisation européenne transnationale qui met en avant des alternatives à la construction européenne telle qu’elle s’organise actuellement, lance son Manifeste citoyen. Entretien avec Alessandro Valera, responsable du département Politique et Participation à Alternatives Européennes.


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Après trois ans de consultations citoyennes, débats et tables rondes, ils proposent une réponse citoyenne à la crise avec un nouvel agenda légal et politique. Cet agenda se concentre sur des sujets tels que la réforme financière, le droit du travail, l’État providence, le pluralisme des médias, l’immigration et les conditions de détention.

Le Journal International : Un manifeste citoyen. À cela quoi correspond-il ?

Alessandro Valera : L’Union européenne est presque devenue un État. L’UE est responsable de de plus en plus de domaines qui nous touchent au quotidien. C’est parce que l’Union européenne devient un État que nous pensons que les Européens doivent devenir des citoyens. Il n'y a pas de démocratie réelle sans citoyenneté active. C’est de la responsabilité de chacun de s’assurer de ce qui se fait au niveau institutionnel. Et c’est exactement le but du Manifeste.


JI : En quoi le manifeste est-il différent des autres outils de participation disponibles dans toute démocratie (élections, pétitions…) ?

A.V. : Actuellement, le seul véritable outil que nous possédions est le droit de vote aux élections européennes. Et ce droit n’est utilisable que tous les cinq ans. Le Parlement européen est l’un des seuls Parlements au monde qui ne peut initier de législation. Il agit davantage comme un organe consultatif. Ceci explique pourquoi la participation n’a cessé de décliner depuis les premières élections en 1979. C’est une illustration du manque d’intérêt et du manque de confiance des Européens envers les problèmes de l’Europe. Les gens n’arrivent pas à s’imaginer que leur vote puisse changer quelque chose en Europe. Avant 2009, les gens ne savaient pas vraiment de quoi se chargeait l’Europe. Cette situation commence doucement à changer (surtout dans la zone euro) et les citoyens commencent à comprendre de quels domaines l’UE est en charge. Ils commencent à comprendre que certains problèmes ne peuvent être résolus que par l’UE.

Notre objectif est d’aider le maximum de gens à le comprendre.Avec le Manifeste, nous souhaitions rendre leur sens à ces élections. Pour le moment les élections européennes concentrent envers elles toute la colère populaire que les gens ont contre leur propre gouvernement. On entend souvent parler de déficit démocratique. Cela signifie que les députés européens doivent être élus par les citoyens européens pour les solutions qu’ils apportent aux problèmes européens et non aux problèmes nationaux.

Nous essayons donc de combler ce déficit en impliquant les citoyens et en leur permettant d’exprimer leurs opinions et leurs priorités. Nous souhaitons réduire au silence les critiques qui dénoncent le manque d’implication des citoyens dans le processus démocratique européen. On sent toutefois poindre un certain intérêt (quoique timide) autour des problématiques européennes. Nous essayons donc de les réunir dans le Manifeste.


JI : Cette approche est-elle une manière d’impliquer les citoyens dans le processus de décision ? Comment pensez-vous pérenniser cet intérêt et cette implication dans le futur ? Êtes-vous toujours en contact avec certains des participants du Manifeste ?

A.V.
: Le Manifeste comprend une liste de remerciements de quatre pages. Cette liste illustre le succès populaire du Manifeste. Le réseau Transeurope a été créé à la suite de ces tables rondes. Lorsque les gens ont réalisé l’importance de ce que nous avions entrepris, certains d’entre eux ont décidé de nous rejoindre et de créer des groupes locaux d’Alternatives européennes dans leurs propres villes.
Nous ne souhaitons toutefois pas que le mouvement soit peuplé uniquement de membres politiquement actifs. Nous souhaitons inclure le maximum de citoyens et nous organiserons des caravanes à la suite du lancement du Manifeste. Ces caravanes traverseront l’Europe et s’arrêteront dans certaines villes afin de présenter le Manifeste. Nous écouterons évidemment avec attention les commentaires qui pourront nous être adressés. Enfin nous écouterons et conseillerons les citoyens qui pensent que leurs problèmes ne relèvent pas de l’UE.

Pour remettre ceci en perspective je peux vous citer un exemple. Nous avons assisté à une manifestation dans le sud de l’Italie contre la production chinoise de tomates estampillées « produites en Italie ». Les tomates étaient en fait ramassées en Chine avant d’être expédiées en Italie pour être emballées. Les agriculteurs ont essayé de manifester mais leur action n’a donné aucun résultat. C’est l’exemple type d’une situation dans laquelle l’UE a un impact (commerce international, taxes, qualité des produits alimentaires). Mais les agriculteurs manifestaient au niveau local et ne s’adressaient pas aux bonnes instances. Nous leur avons dit qu’ils devraient davantage s’intéresser aux élections européennes à venir. Elles ne sont organisées qu’une fois tous les cinq ans et certains candidats peuvent proposer des idées qui leur conviennent.


JI. Comment intéressez-vous les gens à propos de sujets européens alors que la participation est si basse ?

