Post-9/11, du Patriot Act à la «paix armée»

Romain Champetier
25 Juin 2013


À l’occasion de son discours à la National Defense University (NDU) fin mai, Barack Obama a solennellement annoncé la fin de la « global war on terror », héritage dévastateur d’une décennie d’aventurisme libérateur. Les États-Unis sont-ils vraiment passés à l’ère post-9/11 ?


Crédit Photo -- US Coast Guard photo - Petty Officer 1st Class David B. Mosley
Au contraire de son prédécesseur, Barack Obama revendique sa modération, son pragmatisme et son sens du réalisme. Ses hésitations sur la crise syrienne, empruntes d’un scepticisme plus que compréhensible à l’aune des bévues interventionnistes commises par les administrations qui l’ont précédées depuis la chute du mur de Berlin, reflètent fidèlement les traits d’un caractère naturellement peu enclin à l’excès et à la volatilité.

Un usage des drones mieux encadré

Pour autant, le 23 mai 2013, à l’occasion de son deuxième discours, extrêmement attendu, sur la sécurité nationale –deuxième en quatre ans d’exercice !-, donné à la National Defense University (NDU), les propos du Président ont traversé l’air comme un coup de fusil. « L’Amérique se trouve à un tournant […] cette guerre (la guerre contre la terreur, GWOT, ndlr), comme toutes les guerres, doit finir. C’est l’Histoire qui nous le l’intime. C’est notre démocratie qui le demande ». Quel étonnement d’apprendre, alors que les frappes de drones vont toujours bon train, en dépit d’une cadence moins soutenue depuis un an, que les États-Unis sont enfin venus à bout de leur pire démon, et ont terrassé le terrorisme islamiste.

Au terme de son discours, Barack Obama a défini le nouveau cadre juridique de la lutte anti-terroriste ; un cadre épuré et bien moins ambitieux que celui établit par son prédécesseur républicain :

Tout d’abord, comme suggéré depuis plusieurs semaines par son administration, Obama a pris un certain nombre de mesures pour limiter l’utilisation des drones au Moyen-Orient. Dorénavant, toute frappe devra être soumise à plusieurs critères résumés dans le dernier Presidential Policy Guidance. Pour qu’une frappe soit autorisée, il faudra que la menace soit « continue et imminente » pour la sécurité américaine, que la capture de la cible soit rendue absolument impossible , et qu’il existe une quasi-certitude qu’il n’y aura pas de victimes civiles. Aussi considère-t-il, ramener la conduite des frappes de drones dans le giron du Pentagone, et reléguer la CIA, jusqu’ici responsable desdites frappes, à des activités d’intelligence et d’espionnage. Finalement, Obama rechigne à poursuivre les soi-disant « signature strikes », i.e. les frappes autorisées contre les cibles « soupçonnées» de complicité ou d’engagement avec le terrorisme.

D’autre part, signe qu’il souhaite réduire l’ampleur de la lutte anti-terroriste, Obama a exhorté le Congrès de remanier, et éventuellement d’abroger la législation controversée Authorization to Use Military Force, ou « autorisation à faire usage de la force militaire » (AUMF), texte extrêmement vague voté fin 2001, et qui forme jusqu’à présent la base juridique de dix ans de politique anti-terroriste. Les activités de contre-terrorisme étant désormais circonscrites à Al-Qaïda, il paraissait normal d’adapter une législation jugée anti-démocratique.

Puis, avec l’humilité et le respect pour les institutions qui le caractérisent, le Président Obama a tenu à limiter le pouvoir présidentiel afin de mieux superviser la conduite de la guerre des drones. Et cela, même si, de son propre aveu, le Congrès est systématiquement tenu au courant des frappes autorisées. Il s’en remettrait dans un futur proche à une institution ou une cour spéciale, comme le tribunal FISA sur les écoutes téléphoniques.

Finalement, Obama a réitéré sa volonté de fermer la prison extraterritoriale de Guantanamo. Souvent blâmé pour ne pas être parvenu à tenir une de ses promesses électorales les plus symboliques, Obama a fait savoir que, approbation du Congrès ou pas, il mettrait progressivement fin à l’expérience Guantanamo. Il a entre autres promis de renvoyer les prisonniers yéménites dans leur pays d’origine, et de faire son tout possible pour assurer le transfert d’autres prisonniers dans des centres carcéraux américains.

La fin de la guerre contre la Terreur ?

Après une décennie d’enlisement au Moyen-Orient, véritable tombeau des empires, Obama enterrerait-il la hache de guerre pour de bon ? Pas exactement. Le Président Obama met en garde : « nous ne pourrons jamais vaincre le mal qui ronge les cœurs de certains êtres humains ni même prévenir tous les dangers qui guettent notre société ». Quelle interprétation, quel sens donner à ce discours qui, de l’aveu de nombreux experts, marque l’épilogue de la guerre globale contre la terreur ?

Dans les faits, la guerre globale contre la terreur est terminée depuis que Barack Obama s’efforce d’organiser le retrait des troupes américaines d’Irak et d’Afghanistan. Bien qu’ayant autorisé en 2009 le « surge », c’est-à-dire l’envoi de 30 000 soldats supplémentaires en Afghanistan, le mantra de l’administration Obama aura été une grande entreprise de retranchement stratégique et de rééquilibrage des forces vers l’Asie-Pacifique. L’impératif budgétaire sur le plan national et la relance de l’économie étant les deux chevaux de bataille de son premier mandat, Obama n’a eu d’autre alternative que de repenser l’architecture de la lutte anti-terroriste. A moindre coût, s’entend. En lieu et place de la grande stratégie de son prédécesseur néo-conservateur, qui consistait à mettre à genoux des États voyous et importer les vertus de la démocratie américaine au moyen de milliers de bottes sur le terrain, Obama a choisi la frugalité et la modération. Si bien que d’une doctrine globalisante visant le terrorisme transnational et d’une stratégie de contre-insurrection coûteuse en hommes et en deniers publics, Obama a opté pour la guerre contre Al-Qaïda, s’astreignant à la « seule » ambition de démanteler les antennes de la nébuleuse islamiste, « économisant » de fait un maximum de vies américaines.

