République tchèque : la guerre constitutionnelle continue

26 Juin 2013


En République tchèque, la crise gouvernementale s´est transformée en crise constitutionnelle. Le président, Milos Zeman, a désigné l'ancien ministre des Finances, Jiri Rusnok, à la tête du gouvernement. Mais cette nomination n'a pas reçu l'aval du parlement et les députés ne semblent pas vouloir accorder leur confiance à ce nouveau gouvernement.


Le président Milos Zeman (à gauche) a nommé Jiri Rusnok (à droite). Crédits : idnes.cz
« Le système parlementaire est menacé ! Le président usurpe des pouvoirs qui lui n'appartiennent pas ! Il faut protéger l'esprit de la constitution ! » Voici les réactions de députés de l'ancienne coalition gouvernementale suite à la nomination du nouveau Premier ministre, Jiri Rusnok.

Quelques heures avant la cérémonie au bureau présidentiel, les membres de l'ancien gouvernement conservateur de Petr Necas avaient recueilli 101 signatures parlementaires sur 200, pour que la coalition soit maintenue. Mais, pour le président Zeman, cela ne signifiait rien. Il a affirmé que l'ancien gouvernement n'avait plus aucun soutien de la population et qu'il fallait donc former un nouveau cabinet d'experts, qui mèneraient la République tchèque vers des élections anticipées.

Le président s´est mis d'accord avec les parlementaires socialistes et communistes. Pour eux, la meilleure solution était de préparer des élections pour septembre 2013 (les élections régulières devaient avoir lieu en mai 2014). Pourtant, le parlement, y compris la gauche, n'a pas voulu accorder sa confiance au nouveau gouvernement de Jiri Rusnok. Pour dissoudre la Chambre des députés, 120 députés doivent voter en faveur de la dissolution. Par la suite, le nouveau gouvernement nommé, par le président, gérerait le pays jusqu´aux élections anticipées en septembre.

La présidentialisation dangereuse du système parlementaire

À première vue, il s'agit d'un désaccord politique classique. Or, selon certaines juristes, l'engagement du président va plus loin. L'enjeu serait constitutionnel. Depuis la Révolution de Velvet en 1989, les premiers ministres nommé par le Président tchèque ont toujours été approuvés par les parlementaires. À vrai dire, les députés se mettaient d'accord au préalable sur un nom, et le Président le présentait à la Chambre ensuite.

Le 22 et 23 juin, le président Zeman avait pourtant entendu les points de vue des différents partis politiques présents au Parlement. Mais au lieu du compromis, il a choisi d'imposer un nom, Jiri Rusnok. En guise d'argument d'autorité, il a mis en avant les résultats des dernières élections présidentielles, où il l'a emporté avec 2,7 millions de votes.

Or, le système politique tchèque est fondé sur la souveraineté du Parlement. Selon les traditions constitutionnelles, le président dispose seulement d'un rôle symbolique. Totuefois, la constitution n'est pas assez précise. C'est pourquoi Milos Zeman, le premier chef d´État élu au suffrage universel direct en République tchèque, peut utiliser ces vides juridiques pour renforcer sa position. Mais cette cumulation de pouvoir aux mains d'une seule personne pourrait déstabiliser l'équilibre institutionnel.

Un jeu derrière les coulisses

A côté de cette guerre constitutionnelle et médiatique, on spécule sur les vraies causes des décisions présidentielles. En mai, le nouveau président s´était fâché avec le ministre des Affaires étrangères, sur les nominations des ambassadeurs pour la Russie et pour la Slovaquie. SI maintenant le nouveau gouvernement est créé selon les propositions du chef d'État, il est clair que les nouveaux ministres exécuteront les voeux du Président. Y compris les nominations des ambassadeurs.

La République tchèque se trouve aussi au milieu d'une grande compétition publique pour l'achèvement de la centrale nucléaire, Temelín. La construction de deux nouveaux réacteurs devrait coûter au moins 10 milliards d'euros. Après que la société française Areva a été exclue de l'appel d'offres, deux compétiteurs restent en lice, Westinghouse (États-Unis) et MIR1200 (Russie). Le contrat est très controversé. L'ancien gouvernement n'était même pas d'accord sur la réalisation de la construction finale. Désormais, certains journalistes écrivent que le nouveau gouvernement pourrait, voire devrait, annuler l'appel d'offres et signer le contrat avec l'entreprise préféré du chef d'État. De ce fait, des rumeurs de corruption et de financements secrets de la campagne électorale de Zeman circulent.

Une chose est maintenant sûre : la décision de nommer le nouveau Premier ministre a fait éclater une vraie guerre constitutionnelle entre le président et le parlement. Malheureusement les députés ne sont pas non plus unis dans leur position. La gauche veut de nouvelles élections, la droite souhaite que le chef d'État respecte le caractère parlementaire du système tchèque et nomme un gouvernement qui aura la majorité à la Chambre des députés.

La République tchèque se prépare donc pour un été politiquement chaud. Personne ne sait comment ce conflit finira. On envisage trois scénarios : soit le nouveau gouvernement sera rejeté par le parlement et 120 sur 200 députés voteront pour des élections anticipées en septembre. Soit le nouveau gouvernement sera rejeté par le parlement, et le président nommera un autre Premier ministre qui aura le soutien majoritaire parmi les députés. Enfin, soit le nouveau gouvernement sera rejeté par le parlement, mais le président ne réagira pas. L'État serait alors dirigé par un gouvernement en démission jusqu´aux élections régulières en mai 2014. Aucun de ces scénarios ne calmera la situation. Il semble que la République « à la tchèque » reçoive une attaque frontale.



Correspondant à Prague pour Le Journal International. En savoir plus sur cet auteur