Poutine, ou la chasse à l'oligarque

7 Mai 2013


En 1991, l'URSS connaît ses dernières heures. L'Union Soviétique éclate et donne naissance à plus de 10 pays indépendants. En Russie, la situation économique n'est pas au beau fixe et subit de nombreux bouleversements. Le régime communiste a appauvris la population russe. Toute la population ? Dès la fin du régime soviétique totalitaire, un clan de jeunes businessmen profite de la situation et tente de s'affirmer comme l'élite de la nouvelle Russie.


Les grands magnats du pétrole et du gaz semblent ne rien avoir perdu depuis leur apparation. Leurs richesses paraissent inépuisables. En revanche, ils n'ont plus leur mot à dire en terme de décisions politiques. La situation s'est clairement inversée avec l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine.

Nous sommes en 1991. Le Soviet suprême est tombé. Son ancien dirigeant, Boris Elstine, devient alors le premier président de la Fédération de Russie. Afin de détruire complètement les restes du régime socialiste et poussé par les Etats-Unis et la Banque mondiale, Elstine s'engage dans une privatisation massive de nombreuses entreprises soviétiques. Le passage d'une économie socialiste planifiée à une économie de marché est assez brutal et surtout douteux.
La Douma (chambre parlementaire russe) a interdit la vente des entreprises soviétiques aux investisseurs étrangers. Cependant, personne n'avait les moyens de payer plusieurs millions de dollars pour acquérir une entreprise. Le gouvernement a donc décidé de tout brader.

Oligarchie : société dirigée par un petit groupe qui agit via le lobbyisme et les privilèges corporatistes. Qu'ils soient grands magnats de la presse ou PDG des plus grandes entreprises pétrolières, tous les oligarques ont eu une influence majeure sur la politique russe. Ils doivent leurs richesses aux rapports très étroits qu'ils ont entretenu avec le pouvoir en place. Parmi les plus connus on retrouve Boris Berezovski, Vladimir Potanine, Roman Abramovitch ou encore Mikhaïl Khodorkovski. Après avoir suivi le collège du Komsomol (jeunesses communistes), ils ont fait entrer l'idéologie ultra-libérale dans les moeurs de la politique russe.

Bannis du pays

En 1999, Vladimir Poutine accède au pouvoir. Suite à la démission de Boris Eltsine, il devient président par intérim. Ancien membre du KGB, le nouveau dirigeant met en place une politique très stricte pour tenter de sortir le pays de la récession. Le nouveau dirigeant est à l'image d'un colosse aux pieds de fer : inébranlable. Il aime le pouvoir et décide d'évincer les oligarques de son champs d'action.
Lors d'une interview accordé au Journal International, Evguéni Stradzé, conseiller en développement stratégique au consulat de Russie à Lyon, nous explique pourquoi : « En Russie, le pouvoir a une autre image. Le président est sacralisé et absolument inaccessible. Aujourd'hui, Poutine n'a plus besoin de l'argent des oligarques, qui ne sont d'ailleurs pas du tout populaires en Russie. » Poutine n'est pas dupe. Il doit prouver qu'il tient la route et que sa droiture est bonne pour le pays. Leur image trop « bling-bling » pourrait l'affaiblir et le discréditer auprès de la population.

Lors d'une convocation, le président russe a conclu un marché avec les oligarques de Boris Eltsine : ils ne doivent plus se mêler de politique et payer leurs impôts en Russie. Ceux qui ont accepté ce pacte ont pour la plupart soutenu les réformes de Poutine. En échange, leurs entreprises et autres affaires ne seront pas surveillées par l'Etat. S'ils refusent, c'est à leur risques et périls.

