Paraguay, les Colorados reprennent le pouvoir

25 Avril 2013


La victoire de Horacio Cartes aux élections présidentielles ce dimanche 21 avril marque le retour du Colorado, un parti politique ayant gouverné le Paraguay durant 61 années, dont 35 de dictature. Suite au coup d'État survenu en juin dernier, ces élections semblent être un premier pas vers la démocratie. Elles permettent notamment au Paraguay de réintégrer le Mercosur. Synonyme de changement ou retour à l'hégémonie, le nouveau Président doit maintenant choisir son camp.


Crédits photo — AP
L'élection du nouveau Président semble s'être déroulée dans le calme et la tranquillité ce dimanche 21 avril. La participation des électeurs aurait atteint 70% selon le Tribunal Supérieur de Justice Électorale et les militants du parti Colorado ont accueilli l'annonce du nouveau Président Horacio Cartes avec euphorie, brandissant des drapeaux rouges dans les rues d'Asunción. Pourtant le climat politique s'annonçait tendu ces derniers mois. La destitution en juin dernier de l'ancien Président de centre-gauche Fernando Lugo, qualifiée par de nombreux Paraguayens et observateurs internationaux de coup d'État, avait privé le pays d'une démocratie récemment acquise. Elle avait entrainé le retrait du Paraguay du Mercosur pour violation du traité d'Ushuaia, tandis que plus de 400 observateurs avaient été envoyés par l'UE et d'autres organismes internationaux pour veiller au bon déroulement des élections.

La politique du moins corrompu

Malgré la présence rassurante de listes de candidats et d'urnes protégeant l'anonymat, la corruption semble toutefois s'être maintenue durant le processus électoral. Comme le rapporte le journal El Pais, des milliers de personnes auraient moyenné leur bulletin de vote ou leur abstention en échange d'une somme fixée à un minimum de 50 000 guaranis, soit environ 12 dollars. Dans une vidéo retransmise à la télévision locale, on peut en effet apercevoir l'un des membres du parti Colorado s'entretenir avec un représentant du parti libéral afin de négocier l'achat de voix. Le Parti élu est accusé d'avoir payé son opposant politique afin que celui-ci incite les électeurs à rester chez eux et ne pas se rendre aux urnes. « L'achat de votes est monnaie courante ici, confie Victoria, une étudiante en marketing ayant participé au déroulement du scrutin. Tout le monde a conscience du degré de corruption qui touche notre pays, mais il est déjà beaucoup plus difficile d'en apporter les preuves. Le but pour les électeurs est alors d'opter pour le moins corrompu des candidats. »

Ayant obtenu 46% des suffrages, Horacio Cartes se dit vouloir transformer le paysage politique et favoriser la croissance économique. Âgé de 56 ans, cet homme d'affaires millionnaire, formé aux États-Unis est actuellement à la tête d'une vingtaine d'entreprises ainsi que propriétaire et dirigeant sportif du club de football « Libertad ». Souvent perçues comme un narcotrafiquant, ses exubérances lui valent le surnom de « Berslusconi du Paraguay ». Affiliée au parti Colorado en 2009, son entrée dans la politique est récente. Il se vante lui-même d'avoir voté pour la première fois en 2010. Son principal opposant Efrain Alegre, candidat issu du Parti Libéral Radical Authentique (PLRA) à récolté 36,84% des suffrages, tandis que la gauche, affaiblie et divisée, n'a obtenu que 6% des voix. « Horacio Cartes est sans doute un magnat du milieu économique et financier dont les mains n'ont pas toujours été propres, mais il génère du travail, commente Victoria. C'est sans doute la raison pour laquelle les gens ont voté pour lui. Ils attendent qu'il rompe avec le passé de dictature des Colorado et qu'il relance l'économie, notamment auprès des jeunes. »

Un coup d'État entériné par voie démocratique

La victoire de Horacio Cartes marque le retour du parti Colorado. Au pouvoir pendant 61 ans, il avait notamment dirigé le pays durant la sombre période marquée par la dictature d'Alfredo Stroessner, de 1954 à 1989. Suite à l'élection de Fernando Lugo en 2008, un outsider de centre-gauche surnommé « l'évêque des pauvres » le parti a tenté à de nombreuses occasions de contrer les mesures politiques du nouveau Président. À la tête d'un pays où 2% de la population se partage 90% des terres, celui-ci avait en effet inscrit dans son programme une lutte contre la corruption et la redistribution des terres, réformes qu'il n'a jamais pu mettre en place. Il est finalement renversé le 22 juin 2012 et remplacé par le vice-président Federico Franco Gomez. Pour Victoria, le peuple paraguayen « s'est montré très indigné par la décision du Parlement de destituer l'ancien Président. Son acte représente une violation de la démocratie. Sous le mandat de Franco, le mécontentement a augmenté. »

Suite à la destitution, la presse paraguayenne avait en effet accusé le Parlement de s'être servi d'un incident survenu une semaine auparavant pour légitimer un coup d'État. Une opération de police, effectuée dans le but de déloger des paysans sans terre avait tourné au massacre, causant la mort de 17 personnes et provoquant un tollé dans l'opinion publique. Comme le souligne un article paru dans Le Figaro, la procédure de destitution a été enclenchée à partir d'un texte voté par la Chambre des députés reprochant au Président d'avoir « favorisé une confrontation constante et une lutte des classes aboutissant au massacre des compatriotes. »

Réintégrer le Mercosur, une nécessité face à la crise économique?

Dès l'annonce du résultat, la Présidente argentine Cristina Kirchner a félicité le nouveau Président Cartes ainsi que le peuple paraguayen pour « cette journée civique exemplaire ». Elle invite à présent le Paraguay à retrouver sa place au sein du Mercosur. Suite au coup d'État de juin 2012, le pays s'était en effet vu retirer l'accès à l'organisation intergouvernementale jusqu'à l'organisation de prochaines élections. Pour les pays voisins, la destitution de Fernando Lugo avait fait polémique. Elle rappelle une situation semblable ayant frappé l'ancien chef d'État hondurien Manuel Zelaya, également de gauche, en juin 2009. La suspension du Paraguay a permis au Mercosur d'intégrer le Venezuela, dont la candidature avait jusqu'alors constamment été refusée par le pays fondateur.

En reprenant sa place aux côtés des quatre autres membres, le Paraguay devrait pouvoir à nouveau bénéficier des avantages économiques que procure le Mercosur. Créé en 1991, le marché commun apparait aujourd'hui comme l'alliance la plus importante de l'hémisphère sud, occupant le 5e rang en termes de PIB. Toutefois, selon des analyses mondiales récentes, la situation économique du Paraguay ne semble pas s'être améliorée depuis son adhésion en 1991. Le pays souffrirait à l'inverse d'une lente domination commerciale infligée par le Brésil et l'Argentine. « le Mercosur constitue une zone économique, une plateforme industrielle plus dynamique et compétitive, analyse Victoria. Elle permet la libre circulation des biens et des personnes, ce qui encourage les Paraguayens à voyager, mais aussi à travailler dans les pays voisins. « Attirés par un niveau de vie plus élevé, nombreux sont ceux qui viennent vivre dans les villas de Buenos Aires, à la recherche de travail. »



Lorsque l'addiction du voyage rencontre la passion de l'écriture, elles forment un cocktail… En savoir plus sur cet auteur