Nucléaire iranien : les enjeux stratégiques de l’accord de Genève

2 Décembre 2013


Après plusieurs jours de négociations, les Etats-Unis, la Russie, la Chine, la France, l'Allemagne et l'Iran sont parvenus à un accord sur le dossier nucléaire. Une avancée très importante dans la résolution du dossier nucléaire iranien, même si plusieurs voix crient au scandale stratégique. Analyse.


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Inscrit dans la logique du compromis défendu par tous les participants, l’accord de Genève a réussi à réunir les opinions de tous. Satisfaisant certaines exigences des Etats-Unis, puisqu’il limite l’enrichissement à 5 %, autorise le contrôle des sites nucléaires iraniens et bloque la création de nouvelles installations, l’accord a répondu, en contrepartie, à des demandes iraniennes comme la levée progressive des sanctions économiques et commerciales déjà en place, en plus du blocage de toutes tentatives visant à approfondir les sanctions ou l’isolement de l’Iran.

Bien qu’il soit applaudi par la communauté internationale, cet accord ne fait pas l’unanimité. En réalité, plusieurs pays refusent d’y prendre part. Pire encore, ils refusent d’assouplir leur panoplie de sanctions imposées à l’Iran. C’est le cas notamment du Canada, d’Israël et des monarchies du Golfe. Ces derniers considèrent que le compromis de Genève intervient à un moment où les rapports entre les autorités américaines et leurs homologues iraniens se réchauffent progressivement, et qu’il repose plus sur des considérations politiques dépassant le cadre du programme nucléaire iranien.

Accord de Genève : un véritable compromis

Si le nucléaire semble être le thème principal de l’accord de Genève, il n’en reste pas moins que ce dernier cache un certain nombre d’enjeux stratégiques aussi bien pour l’Iran que pour les pays occidentaux, en particulier les Etats-Unis. Chaque partie cherche à y satisfaire ses intérêts qui se situent, d’ailleurs, au-delà de la simple limitation de l’enrichissement de l’uranium.

Du côté de l’Iran, la conclusion de l’accord de Genève s’inscrit dans le cadre de la nouvelle politique étrangère du président Rohani. Celui-ci, convaincu des conséquences néfastes de la crise imposées à son pays, s’efforce d’alléger le régime de sanctions économiques, diplomatiques et politiques qui étouffent la population iranienne. L’objectif est de redynamiser le système économique de l’Iran tout en réduisant la dépendance envers la Russie et la Chine. Pour ce faire, il devait impérativement sortir de l’isolement pour faciliter la réinsertion de son pays dans le concert des Nations tout en gardant le statut de puissance régionale. D’où la signature inattendue du protocole de Genève qui comprend, justement, l’assouplissement, dès le mois de décembre, d’un certain nombre de sanctions économiques et commerciales.

Par ailleurs, le président Rohani et son équipe savaient pertinemment que la conclusion d’un accord avec les Occidentaux, à travers lequel les autorités iraniennes arracheraient la reconnaissance internationale de leur programme nucléaire, leur garantirait le soutien de l’opinion publique interne. Cela permettrait au nouveau gouvernement de contrebalancer l’influence des conservateurs. Cette situation a vite été confirmée par les images de joie de la population à Téhéran suite à la conclusion de l’accord.

Pour les Occidentaux, la conclusion de l’accord de Genève constitue une réelle victoire stratégique qui justifie le choix de la voie diplomatique pour résoudre ce dossier. Le président Obama a pu mettre en place un système de sanction très efficace dont il espère profiter pour parvenir à un accord définitif avec l’Iran. D’autant plus qu’il envoie un message clair en donnant l’exemple aux autres Etats avec des aspirations nucléaires comme la Corée du Nord.

La Convention de Genève facilite le rapprochement entre l’Iran et les pays occidentaux, principalement les Etats-Unis. Ces derniers demeurent convaincus que l’Iran constitue un pilier stratégique et une puissance régionale incontournable avec qui il faut collaborer au risque de voir échouée leur politique au Proche-Orient. De cette façon, on peut espérer des avancées dans des dossiers très complexes comme la crise syrienne, les rapports avec les monarchies du Golfe…

Du point de vue économique, cet accord ouvre le chemin à la reconquête du marché iranien, d’ailleurs, plusieurs entreprises américaines, françaises, allemandes, et même britanniques ont très vite annoncé la volonté de reprendre leurs activités dans un pays qui comprend des ressources énergétiques très importantes : la seconde réserve de gaz et la troisième ressource pétrolière mondiale.