Khodorski, le prisonnier russe le plus célèbre

L'affaire Khodorkovski est restée dans les mémoires. Mikhaïl Khodorkovsky est l'ancien PDG de Ioukos, compagnie pétrolière russe. Lors des privatisations d'entreprises soviétiques, Khodorkovski rachète Ioukos pour plus de 300 milliards de dollars. Les affaires fructifient et il devient l'une des plus grandes fortunes de Russie et l'un des oligarques les plus influents. En 2003, Khodorkovski entreprend des négociations avec la société Sibneft, autre géant russe du secteur. Il compte ouvrir le capital aux investisseurs étrangers, plus précisément, aux Américains. Cette stratégie n'est pas du goût du Kremlin. Khodorkovski ne doit pas prendre le dessus sur Poutine. Il affirme même avoir de grandes ambitions politiques. Il n'aurait pas dû.

Le 25 octobre 2003, Mikhaïl Khodorkovski est arrêté lors de sa descente de l'avion à Novossibirsk en Sibérie. Il est inculpé d'escroquerie à grande échelle et évasion fiscale, écopant de 8 ans de prison. En 2010, on lui fait entrevoir la possibilité d'être remis en liberté. Le verdict est sans appel : Khodorkovski doit rester en prison et ce pour 5 ans de plus. Est-il un prisonnier politique ? Un ennemi personnel de Poutine ? Les accusations de meurtres envers le magnat du pétrole n'ont pas trouvé de bien-fondé mais la cour n'a jamais trouvé de motivations politiques dans cette affaire. Mikhaïl Khodorkovski reste un exemple à ne pas suivre.

Un changement au sein de cette oligarchie ?

Aujourd'hui, les anciens oligarques n'ont pas retrouvé leur place de leader d'opinions. Ceux qui ont refusé de s'écraser devant Vladimir Poutine ont été contraint à l'exil : « Les oligarques russes exercent davantage d'influence en Europe de l'ouest. Ils sont les bienvenus et se sentent plus libres : Roman Abramovitch s'est offert le club de football de Chelsea, Sergueï Pougatchev, le quotidien France Soir » nous confie Evguéni Stradzé.

Les nouveaux oligarques proviennent d'autres minorités d'Europe de l'est : Tatares, Géorgiens, Tchétchènes et autres micro-oligarques des régions du Caucase. Leur organisation économique est différente et moins militaire qu'en Russie.

La Russie a vu naître certains mouvements d'opposition au système oligarque. Les Russes ont peur d'un retour à la guerre. « Ce n'est pas une histoire de haine mais plutôt d'envie et de jalousie. C'est clairement un héritage de l'Union Soviétique » déclare M. Stradzé, qui a vécu plus de 30 ans sous l'ère soviétique.

La peur de tout perdre, sous le joug d'un pouvoir bien plus mafieux qu'il ne l'est déjà, règne au sein de la population. Ces dernières années, le nationalisme a pris une toute autre ampleur, voyant une opposition contre le « pouvoir du pouvoir » s'élever devant les politiques nourris aux roubles et aux dollars. Comme l'oligarchie, l'opposition nationaliste, menée par des personnes influentes comme Alexeï Navalny, n'est pas du tout républicaine mais peut être justifiée par un désir démocratique grandissant. « La démocratie, c'est comme les moyen d'hygiène : tant que l'on ne l'a pas connu, on ne se plaint pas de ne pas en avoir mais à un moment ça commence à sentir très mauvais », souligne Evguéni Stradzé.

Les oligarques ont été et sont toujours des grands acteurs d'image. La corruption ne fait pas d'eux des assassins mais le pouvoir imposé aux plus hautes sphères n'est plus le bienvenu. Aujourd'hui c'est la discipline qui prime.
A présent, les anciens du KGB, de la police et de l'armée ont la main mise sur le pouvoir russe. Ces « siloviki » comme on les appellent font partie du gouvernement et sont plus que favorables au contrôle de l'Etat sur l'économie.

« Dans la maison du peuple communiste, toutes les briques sont égales, mais celles qui sont en-dessous doivent supporter le poids de celles qui sont au-dessus » Mikhaïl Boulgakov, Le Maître et la Marguerite.