Sotchi 2014 : à qui profitent les Jeux Olympiques ?

Simon Henry
4 Juillet 2013


Du 7 au 23 février 2014 se dérouleront les Jeux olympiques en Russie. Le choix du CIO a jeté un pavé dans la mare. Le coût de l’organisation devrait atteindre un record historique. Le revers de la médaille : l’environnement est négligé et les suspicions de corruption jettent le discrédit sur ces Jeux olympiques.


© Kevin Pedraja
Sotchi, ville de 400 000 habitants, d’un côté, baignée par les eaux chaudes de la mer Noire et de l’autre, surplombée par les pics neigeux du Caucase. Cette station balnéaire, un des lieux de villégiature chéris de Vladimir Poutine, était davantage connue pour ses maisons de cure que pour ses domaines skiables. Et pourtant, le 7 juillet 2007 à Guatemala City, Sotchi a été désignée ville hôte des Jeux olympiques d’hiver 2014, coiffant au poteau la ville sud-coréenne de Pyeongchang et de Salzbourg (Autriche). La Russie accueillera donc pour la première fois, les prochains Jeux olympiques d’hiver, 34 ans après ceux d’été à Moscou, boycottés à l’époque par une partie du monde occidental.

Une attribution contestée

Bien que le temps de la guerre froide soit révolu, l’attribution de Sotchi n’a pas manqué de provoquer des remous. Après Pékin en 2008, le Comité International Olympique (CIO) distingue de nouveau un État qui ne brille pas par son respect de la démocratie et des droits de l’Homme. Les réactions ne se sont pas fait attendre. « Si c’est une question de pouvoir politique et de gros sous, alors Salzbourg n’avait aucune chance », avait aussitôt lancé Alfred Gusenbauer, le premier ministre autrichien de l’époque. Mauvais perdant ou échange de bons procédés ? La décision finale a été prise à la majorité relative (51 voix contre 47). Les membres ayant voté ont pris en considération le rapport de la commission d’évaluation, les aspects techniques de la candidature et d’autres éléments qu’il/elle a jugés de prendre en considération comme d’excellents jeux pour les athlètes, de superbes sites de compétitions, le village olympique, se défend le CIO. Selon une information rapportée par Slate, Vladimir Poutine se serait rendu personnellement à Guatemala City pour y rencontrer les membres du CIO, deux mois avant la désignation de Sotchi. « Un chef d’État peut parfaitement appuyer sa candidature », répond le CIO. Toujours de même source, la deuxième banque du pays, VTB, aurait conclu presque concomitamment, un partenariat avec l’AAIF, la fédération internationale d’athlétisme. De quoi soulever de sérieuses interrogations.

Les JO d'hiver les plus chers de l'Histoire

La candidature de Sotchi n’était pas la plus évidente sur le papier. Contrairement à ses concurrentes, la ville possédait très peu d’équipements. Pour être à la hauteur de l’évnement, Vladimir Poutine avait promis d’injecter 12 milliards d’euros d’investissements. Une somme qui détrône ainsi Vancouver (1,44 milliard d’euros) et Turin (3,6 milliards d’euros) au palmarès des JO d’hiver les plus onéreux. C’est le prix à payer pour faire sortir de terre des infrastructures quasi-inexistantes. En somme : un parc olympique en bord de mer, à 25 km du centre-ville, pour les sports de glace et les cérémonies, et des sites en montagne pour les disciplines de neige. Néanmoins, les aménagements inhérents à ce type d’évènement, notamment en matière de transports, demeurent l’essentiel. Sans quoi la fête serait tout bonnement gâchée. Un tronçon d’autoroute de 48 km reliant à Adler, située sur la côte, à Krasnaya Polyana où sont les stations de ski, a été construit, ainsi qu’une multigare desservant les réseaux ferroviaires, maritimes et routiers. Dmitri Tchernychenko, le président du comité d’organisation Sotchi 2014, le décrit comme « le plus grand chantier au monde ». Il ne faut toutefois pas se leurrer. Ces nouveaux aménagements s’inscrivent dans une stratégie bien huilée car le gouvernement songe déjà à l’après-Sotchi. Objectif principal : profiter des retombées économiques, et ainsi transformer cette station balnéaire, décriée pour sa clientèle élitiste en haut lieu du tourisme international. D’où l’importance de laisser un héritage lucratif pour la ville et le pays au-delà des 16 jours de compétition. Au détriment de l’environnement.

