Que se cache-t-il derrière le traité transatlantique ?

Claudine Pillonca
15 Septembre 2014


Peut-être certains d'entre vous se sont déjà posé la question. La plupart d'entre vous n'en ont malheureusement jamais entendu parler. A quoi peut bien correspondre ce traité négocié dans l'ombre par les Etats-Unis et l'Union européenne et vers quoi va-t-il concrètement déboucher ?


Crédit REUTERS/Francois Lenoir
Le traité transatlantique entre l'Union européenne et les États-Unis n'est pas nouveau, l'idée ayant été lancée dans les années 1990. Cependant, sous sa forme actuelle, il découle du rejet de l'AMI (Accord Multilatéral sur l’Investissement) en 1998. Il vise à créer un espace de libre échange entre les deux entités afin de venir à abolir, ou tout du moins, réduire les barrières douanières qui ralentissaient voire empêchaient les exportations.

Il ne faut pas oublier pour autant que le nouvellement rebaptisé PTCI (Partenariat Transatlantique de Commerce et d'Investissement), cherchant à isoler la Russie et contenir la Chine au moment où ces deux puissances se rapprochent l’une de l'autre, soulève la polémique. Chez les personnes en ayant pris connaissance bien sûr, mais surtout aussi bien du côté européen que du côté américain. Egalement connu en tant que traité de libre-échange transatlantique, il se nomme aussi TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership) ou TAFTA (Transatlantic Free Trade Area) en anglais et a été rebaptisé en raison de l'échec cuisant que sa version antérieure (l'AFTA) avait connu.

Alors pourquoi ?

Ce qui nous est vendu dans cet accord est la multiplication des emplois créés au niveau des import-exports. L’économiste Jean-Luc Gréau rappelle cependant que chaque percée libérale entreprise depuis un quart de siècle nous a été promise comme résorbant le chômage et que si l'on s'en tient aux faits, en 1988, le « défi 1992 » promettant la création de 6 millions d'emplois en a fait perdre entre 3 et 4 millions à l'Europe lors de sa mise en place.

L'accord viserait également à augmenter de manière notable les revenus des européens avec, selon la Commission européenne une augmentation du PIB de 0,10 % puis entre +0,27 et +0,48 % pour l'Union européenne, et de 0.04% puis entre +0,21 et +0,39 % pour les États-Unis. Et pourtant.

Du côté européen : une inquiétude principalement sanitaire

En tant qu'Européens, nous nous inquiétons dans un premier temps de l'abandon possible des clauses sanitaires dans les négociations qui, rappelons-le, mettent en jeu quelque chose d'universel : l'alimentaire. Nous craignons d'être contraints, comme les Américains, de manger du poulet chloré, du bœuf aux hormones ou encore des OGM en grande quantité. Pourtant, si l'on s'en tient aux déclarations de l'UE, il ne semble pas que cet accord mène à la déréglementation générale mais plus à une concertation des États-Unis et de l'UE afin de rendre leurs normes plus « compatibles ». Le président François Hollande soutenait même en février dernier qu'« aller vite n'est pas un problème, c'est une solution. Nous avons tout à gagner à aller vite. Sinon, nous savons bien qu'il y aura une accumulation de peurs, de menaces, de crispations. »

Certaines choses semblent pourtant sûres. Pour l'instant, les gagnants de cet accord sont les exportateurs de fromages et les perdants seront les éleveurs concurrencés par les 65 000 tonnes de bœuf et  80 000 tonnes de porc canadiens à importer. Les agriculteurs, quant à eux, devront faire face à l'arrivée en masse des céréales américaines génétiquement modifiées sur le marché pendant que les écologistes s'inquiètent de la possible exploitation du gaz de schiste sur le territoire européen. 

Du côté américain : une inquiétude économique et écologique

Même les leaders du Comité des Finances du Sénat américain ont souligné que l'accord abaisserait nécessairement les régulations européennes quant aux poulets chlorés, aux cultures génétiquement modifiées, aux bœufs traités aux hormones et au droit du travail. 

Et si le président Barack Obama a assuré que ce nouvel accord serait nécessaire en raison du gain d'emplois américains bien rémunérés auquel conduirait un commerce libre et juste dans l'océan Atlantique, les consommateurs américains s'inquiètent de l'exportation de ressources naturelles comme le pétrole ou le gaz. En effet, selon des informations ayant filtré en mai dernier, l'accord comprendrait l'export systématique et « sans remise en cause » des ressources naturelles depuis les États-Unis vers l'Europe. Si eux pensent dans un premier temps à l'augmentation tarifaire que cela infligerait à chaque foyer américain, ils n'en oublient pas pour autant la menace écologique qu'un trafic constant de ressources fossiles peut entraîner dans l'Océan Atlantique. Le transport des ressources peut bien sûr être une menace immédiate (naufrages, fuites, etc.) mais aussi un peu moins immédiate en ralentissant la transition des pays occidentaux vers une énergie « verte ».

De manière générale : une inquiétude normative

Le fait que les négociations du traité aient eu lieu à la discrétion de l'opinion publique et des parlementaires européens ne présage rien de bon quant aux clauses d'un contrat qui met en jeu 820 millions de consommateurs, la moitié du PIB mondial et le tiers des échanges commerciaux. Comme à chaque fois, la création d'une institution supranationale de contrôle (la Commission d'arbitrage) chargée d'appliquer les règles soulève l'inquiétude générale. Qui prendra les décisions ? Sera-t-elle vraiment impartiale en l'absence de consultation populaire ? 

Cependant, une autre problématique inquiète : la possible soumission des Etats aux firmes internationales, qui semblent être en droit d'attenter un procès à un Etat refusant leurs produits. Il semble en effet que l'accord mette sur un pied d'égalité entreprises et Etats, favorisant les intérêts commerciaux. Ce qui est d'autant plus inquiétant que la législation permet à un investisseur américain d'attenter légalement un procès à un Etat européen, alors que la législation américaine en empêche la réciprocité. A cela s'ajoute la facilité des multinationales à remettre en cause les lois étatiques sur le droit du travail et à ne pas les appliquer car trop contraignantes. On pense au cas égyptien au cours duquel une entreprise a pu rejeter l'application du nouveau SMIC en raison de la perte d'argent que cela lui engendrerait. Lorsque l'on sait que cette entreprise a obtenu gain de cause, on ne peut que se demander ce qu'il adviendra pour les droits des travailleurs une fois l'accord ratifié et mis en place.

Dans tous les cas, seules deux institutions auront le dernier mot sur l'approbation de cet accord, prévu pour fin 2015 : le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne, regroupant les ministres du Commerce des 27 Etats membres.

Les parlements nationaux ne seront pas consultés pour ratification, sauf pour les dispositions qui relèveraient, le cas échéant, des compétences nationales, comme le prévoit le traité de Lisbonne pour les accords qui dépassent les compétences communautaires. Sachant que ce dernier fut lui-même considéré comme anti-constitutionnel et par conséquent anti-démocratique. 

Finalement, même si plusieurs mois seront encore nécessaires à la finalisation de cet accord, il ne faut pas oublier qu'une procédure similaire tend à être mise en place avec le Canada. Il ne reste donc plus qu'à espérer que les citoyens européens seront véritablement informés sur ces négociations pour éviter toute dérive technocratique ignorant totalement la volonté et l'avis des centaines de millions de citoyens concernés directement par l'accord.