Marikana ou les dérives du régime post-apartheid

7 Novembre 2012


Le 16 août 2012 en Afrique du Sud, la répression policière d’une grève sauvage à la mine de Marikana fait 34 morts et 78 blessés. La vidéo des policiers tirant sur la foule en fuite a fait le tour du monde. On a parlé de massacre, d’apartheid, rien sur les origines du conflit. Quel rapport entre l’apartheid et Marikana ?


Des mineurs de Rustenberg font face à la police anti-émeute le 16 septembre 2012 © AFP-Alexander Joe
Le « massacre du 16 août » a été un véritable choc pour la société sud-africaine. Cette « guerre des mines » comme elle est appelée là-bas a en fait commencé dès janvier 2012 dans les mines de platine d’Impala, qui appartiennent à Lonmin, société britannique qui exploite aussi la mine de Marikana. Les grèves ont aussi touché le géant minier Amplat (filiale de l’Anglo American Corporation) qui a réagi en licenciant 12 000 de ses 28 000 mineurs. Le bilan des conflits s’élève déjà à plus d’une cinquantaine de morts.

Ces événements paralysent littéralement les secteurs politiques et économiques du pays. Quatre mines sont actuellement fermées et le milieu des affaires estime que le mouvement de grève a déjà engendré environ 378 millions de dollars de pertes pour l'économie nationale. La justice a ouvert un procès après le massacre de Marikana et tergiverse sur l’attitude à adopter. Le président Jacob Zuma reste très discret alors que la colère gronde et que les révoltes des townships (quartiers ségrégués) se multiplient. Alors que le congrès de l’ANC –parti historique au pouvoir depuis 1994- doit avoir lieu fin novembre pour décider du prochain candidat à la présidence, les média sud-africains parlent d’instrumentalisation du conflit par la branche de l’ANC opposée à la réélection de Zuma.

Immobilisme, luttes intersyndicales et conflits d’intérêts

Le nœud du conflit et de la montée des violences est en fait la lutte intersyndicale qui oppose le NUM (National Union of Mineworkers) à l’ACMU (Association of  Mineworkers and Construction Union), et qui a causé la mort de 10 ouvriers la semaine précédant le drame de Marikana. Le NUM, syndicat minier, vieil allier de l’ANC dans la lutte anti-apartheid au sein du COSATU (Confederation of South Africa Trade Unions), est le syndicat majoritaire. De nombreux dirigeants sud-africains depuis 1994 en sont issus.

L’ACMU est un nouveau syndicat dissident et encore minoritaire qui gagne de l’audience auprès des jeunes mineurs au détriment du NUM. Il revendique une augmentation salariale (le triple du salaire actuel d’environ 400€), la nationalisation des exploitations minières et une amélioration des conditions de vie et de travail dans des mines réputées pour être les plus dangereuses du monde. C’est l’ACMU qui a appelé à la grève, aussitôt invalidée par le NUM et les dirigeants de Lonmin - le syndicat étant encore minoritaire. C’est pour cela qu’on a parlé de grève sauvage et qu’on a pu légitimer la répression et les licenciements.

Marikana se situe dans le bassin minier de Johannesburg, près de Rustenburg à une centaine de km de la capitale
De fait, on enregistre une perte de confiance des couches populaires vis-à-vis des syndicats liés au pouvoir, à l’ANC. Cyril Ramaphosa, à la tête du NUM et disposant de hautes fonctions au gouvernement, est aussi membre du conseil d’administration de Lonmin. L’ACMU a prouvé que le NUM détenait des parts de marché dans les sociétés Amplat. L’immobilisme du premier syndicat minier, qui reçoit les cotisations de la majorité des travailleurs, s’explique alors aisément par son implication dans les affaires économiques et financières.

Les revers de la politique post-apartheid

Ce micmac des dirigeants syndicaux, politiques et financiers jette le discrédit sur toute une élite noire, les « blacks diamants », qui a depuis 1997 privilégié le « capitalisme noir » à la réduction des inégalités.

Ce que cet événement met en exergue, ce sont les disfonctionnements de la société sud-africaine actuelle. Une société où l’apartheid économique a laissé des traces faute de réformes, où les inégalités sociales restent très fortement marquées spatialement, où les townships perdurent. La suprématie de l’ANC s’estompe en même temps que la confiance des ouvriers envers les syndicats liés aux actionnaires dégringole.

Le gouvernement déstabilisé hésite de moins en moins à employer la force dans les conflits qui agitent les townships, peuplés par des populations qui croient de moins en moins aux promesses de réformes sociales et notamment agraires qu’ils entendent depuis bientôt 20 ans.




Rédactrice pour le Journal International, passionnée d'histoires et de géographie, je suis… En savoir plus sur cet auteur