ARISA : la tendance gay-underground à Tel-Aviv

19 Décembre 2013



La politique sécuritaire d’Israël et ses relations tendues avec le Moyen-Orient apparaissent toujours sur le devant de la scène médiatique. Mais l’État hébreu n’est pas seulement un pays en guerre. Au cœur de Tel-Aviv, une scène culturelle sulfureuse fait entendre des voix dissonantes. Décryptage du succès d’un groupe gay, arabe, et juif.


Crédit Photo --- Captures d'écran de ARISA : special yemenite party
Crédit Photo --- Captures d'écran de ARISA : special yemenite party
En 2011, le magazine berlinois Spartacus a élu Tel-Aviv « meilleure destination gay du monde » dans son numéro spécial « The international gay guide ». Il a ainsi officialisé le statut de capitale gay du Moyen-Orient que possédait déjà la ville. Depuis, l'industrie du divertissement homosexuel y connait un développement extraordinaire. Bars, clubs, soirées électro et autres étoiles montantes surfent sur cette tendance et connaissent un franc succès en Israël comme à l'international. Outre un aspect lucratif indéniable, les différents producteurs de ces soirées deviennent les ambassadeurs d'une image avant-gardiste et ouverte de l'état hébreu. Le site officiel de l'office de Tourisme de Tel-Aviv dédie ainsi un onglet particulier de son site web à la « gay-vibe ».

Le groupe ARISA n'échappe, pas à la règle : ce label de soirées créé par les jeunes producteurs Omer Tobi et Yotam Papo fait danser la communauté LGBT israélienne depuis 2008. Cependant leur succès n'est pas fondé sur une simple revendication de liberté sexuelle. À travers leurs vidéos promotionnelles qui ont fait le tour du monde, ils jouent avec les tabous sociaux, identitaires et religieux de la société israélienne.

Uriel Yekutiel, ou la subversion du genre

Tout commence en 2010, lorsqu'Omer Tobi repère les vidéos mises en ligne par un jeune homme hors du commun : Uriel Yekutiel. Il est danseur, chanteur, chorégraphe, et bien sûr, gay. Il est aussi une véritable œuvre d'art ambulante. Personnage transgenre, héritier d'un Freddie Mercury à l'énergie débordante et au charme ambigu, il devient la star des vidéos du groupe.

 

Il n'est ni une drag-queen, ni un transsexuel, ni une « folle ». Il représente une nouvelle génération qui tente de se libérer des catégorisations de genre. Uriel parvient ainsi à un équilibre étonnant entre masculinité et féminité, arborant à la fois la moustache et les talons hauts. Les trois acolytes produisent ainsi en quelques années une série de vidéos poussant toujours plus loin le mélange des genres et la subversion sexuelle : en février 2011, ils publient sur YouTube une vidéo intitulée « mon chocolat », dans laquelle Uriel lèche le crâne d'un jeune mannequin recouvert de chocolat, en compagnie de personnes âgées invitées à faire de même.



Dans la vidéo « Ma Asita Li », il incarne le rôle d'un amant tabassé par son partenaire. On le voit, le visage bleui par les coups, tenter d'embrasser son bourreau. Chaque clip illustre son lot de fantasmes, qui ravissent le spectateur sans le choquer outre mesure grâce au ton léger et à l'atmosphère absurde créée par les acteurs et la mise en scène. Le groupe a compris la clef du succès pour remporter la scène de la nuit à Tel-Aviv : questionner toujours plus les tabous de la société israélienne, redéfinir la sexualité avec originalité, et jouer avec tous les symboles possibles.

Une mise en question des codes de la société israélienne

ARISA ne s'arrête donc pas à la question du genre, et se sert de la visibilité acquise par le succès de leurs vidéos pour s'attaquer à des thèmes plus généraux, mais aussi plus sensibles.

Ainsi, après des clips comiques qui caricaturaient la « mère juive » et le départ des enfants à l'armée, cette année le groupe s'attaque à la question religieuse. Il s'agit de tourner en dérision l'intégrisme religieux, en le mêlant à l'homosexualité.

Le groupe repousse les limites du politiquement correct en mêlant des symboles contradictoires. On peut ainsi voir Uriel accompagné de jeunes hommes torse nu, portant la coiffe des juifs orthodoxes ; ou encore arborant la burqua, entouré d'hommes voilés. Ces clins d’œil à la religion musulmane sont autant d’appels à la libération de l’homosexualité dans les pays arabes. À travers l’industrie du divertissement, ARISA trouve une influence importante dans toute la région. Et leur message, léger en apparence, possède une forte tonalité politique.

La « mizrahi gever », ou fièvre gay-mizrahim

Fier de ses origines afghane et yéménite, Uriel les voit même comme un atout physique. Mais si aujourd’hui ses traits arabisants sont un avantage, il n’en a pas toujours été ainsi. Comme presque la moitié des juifs d’Israël, il est « Mizrahim », descendant des communautés juives du Moyen-Orient. Ces populations originaires d’Afghanistan, d’Irak, ou du Yémen ont émigré en Israël en masse après la guerre israélo-arabe de 1948. Ils ont profondément transformé le paysage culturel de l’État hébreu. Mais leur intégration a été difficile. Longtemps, ils ont été victimes de racisme, parfois encore aujourd’hui. Dans les années 70, les juifs Mizrahi, inspirés par le mouvement des droits civiques aux États-Unis, ont fondé « Les Black Panthers d’Israël ». C’est à ce moment qu’ils ont réellement commencé le combat pour la reconnaissance de leur culture et de leurs coutumes au sein du pays. S’ils n’étaient que peu acceptés parmi les Israëliens, leurs relations avec leurs pays d’origine étaient aussi très tendues. Ils portent en eux deux identités à priori inconciliables.

Aujourd’hui, le gouvernement leur dédie seulement 2% du budget alloué à la culture, et il est encore choquant de se présenter comme étant à la fois juif et arabe. ARISA a pourtant fondé son succès sur des sonorités purement Mizrahies, et des clips à atmosphère arabisante. Collectionnant à première vue les désavantages, le groupe est gay et arabe dans un pays dirigé par le judaïsme. Paradoxalement, ces caractéristiques furent la clef de leur succès.

Quand la nuit tombe sur la capitale israélienne, les tendances s’inversent. Alors que la guerre contre les « Arabes » fait rage à quelques centaines de kilomètres, les Mizrahis sont à l’honneur dans les nightclubs.

Notez


Laure Broulard
Journaliste en herbe, diplômée de Sciences Po et d'Etudes Européennes. Amatrice de poésie, de... En savoir plus sur cet auteur