A.V.
: Notre objectif n’est pas de prendre une photo de l’appréciation populaire envers l’UE. Il existe de meilleurs outils pour ça (baromètre européen, élections européennes). Nous essayons au contraire de rassembler des gens politiquement actifs aux niveaux locaux et nationaux et de leur faire comprendre que leurs problèmes sont liés aux problèmes actuels de l’UE. Nous ne pensons pas que quitter l’UE ou renvoyer les immigrants constituent la solution. Nous avons échangé avec de nombreuses personnes provenant de différentes communautés et avons essayé d’inclure un maximum de gens tout en rassemblant leurs opinions.

Prenons le sujet du « travail » en exemple. Nous avons organisé des tables rondes et invité toutes les personnes intéressées en utilisant les médias locaux et les médias sociaux. Les gens ont participé selon la méthode du world café. Un modérateur se trouvait à chaque table pour discuter de chaque sujet avec les participants. Pour le sujet du « travail », les tables rondes pouvaient inclure des discussions sur le chômage, le congé maternité ou paternité, les contrats de travail… Nous avons essayé de trouver des solutions pour chaque sujet. En rassemblant les opinions de chaque citoyen (détenteurs d’un passeport européen ou immigrant – toute personne intéressée peut prendre part aux discussions) nous avons pu discuter chaque idée et les transformer en propositions.


JI : En parlant de propositions. Parmi les sujets traités se trouvent des sujets tels que les droits sociaux ou économiques, les politiques fiscales et économiques c’est-à-dire des sujets très techniques. Comment avez-vous pu expliquer ces sujets très techniques à des citoyens qui parfois ne possédaient pas les connaissances nécessaires afin de comprendre pleinement ces sujets ?

A.V.
: Les sujets les plus difficiles furent les sujets traitant de réforme légale et financière. Il y avait un dialogue constant entre les experts (professeurs, politologues, hauts-fonctionnaires) et les citoyens. Nous nous sommes assurés qu’il y ait toujours des experts présents avec les citoyens pour leur expliquer les technicités relatives à chaque sujet.

Nous avons essayé d’assembler des besoins très différents ce qui bien souvent peuvent paraître conflictuels. C’est important d’essayer de rassembler le maximum de citoyens possible mais cela donne des résultats mitigés, très souvent trop idéalistes ou trop détachés de la réalité. Un tel résultat signifierait produire un manifeste qui n’est qu’une série de scénario idéaux sans aucune suite possible. Il n’y aurait aucune continuité.

À la place nous avons essayé de suivre le concept « d’utopie pragmatique ». C’est-à-dire que l’on ne négocie pas sur nos valeurs : elles restent les mêmes mais sont adaptées à une réalité pratique. En suivant cette méthodologie nous avons donc rassemblé des opinions citoyennes pendant plus de trois ans. Des experts nous ont ensuite rejoints et ont analysé les propositions dans chaque domaine afin de séparer ce que l’UE pouvait traiter de ce qui serait rejeté. Ils ont traduit ces propositions embryonnaires en propositions que le Parlement européen considérerait de manière sérieuse. Afin de renforcer la légitimité citoyenne de ces propositions, nous avons organisé des Mani(fests). Chaque Mani(fest) consistait en un stand installé sur dix places européennes. Nous avons ensuite abordé chaque passant pour leur demander leur avis sur chaque proposition. Nous avons eu plus de 2000 votes et ce sont ces votes qui se reflètent dans les propositions.


JI : Vous avez donc rassemblé les propositions de chaque citoyen. Avez-vous ajouté d’autres sujets ? Comment avez-vous décidé quels sujets devaient être inclus dans le manifeste ?

A.V.
: Ce processus de collecte d’informations a pris trois ans et a donné lieu à l’organisation de plus de 60 tables rondes dans les pays européens. Nous voulions montrer que malgré le « mauvais » côté de l’UE que l’on retrouve fréquemment dans les médias (banques renflouées, austérité…), il existait des domaines moins connus sur lesquels les citoyens pouvaient avoir une influence directe (droits des minorités, immigration, LGBT, Roms, droit du travail, pluralisme des médias, crime organisé…). La plupart de ces sujets ont été traités durant ces trois années.

À la fin nous avons également ajoutés des sujets liés à l’environnement car il était impossible de ne pas le mentionner. La même méthodologie a été appliquée. Il y a bien d’autres sujets qui pourraient être inclus, mais il faut se souvenir que le manifeste est toujours un travail en cours. Il n’est aucunement gravé dans la pierre. Notre idée était d’avoir un manifeste qui puisse être amendé tous les deux ans afin de combler les différences existantes entre chaque pays européen.Ce n’est pas un produit fini, il doit encore être amélioré.


JI : Comment comptez-vous vous assurer que les hommes politiques jouent le jeu ?
A.V.
: Aujourd’hui (3 décembre 2013, ndlr) nous présentons le manifeste au Parlement européen. Nous avons déjà reçu la confirmation de participation de plusieurs députés européens. Plus nous pouvons attirer, l’attention mieux c’est. Nous ne visons pas un seul parti ou une seule famille de partis politiques. Nous ne pouvons pas forcer les hommes politiques à nous écouter. En revanche nous pouvons utiliser notre force de congrégation, d’organisation de la société civile pour mettre en avant les candidats qui promettent de respecter et de défendre le manifeste citoyen.

Vous pouvez trouver le texte du manifeste citoyen à l’adresse suivante : Citizen Pact



Amoureux des langues et cultures étrangères, je conjugue mes rêves en anglais, sur l’île… En savoir plus sur cet auteur