Qu’implique cet infléchissement engagé par le Président ? En ciblant Al-Qaïda et seulement Al-Qaïda, Obama concentre son effort sur une organisation très spécifique non représentative de toutes les mouvances extrémistes présentes au Proche-Orient. « Au delà de l’Afghanistan, affirme-t-il, nous devons caractériser notre effort non pas dans les termes d’une guerre sans frontières contre la terreur, mais plutôt comme une série d’efforts soutenus et ciblés visant à démanteler des réseaux spécifique d’extrémistes violents qui représentent une menace pour les Etats-Unis ». Plus d’amalgames entre menaces terroristes et extrémismes islamistes. Al-Qaïda, le Hezbollah libanais, l’Iran, le Hamas ne sont pas à mettre dans le même sac.

Recentrage de la politique étrangère américaine

Dès lors, le discours d’Obama à la NDU ne semble présenter rien d’original, mais simplement entériner un revirement stratégique long de quatre ans. La reconfiguration de la stratégie de lutte anti-terroriste a bien eu lieu, et les nouveaux instruments guerriers ont eu raison de la résistance d’Al-Qaïda. C’est en quelque sorte la rhétorique qui rattrape une réalité déjà établie. Pourtant, il serait hâtif de ranger ce discours aux archives poussiéreuses de la Maison Blanche sans en avoir analysé les principaux enjeux.

En fait, Obama ne tire pas seulement le bilan de son premier mandat, mais signale la fin d’une ère. Celle de la guerre contre la terreur. Celle où la priorité nationale absolue était le terrorisme, et rien que le terrorisme. Après quatre années laborieuses de gestion de l’héritage militaire bushiste, Obama fait entrer les États-Unis dans une ère post-9/11.
A travers ce discours, il ne fait pas qu’apposer le seau présidentiel sur des changements stratégiques déjà opérés et des progrès numériques déjà enregistrés. Il contribue à créer son héritage pour la prochaine présidence. Il entend léguer à son successeur un pays guéri de ses maux moyen-orientaux, un pays équipé d’une légitimité recouvrée, un pays qui agit dans un paysage sécuritaire complètement différent de celui dont il a lui-même hérité voici quatre ans.

Si le rééquilibrage vers l’Asie-Pacifique marque un désengagement massif du Moyen-Orient, c’est également un pivot vers la paix. Avec le cœur d’Al-Qaïda « en déroute » et l’épilogue des grandes opérations de stabilisation en Afghanistan et en Irak, nous dit-il, la nation doit tourner la page de la guerre contre la terreur et s’adapter à de nouveaux défis. Ce changement, radical, n’est pas uniquement sémantique. Tandis que George W. Bush avait fait de la guerre globale contre la terreur la pièce maîtresse de sa politique étrangère, sa priorité en politique étrangère par excellence, Barack Obama l’envisage comme une priorité parmi d’autres, dans un contexte de crise économique et de déplacement du centre du monde vers l’Asie.


L'instauration de la paix armée

Malgré les critiques, malgré le caractère flou et boiteux du nouveau cadre juridique imposé à la guerre des drones, malgré la poursuite des frappes aériennes au Yémen et au Pakistan, Obama entame sa longue marche vers la paix. Une paix qui, met-il en garde, ne correspond pas à l’éradication totale du terrorisme. L’assassinat de l’ambassadeur Christopher Stevens à Benghazi, ainsi que l’attentat des frères Tsarnaev à Boston rappellent à l’Amérique les risques du terrorisme, qu’il vienne de l’extérieur ou de l’intérieur (homegrown terrorism), qu’il sévisse sous la houlette d’organisations malfaisantes ou par le truchement de loups solitaires (lone-wolf terrorism). « Ni moi, ni aucun autre président, ne peut garantir la défaite totale du terrorisme » avoue Obama. Cette « paix armée » diffère sensiblement de la GWOT. En temps de paix, plutôt que d’envoyer la cavalerie et déclarer la guerre tous azimuts, l’Amérique gère les risques du terrorisme avec d’autres instruments, comme la diplomatie, l’aide étrangère, les forces spéciales, les drones, l’entraînement de forces locales, etc. En somme, tout sauf l’agression armée.

Même si la guerre des drones se poursuit, même si les fantômes de l’ère Bush continuent à hanter l’administration actuelle, comme l’ont récemment illustrés le scandale Snowden et le rôle de surveillance accru de la NSA, Obama se doit de rester droit dans ses bottes et, s’il entame sa marche vers la paix, ne désarme pas pour autant. Et le lui-même de continuer « Nous devons prendre ces menaces au sérieux et faire tout notre possible pour les affronter {…} mais pour mieux calibrer notre réponse, il nous faut reconnaître que l’échelle de ces menaces s’apparente davantage au type d’attaques auxquelles nous faisions face avant le 11 Septembre ». Tout en revoyant les ambitions de la lutte anti-terroriste à la baisse, il se démarque dans la rhétorique et la méthode. Sans faire l’éloge de la faiblesse, il avance humblement face à un mal qu’il sait incurable, mais qu’il veut tout de même combattre en gagnant la bataille sur le terrain. Plus encore que la lutte anti-terroriste, c’est la bataille de l’idéologie qu’une Amérique véritablement « post-9/11 » devra gagner pour triompher de ses démons.