Ainsi, il apparaît évident que l’accord de Genève entre l’Iran et les pays occidentaux répond aux exigences de tous les participants, en particulier des Etats-Unis qui, en s’engageant dans cette voie, ont pris des risques stratégiques très complexes.

Un véritable pari stratégique

Si la conclusion de l’accord avec l’Iran limitant l’enrichissement de l’uranium a crée l’enthousiasme de la communauté internationale, il ne demeure pas moins que plusieurs pays, notamment Israël et les monarchies du Golfe refusent ce type de convention. Ces derniers considèrent cet accord comme une erreur stratégique, voire une menace sécuritaire très dangereuse sur toute la région. Les responsables israéliens et ceux des monarchies du Golfe, notamment l’Arabie Saoudite craignent que la signature de l’accord de Genève par l'Iran ne soit, en réalité, qu’une simple imposture organisée pour gagner du temps en vue de se procurer les éléments nécessaires à la création d’une bombe atomique, comme ce fut le cas en 2003.

Ce manque de confiance pourrait engendrer une véritable course à l’arme nucléaire dans toute la région, à l’image des investissements saoudiens destinés à l’achat des bombes atomiques pakistanaises. D’ailleurs, le prince Turqui, ancien chef des renseignements saoudien avait déclaré que « tous nos efforts et ceux du monde ayant échoué à convaincre Israël de renoncer à ses armes de destruction massive, mais aussi l’Iran, il est de notre devoir à l’égard de nos peuples d’envisager toutes les options possibles, y compris l’acquisition de ces armes ». 

Ce contexte s’avère très complexe puisqu’il réduit à néant tous les efforts de non-prolifération. On pourrait assister à l’émergence de nouvelles puissances nucléaires autres qu’Israël, le Pakistan et l’Inde dans cette partie du monde, dont la stabilité est déjà très fragile. C’est, dans ce sens, que s’est prononcé le sénateur américain Edward Marki en déclarant : « Alors que toutes les attentions se focalisent sur le nucléaire iranien, il y a d’autres pays qui risquent de se doter du nucléaire militaire dans le Golfe persique ».

À côté du nucléaire, la véritable crainte demeure stratégique. En fait, Israël comme les monarchies du Golfe, redoutent le rapprochement diplomatique entre les Etats-Unis et l’Iran, qui permettrait le retour en puissance de ce dernier. D’ailleurs, les Etats-Unis ont tendance à se désengager progressivement du Moyen-Orient pour se réinvestir dans la région d’Asie-Pacifique, ce qui les amène à établir des compromis avec les puissances en place comme l’Iran.

En réalité, l’allié israélien et les amis du Golfe ne se sentent plus soutenus par le président Obama qui pourtant ne cesse de les rassurer sur l’engagement américain dans cette partie du monde. Les Etats-Unis n’ont quand même pas hésité à sacrifier l’Egypte, pourtant un allié traditionnel de longue date, pour sauvegarder leurs rapports avec certains pays influents qui soutiennent les frères musulmans.

Dès lors, de nouvelles alliances pourraient voir le jour transformant, par conséquent, les modalités de la carte géopolitique du Moyen-Orient, probablement au profit de l’Iran. Il suffit, d’ailleurs, de voir le rapprochement entre l’Egypte et la Russie, survenu suite à la dégradation des relations égyptienne avec Washington pour le constater.

De tous ces éléments, il apparaît évident que l’Accord de Genève ne répond pas à toutes les attentes. Il a le mérite de mettre fin à 35 ans de divergences entre l’Iran et la majeure partie de la communauté internationale. Toutefois, cet accord n’est que provisoire, c’est la raison pour laquelle il représente le début d’un long processus de négociation et de compromis destiné à établir un accord définitif. Reste à savoir si les autorités iraniennes et les pays occidentaux auront l’ambition nécessaire pour relever ce genre de défi.



Doctorant en Relations et Droit Internationaux à l'Université de Rabat (Maroc) et membre du Centre… En savoir plus sur cet auteur