Suisse, la neutralité s'arme

Maxime Le Pendeven
1 Mai 2013


La Suisse rencontre des problèmes là où on ne l’attendait pas. Information étonnante : ce pays fédéral se classe au rang de 4e pays ayant le plus grand nombre d’armes légères pour 100 habitants (46%), derrière les États-Unis, le Yémen, la Finlande, et devant…l’Irak !


Les Walser sont d’excellents tireurs et s’entraînent deux fois par semaine. La mère est enseignante, le père, juge. Albert (16 ans, à gauche) est lycéen. Son frère, Emil (18 ans), vient d’intégrer l’école de recrues, première étape des obligations militaires. (Photos Serge Michel)
Le 20 mars 1815, la « neutralité perpétuelle de la Suisse » est conclue au Congrès de Vienne. La Suisse bénéficie alors du statut de pays neutre, qui induit certaines caractéristiques, comme l’intégrité et l’inviolabilité de son territoire. Depuis lors, la Suisse a toujours été, et est toujours, un État neutre.

Cette neutralité, tant admirée par certains et décriée par d’autres, a une certaine fonction au sein de la société helvète. Selon Franz Riklin, psychiatre suisse, la neutralité sert à l’indépendance de la politique étrangère et sécuritaire de la Suisse, sa liberté de commerce, à lui donner un certain poids de stabilité sur le continent européen, et est utilisée pour un objectif de cohésion interne du pays. Cohésion interne du pays ? En ayant un fort taux d’équipement d’armes à feu légères ? Paradoxe ? Non, pas forcément…

Un pays (sur)équipé en armes à feu ; mais pourquoi ?

La Suisse est un des derniers États d’Europe où le service militaire est obligatoire (sans exception) pour les jeunes hommes de 18 à 20 ans. Après avoir rendu service à l’État, les citoyens se doivent de conserver leur arme d’ordonnance. Légale ? Oui, une réglementation du pays autorise le transport des armes et le port d’arme, à condition qu’elle ne soit pas chargée. Un citoyen peut donc se promener avec un pistolet et la balle dans une même poche, du moment que l’arme n’est pas chargée. Il faut quand même avoir une autorisation d’achat d’arme ou de munition, plutôt simple à avoir.

La législation sur le port des armes à feu, comme le pays dans son ensemble, est très libérale. Cela s’explique principalement par la tradition suisse de la profonde confiance en l’homme, reflétant une réelle culture libérale, mais également le critère géographique. Les Suisses ont toujours misé sur la force intérieure de ses citoyens pour faire face à ses potentiels assaillants si leur neutralité était violée. Il s’agit réellement d’assurer la sécurité nationale si besoin est. Les Suisses ont d’ailleurs une devise nationale « Unus pro omnibus, omnes pro uno » en français « Un pour tous, tous pour un ». Les Suisses considèrent bien souvent qu’avoir son fusil chez soi fait partie de cette participation collective à la sécurité nationale.

La remise en cause de la possession d’armes à feu

La possession d’armes à feu est chez notre voisin de plus en plus remise en question. La profusion des armes à feu pose de nombreux problèmes de société chez les Suisses. Ces armes sont souvent utilisées dans le cadre de suicides et drames familiaux. Le criminologue Martin Killias estime que les armes militaires tuent environ 300 personnes par an.

De fait, la société suisse s’interroge de plus en plus sur la possession des armes à feu… Des mesures ont été prises, comme en 2008, où les autorités ont adopté une loi interdisant aux réservistes et soldats d’avoir des munitions à domicile. En 2009, l’initiative « Pour la protection face à la violence des armes » menée par des associations comme Aide aux victimes, Stop Suicide, auxquelles se sont ajoutés les partis politiques de gauche, a été déposée, pour obliger les militaires à laisser leurs armes et non chez eux, incluant la création d’un registre national des armes à feu, qui n’existe actuellement toujours pas.

Résultat ? Les Suisse ne rendront pas les armes ; lors des votations populaires qui ont eu lieu en 2011 au sein de la Confédération, les Suisse ont refusé l’initiative à 56,3% des voix exprimées.

Pour les libéraux, la droite et les anti-initiatives, c’est une victoire. « C’est une marque importante de la confiance accordée à nos soldats », déclarait Pius Segmüller, député du Parti démocrate-chrétien. « Chaque Suisse se sent concerné par l'arme qu'il a chez lui », notait la députée libérale Sylvie Perrinjaquet, membre du comité contre l'initiative. D’ailleurs, le lobby Pro Tell, qui milite pour un droit libéral sur les armes, argue que la possession de l’arme à feu fait partie de la tradition nationale suisse depuis l’époque de Guillaume Tell, héros de l’indépendance suisse.

Pour la gauche et les pro-initiatives, il s’agit d’une défaite ayant eu des effets bénéfiques. Ueli Leuenberger, président des Verts, déclarait : « Malgré cet échec, l'initiative a provoqué des petites évolutions ». Il faut noter qu’elle n’était officiellement pas soutenue par Berne et le gouvernement, qui avait recommandé de voter « non », puisque « beaucoup de progrès ont été faits » depuis le lancement de cette initiative, selon Simonetta Sommaruga, ministre de la Justice et de la Police.

Guillaume Tell, légendaire héros de l'indépendance helvétique
L’initiative a donc eu le mérite de faire remuer des questions sur le port d’arme en Suisse, d’actualiser les lois, sans pour autant interdire le port d’armes à feu, qui y tiennent largement par culture et tradition.

Pour certains, il faut dorénavant encourager les citoyens à rendre volontairement leurs armes, et celles retrouvées au sein de leurs familles. À ce titre, les deux cantons de Vaud et Genève ont lancé en février l’opération « Vercingétorix », incitant la population à se séparer des armes à feu grâce à une collecte volontaire, anonyme et gratuite.

Bilan ?

La Suisse n’est pas décidée à rendre les armes, par culture et bien évidemment par tradition. Pour la droite, la législation sur le port d’armes à feu n’induit pas un taux important de criminalité. Et, concrètement, le taux d’homicide volontaire de nos voisins peut leur donner raison : d’après l’UNODC, en 2009, avec un taux d’homicide volontaire de 0,7 pour 100 000 habitants (contre 1,1 pour la France, qui possède une des législations européennes les plus restrictives sur le port d’armes à feu), la Suisse arrive dans son ensemble à concilier port d’armes à feu et faible criminalité. D’après ces statistiques évidemment établies sur des constatations empiriques, la légalité du port d’armes n’influe pas sur la criminalité au sein d’un pays. Le problème du port d’armes à feu en Suisse est donc davantage basé sur les suicides. Des actions de prévention, combinées aux mesures mises en place récemment, pourraient avoir des effets extrêmement positifs.

La Suisse, très certainement le pays le plus neutre de la planète, arrive donc largement à surpasser le surarmement de sa population. Finalement, tout ne se jouerait-il pas sur la capacité d’un État à faire confiance aux citoyens, à les responsabiliser ? La Suisse : exemple de réussite de la mentalité libérale ?