Risque de désuétude des infrastructures

D’après Greenpace, quelques 1500 familles se sont fait expulser de leur logement pour laisser place aux constructions olympiques. Certaines y ont été forcées, sans compensation. Sur son site, l’association locale Veille écologique du Caucase du Nord compile toutes les modifications et violations législatives. Par exemple, la loi sur les zones protégées a été changée en 2006 afin de rendre possibles les activités sportives de masse dans les parcs nationaux. Ce fut aussi le cas, en 2009, du Code forestier, pour autoriser l’abattage d’espèces rares d’arbres et d’arbustes. D’autant que de plus en plus de doutes persistent au sujet de la viabilité des infrastructures. « Le sens de n’importe quel projet d’urbanisme réside dans l’amélioration, en définitive, de la vie des citadins. Quand je regarde Sotchi, je ne peux pas dire si oui ou non la vie des gens sera meilleure ici », déclare au Courrier de Russie, Eleonora Chevtchenko, directrice adjointe de l’Institut scientifique de théorie de l’architecture et de l’urbanisme. Les bénéfices espérés pourraient donc avoir une durée de vie limitée. Mais le jeu en vaut bien la chandelle.

Soupçons de corruption

Comme tout chantier qui se respecte, les travaux ont pris du retard. « Nous travaillons en étroite coopération avec le comité d’organisation et utilisons l’expérience acquise lors des précédents Jeux olympiques d’hiver pour veiller à ce que tout soit prêt à temps », tempère le CIO. Cela étant, le coût de l’organisation a été revu à la hausse. Il est désormais estimé à 36 milliards de dollars (dont 24 milliards de fonds publics), soit trois fois plus qu’initialement. Akhmed Bilalov, ancien vice-président du comité olympique russe, en a fait les frais. Il s’est vu démettre de ses fonctions le 7 février 2013. « Bravo, vous travaillez bien ! », avait lancé ironiquement Vladimir Poutine en direction de ce dernier. Reste que cette succession de retards alimente les suspicions de corruption. Un rapport de la Cour des comptes russe en date du 6 mars 2013, cité par l’agence de presse Ria Novosoti, accuse « Olympstroi » d’avoir « créé les conditions d’une inflation injustifiée des coûts ». Deux mois plus tard, les conclusions d’une enquête menée par Boris Nemtsov, leader de l’opposition russe, jettent encore un peu plus d’huile sur le feu. Selon le Monde, ces dernières rapportent que près de 23 milliards auraient été détournés. Une arnaque insidieusement manœuvrée qui servirait les desseins d’une poignée de personnes gravitant autour de Vladimir Poutine. « Les Jeux olympiques sont un projet personnel pour Poutine, et il est clair que ceux qui ont volé l’argent sont ceux qui sont proches de ce même Poutine », s’insurge-t-il.

Un enjeu géopolitique

Cet évènement sportif, Vladimir Poutine en a fait sa fierté nationale. Au-delà de son cadre idyllique, le choix de cette ville n’est pas anodin. Située à proximité de la frontière géorgienne, sa localisation lui confère une importance stratégique majeure. Depuis son retour au Kremlin, Vladimir Poutine n’a jamais dissimulé son ambition : recouvrer l’ancien prestige de l’Union soviétique. La Géorgie, l’Ukraine ou encore la Moldavie ont exprimé leurs souhaits de devenir membre de l’OTAN, et à plus long terme, de l’Union européenne. Mais ces prochains Jeux olympiques en terre russe, véritable levier économique, redistribuent les cartes. En 2008, la participation d’athlètes géorgiens aux JO de Sotchi était compromise. Ce boycott avait pour but de protester contre la reconnaissance par Moscou de l’indépendance des régions d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie (la Russie a envahi la Géorgie en 2008). Depuis, le nouveau Premier Ministre géorgien Bidzina Ivanichvili a pris les rênes du pays. Partisan de l’amélioration des relations avec la Russie, il a mis fin au suspense le 2 mai dernier. « Je vous félicite : les athlètes géorgiens participeront aux Jeux olympiques d’hiver (de 2014 à Sotchi, en Russie), et ce, dans l’intérêt du sport géorgien » avait-il déclaré au journal russe Kavkazski Ouel, consacré au Caucase Nord. Il semblerait bien que Vladimir Poutine soit en passe de rentabiliser sa mise de départ. Et ce, sur tous les fronts.