Nomination de John Kerry : un choix ou une nécessité ?

5 Février 2013


La nomination de John Kerry à la tête de la diplomatie américaine n’a pas manqué de susciter le débat concernant les orientations de la politique étrangère américaine. En effet, d’aucuns estiment que le Président Obama, à travers ce choix, confirme son intention de continuer la démarche de prudence et de désengagement ayant caractérisé sa politique étrangère lors de son premier mandat.


Le Président Obama s’était engagé, au cours de sa seconde campagne électorale, à mener « une politique militaire moins visible et moins lourde » . Celui qui a entamé le retrait d’Irak, a également refusé de s’impliquer militairement en Syrie et en Iran et aspire à un retrait imminent d’Afghanistan. L’objectif étant de gérer un éventuel déclin de la puissance américaine.

Ce constat est important certes, mais faut-il préciser que la nomination de John Kerry constitue une réponse importante à la nécessité de réorienter la diplomatie des Etats-Unis pour faire face aux défis qui s’imposent ? Dans quelle mesure la nomination de John Kerry traduit-elle les nouvelles orientions de la politique étrangère américaine ? Car, en désignant John Kerry, le Président Obama demeure convaincu que « le Soft Power » est nécessaire pour la régulation des affaires internationales. D'autant plus qu'il se trouve face à des enjeux internationaux de plus grande envergure, principalement au Moyen-Orient avec la crise syrienne qui devient de plus en plus complexe et le programme nucléaire iranien dont les négociations avec Téhéran sont au point mort.

La gestion de ces crises nécessite la focalisation sur le dialogue et les négociations, qui doivent impliquer non seulement les alliés traditionnels, mais aussi les rivaux (Russie, Chine) voire les ennemis, en l’occurrence l'Iran. La nomination d’un diplomate de carrière tel que John Kerry s’inscrit dans cette logique, car sa capacité à négocier les dossiers les plus complexes lui permettra, sans doute, de réussir le nouveau défi de la politique étrangère américaine d'Obama.

La dépendance de la diplomatie américaine à la politique de négociation

La démilitarisation de la politique étrangère américaine suppose que les dossiers importants, notamment la Syrie ou le nucléaire iranien, soient résolus par la voie diplomatique, et que le recours à l’outil militaire ne se fasse qu’en dernier recours. Cette vision est largement défendue par John Kerry, qui adopte une position aux antipodes de l’interventionnisme américain. Il demeure convaincu que les Etats-Unis doivent agir, mais par le biais d’une diplomatie traditionnelle ; il rejette l’outil militaire comme mécanisme de régulation des différents sur la scène internationale.

Justement, John Kerry était l’un des principaux opposant à la guerre au Congrès, il préfère le recours à la diplomatie des négociations secrètes et effectuées dans l’ombre. D’ailleurs, sa réputation de « rude négociateur » tient à sa capacité à désamorcer les crises même les plus compliquées. C’est sans doute la raison pour laquelle Barack Obama lui a attribué la lourde tâche de réconcilier les Etats-Unis et le Pakistan après l’affaire Ben Laden.

Actuellement, la diplomatie du dialogue semble être l’arme par laquelle l’administration Obama tentera désormais d’atteindre ses objectifs sur le plan international, principalement vis-à-vis de la Syrie ou l’Iran.

La crise syrienne représente en effet un lourd défi pour l’administration de Barack Obama. John Kerry semble être l’homme capable d'y mettre fin. John Kerry constitue l’un des seuls diplomates américains ayant eu l’opportunité, en 2010, de mener un dialogue avec le régime syrien en vue d’assurer un rapprochement avec les Etats-Unis. Il a même eu l’occasion de rencontrer Bashar El Assad dans le palais présidentiel avant le déclenchement de la crise. Du coup, il constitue le choix idéal pour le président Obama, avant d’entamer d'éventuelles négociations avec le régime syrien. 
La rencontre du chef de l’opposition syrienne avec le ministre des affaires étrangères russe et iranien, s’inscrit aussi dans cette logique. Celle-ci est intervenue quelques jours après que John Kerry ait pris ses fonctions. Un bon départ !

