Pourquoi l’Algérie est-elle allergique à la révolution?

Saphia B. correspondante à Alger
8 Février 2013


A l’heure où les héritiers de la Révolution de Jasmin retournent dans les rues, une question subsiste: pourquoi l’Algérie a résisté à ces mouvements démocratiques?


« Le Printemps Arabe est une phase historique nécessaire dans l’Histoire de ces pays. Cet évènement fait suite à la nature autoritaire des régimes qui ont échoué sur tous les plans », nous introduit M. Addi, professeur de sociologie à l’IEP (Institut d’Etudes Politiques) de Lyon.

Selon M. Addi, il y a un traumatisme existant au sein des mentalités algériennes depuis une vingtaine d’années; l’Etat a ensuite su utiliser sa richesse pour faire taire toute velléité démocratique; et pour finir, la nature même du système politique de l’Algérie ne facilite pas la possibilité de changer le régime.

Retour sur un trauma existant au sein de la communauté algérienne, historiquement et politiquement.
En Octobre 1988, des manifestations transformées en émeutes éclatent en Algérie. Des jeunes, en majorité, désirent la baisse du prix des denrées alimentaires et la fin du régime dictatorial qui a tué plus de 500 personnes durant ces émeutes.
Le Président Chadli Bendjedid a choisi pour la première fois de mettre en place, par voie référendaire, la démocratie en autorisant le pluripartisme et la liberté d’expression, pour répondre aux révoltes. Cette action institutionnelle est d’ailleurs « remarquable pour un pays du Tiers Monde », nous affirme M. Addi. Et pour les premières élections libres, visant l’Assemblée Nationale en 1991, le FIS (Front Islamique du Salut) remporte les élections. Et c’est à partir de ce moment là que la « décennie noire » commence. L’armée algérienne, composée des généraux « janviéristes », a entreprit un coup d’Etat, annulé les élections et causé de multiples attaques militaires qui ont couté la vie à plus de 200 000 personnes. Cette première expérience démocratique s’est soldée à « un échec ».
Les citoyens ont eu ainsi la preuve que « les militaires ne veulent pas quitter le pouvoir, et savent que les faire sortir du gouvernement par la force détruirait l’Algérie ». M. Addi illustre ce fait par la situation actuelle de la Syrie sous Bashar Al Assad et le sort qu’il réserve aux soulèvements de ses citoyens. Il y a une certaine « sagesse populaire » née de ces évènements. M. Osman, professeur de Droit International à l’Université de Besançon, nous parle de « sentiment de fatalité » face à ces faits historiques violents.

L’Algérie fait preuve d’une bonne santé économique, possèdant une faible dette publique (9,925% du PIB en 2010 selon le Fond Monétaire International, et la France en est à 86,652%) et profite de l’exploitation de ses hydrocarbures pour tirer ses richesses. L’Etat utilise ses ressources obtenues pour mettre en place un système clientéliste, en « achetant le silence des citoyens », par diverses mesures. Il faut noter que ce pays est situé à la 96ème place mondiale sur 187 des pays étudiés par le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) en matière d’indice de développement humain.
Cette politique peut être expliquée par « la distribution de crédits aux jeunes (M. Addi parle de distribution car les dossiers pour obtenir des prêts auprès des banques sont excessivement faciles à constituer et permettent d’obtenir jusqu’à l’équivalent de 100 000€) ». M. Osman, ajoute à ce sujet, que ces octrois de prêts sont une « soupape de sécurité pour le régime ». Il ne faut pas trop, selon lui, « serrer le système, afin de permettre le petit entreprenariat » et empêcher un mécontentement populaire. En Algérie, la situation économie est différente de celle de la Tunisie et de l’Egypte, « il y a beaucoup d’argent qui circule ». M. Addi regrette une création d’entreprise presque inexistante, les nouvelles sociétés sont surtout concentrées sur le domaine des services. Il y a une diminution du chômage chez les jeunes, mais pas de création de richesses nouvelles avec la production de PME (petites et moyennes entreprises). Il nous cite comme exemple, les sociétés de location de voitures et les taxiphones.

La dernière raison qui peut expliquer l’immobilisme de la société algérienne reste la nature du système politique. On peut le voir dans « l’affaire d’In Anemas où le Président Abdelaziz Bouteflika n’a pas pris la parole, il ne décide de rien ». La population sait que si elle fait partir A. Bouteflika, le régime ne changera pas pour autant car le système algérien est un système oligarchique composé d’une armée entière au pouvoir. « L’armée est une institution, ce n’est pas un simple parti », ce qui explique la difficulté de changement de régime.

M. Osman nous ajoute que malgré la presse libre (comparativement aux Etats voisins comme la Tunisie ou la Libye) il reste une expression démocratique, dans la presse, dans les associations, « sauf en Kabylie où il y a une forte dictature ». Alors qu’en Egypte, seuls les Frères Musulmans allaient manifester dans les rues et montraient un opinion contraire à celui du gouvernement.

L’Alger rit, mais l’Alger pleure encore sur les victimes de ce changement démocratique violemment repris par l’ancien gouvernement. Ce traumatisme empêche les Algériens de revenir dans les rues pour un changement. La mise sous silence des problèmes économiques avec la distribution de la rente pétrolière dans un cadre clientéliste et la difficulté d’avoir l’espoir d’un changement de régime explique en grande partie l’immobilisme populaire et révolutionnaire en Algérie.