Outre le dossier syrien, l’administration Obama doit faire face à la réticence de l’Iran à s’expliquer sur son programme nucléaire. Là aussi, la situation est tendue. John Kerry en a fait sa plus grande priorité.
Il avait annoncé donner sa chance au dialogue avec l’Iran. Les responsables iraniens ont même accueilli « avec optimisme » la nomination de Kerry. Ils ont déclaré leur prédisposition « à prendre en compte les inquiétudes » des Etats-Unis et sont même prêts à mener des négociations sérieuses et responsables pour mettre fin à ce problème.

Ainsi, la nomination de John Kerry confirme les intentions du Président Obama de favoriser le dialogue et les négociations dans son second mandat. Mais cette politique ne peut atteindre les résultats escomptés sans l’implication des rivaux, la Russie et la Chine qui n’hésitent pas à bloquer tous les efforts américains.
Pour remédier à cela, Obama tente la diplomatie du consensus. Là aussi, le choix de John Kerry parait très judicieux.

Une nécessaire diplomatie du consensus avec les rivaux

Le premier mandat du Président a démontré que les Etats-Unis n’avaient plus la maîtrise du monde d'antan. Au contraire, ils ont de plus en plus de difficultés à régir unilatéralement les questions internationales, principalement avec l’influence de l’axe Russie-Chine sur certains dossiers tel que la Syrie, l’Iran et même en ce qui concerne la Corée du Nord.

De ce fait, l’adoption d’une approche de consensus parait plus convenable pour trouver des solutions à ces différents conflits et repositionner les Etats-Unis comme le leader du monde. Pour ce faire, Barack Obama mise sur John Kerry, qu’il considère comme « un auxiliaire de confiance pour négocier » , pour assurer un rapprochement avec les rivaux de l’Amérique, principalement la Russie et le Chine. Kerry, en tant que diplomate expérimenté et négociateur hors-pair, constitue le choix idéal. Son principe : « savoir perdre pour gagner ».

John Kerry a aussitôt confirmé les intentions de l’administration américaine de recourir à la politique du consensus en affirmant que le rétablissement des rapports avec la Chine et la Russie constituait l’enjeu fondamental de la diplomatie américaine. A cet égard, on ne sera pas surpris de voir surgir brusquement des changements d’attitudes et de positions sur certains dossiers considérés jusqu’à présent très complexes.
John Kerry n’a d'ailleurs pas manqué de préciser la nécessité de rétablir la confiance avec la Russie pour pouvoir entamer un dialogue sur plusieurs questions. Il a précisé : « Nous avons besoin d'aide de la part des Russes, car ces derniers sont nos partenaires. Nous dépendons d'eux et comptons sur eux dans de nombreux domaines : la Syrie, les sanctions contre l'Iran, le désarmement, le traité START, la Corée du Nord, l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Leur position sur de nombreuses questions est très importante pour nous »

S’agissant de la Chine, John Kerry a toujours développé une position favorable à un rapprochement avec les autorités chinoises non seulement pour le succès de la diplomatie américaine, mais aussi en vue de maintenir une position stratégique en Asie. Pour cela, John Kerry privilégie la logique du compromis puisqu’il insiste sur la nécessité de renforcer la coopération commerciale avec la Chine, indépendamment, de la situation des droits de l’Homme dans le pays.

Devant ce contexte, la Russie comme la Chine semblent être séduites. Elles se sont même félicitées de cette nomination et ont déclaré leur prédisposition à collaborer avec le nouveau secrétaire américain aux Affaires étrangères dans un cadre de dialogue et de consensus !

Il semble que le président Obama ait bien compris les rouages de la scène internationale : il tend à y adapter les caractéristiques de sa politique étrangère par le biais de la nomination de John Kerry. Obama mise sur l’expérience de son nouveau secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères pour restructurer sa politique étrangère afin de renforcer le rôle du leadership américain dans le monde. Il confirme ainsi que cette désignation relève d’une nécessité plus qu’un choix. 



Doctorant en Relations et Droit Internationaux à l'Université de Rabat (Maroc) et membre du Centre… En savoir plus sur cet auteur