Argentine : le gouvernement ferme les portes au dollar

26 Mars 2013



Le dollar américain devient une monnaie rare en Argentine. Depuis fin 2011, le gouvernement a mis en place une série de mesures draconiennes concernant les opérations de change. Acheter des devises étrangères, voyager ou faire du commerce à l'extérieur du pays font partie des actes quotidiens devenus impossibles pour les Argentins. Ces restrictions visent à préserver les réserves monétaires destinées au remboursement de la dette. Elles réactivent aussi le marché noir. Retour sur les dérives économiques d'un pays se refermant peu à peu sur lui-même.


@Associated Press
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« Bonjour Monsieur. Je suis de nationalité française et en vue d'un retour prochainement prévu en Europe, je souhaiterais échanger mes pesos argentins contre des euros. - Cela risque d'être impossible, répond l'opérateur du bureau de change, d'un ton catégorique. L'achat de devises étrangères a fait l'objet de restrictions. Vous avez deux solutions : demander à un Argentin pouvant justifier des revenus d'effectuer les démarches à votre place ou bien dépenser votre argent avant votre départ. »


La scène paraît incroyable, pourtant elle est bien réelle. Depuis l'élection de Cristina Kirchner en octobre 2011, l'Argentine a opté pour un durcissement de sa politique monétaire. En juillet 2012, la Banque Centrale a supprimé la possibilité d'acheter des devises étrangères, notamment le dollar,  souvent considéré par les Argentins comme une « monnaie refuge ». Ces restrictions répondent à des nécessités économiques. Elles visent à rembourser la dette externe et à sortir l'Argentine de la dépendance financière vis-à-vis du marché mondial. Toutefois, elles réactivent le marché noir et vont à l'encontre de la libre circulation des biens et des personnes.


Le dollar « blue » : pilier du marché noir

Le dollar américain apparaît comme la monnaie de référence en Argentine. Il sert à effectuer les échanges commerciaux à l'extérieur comme à l'intérieur du pays, au sein des grandes entreprises industrielles et agricoles ainsi que dans le secteur de l'immobilier. La redéfinition récente du système monétaire a entraîné la multiplication des « cuevas », bureaux de change clandestins, qui gèrent l'achat et la vente de dollars en parallèle du marché officiel. À côté du dollar blanc se développe donc le dollar « blue ». Sa valeur dépend de l'offre et de la demande, fixés généralement par les grands bureaux de change, les sociétés en bourse et les informations parues dans la presse.


Comme l'explique Alejandro Rebossio, journaliste argentin, le schéma est simple. Un particulier souhaite vendre des dollars. Il se rend alors auprès d'un "cuevero", qui s'emploie à trouver un acheteur en passant par un "correto". Aucun des deux agents ne connaît l'identité ni le lieu géographique de l'autre. Ils communiquent par e-mails ou par téléphone, en ayant recours à de faux noms. L'échange se réalise ainsi par leur intermédiaire avec le prélèvement d'une commission au passage.


Les cuevas ou « grottes monétaires » existent depuis les années 70 en Argentine. Elles se sont multipliées avec la crise économique de 2001 et depuis le lancement des réformes monétaires en octobre 2011, de nombreux opérateurs financiers légaux ont développé un commerce parallèle, souvent pour satisfaire les demandes de leurs propres clients. Comme le souligne un article paru dans le journal La Nacion, ceux-ci proviennent majoritairement de la classe aisée, rattrapée ces derniers temps par la classe moyenne.


Le marché du dollar blue se développe à mesure que l'Etat ferme progressivement l'achat des devises étrangères. Entre octobre 2011 et avril 2012, le gouvernement autorisait les salariés à acheter des dollars s'ils pouvaient justifier leurs revenus. Beaucoup les revendaient alors sur le marché parallèle, touchant parfois un bénéfice de 30% du montant initial. Cependant depuis mai 2012, le gouvernement a retiré cette possibilité et autorise l'acquisition de devises étrangères uniquement dans le cas de voyages à l'étranger.


Acheter et voyager à l'étranger, des droits restreints bientôt supprimés ?

Nico est un étudiant argentin qui s'apprête à effectuer un semestre d'échange universitaire au Chili. Il bénéficie pour cela d'une bourse d'études. Un montant versé sur son compte en banque, qu'il ne pourra cependant pas retirer durant son séjour au Chili. La Banque centrale a en effet annoncé une nouvelle restriction le lundi 11 mars dernier. À compter du 3 avril, les Argentins voyageant à l'extérieur du pays ne pourront retirer de la monnaie étrangère que s'ils disposent d'un compte bancaire en devises en Argentine ou dans le pays dans lequel ils séjournent.


Confronté à cette nouvelle situation, Nico a tenté de changer des pesos afin d'emporter de l'argent liquide, dont le seuil maximum actuellement autorisé aux voyageurs s'élève à 10 000 dollars américains. « Je me suis rendu à l'AFIP, explique Nico. L'Administration Fédérale des Recettes Publiques est l'organisme sanctionnant ce genre d'opérations. J'ai dû remplir un formulaire comportant de nombreux renseignements sur les motifs de mon voyage. Finalement ma demande a été refusée car en tant qu'étudiant je ne perçois pas de revenus. » Pendant les quatre prochains mois, l'étudiant pourra donc effectuer des achats par carte bancaire mais il ne pourra pas retirer de pesos chiliens. « Je ne sais absolument pas comment je vais faire pour payer le loyer, raconte l'Argentin. Sur les forums, certains vont jusqu'à conseiller de payer par carte bancaire les achats des consommateurs dans les supermarchés afin de récupérer en échange leurs billets liquides ! »


Le billet d'avion également soumis à conditions

À la douane, les contrôles se sont également renforcés. Le président de l'AFIP, Ricardo Echegaray, avait annoncé la nouvelle mesure à la radio en septembre dernier. L'administration demande aux touristes argentins de déclarer leurs achats effectués à l'étranger. Ils doivent remplir un formulaire détaillant la valeur de ceux-ci. Si le montant total dépasse les 300 US$ autorisés, ils se verront infliger une taxe correspondant aux 50% du surplus. Celle-ci s'ajoute à la taxe anticipée, valable pour chaque achat effectué à l'étranger par carte bancaire et correspondant à 20% du montant de l'achat.


Depuis le 18 mars dernier, la taxe anticipée concerne aussi les billets d'avion et excursions touristiques. Ainsi, un Argentin qui réserve un vol par internet auprès d'une compagnie étrangère la paiera 20% plus cher que le prix indiqué. S'il achète au cours de son voyage un ordinateur d'un montant de 500 US$ (environ 400 euros), il devra acquitter une taxe de douane de 100 US$.


Ces « nouveaux impôts » peuvent paraître démesurés. Ils visent à réguler le marché interne et empêcher la fuite des capitaux. Avec les phénomènes croissants d'inflation et la politique de limitation des importations, de nombreux Argentins voyagent en effet pour des raisons économiques. Ils se rendent dans les pays limitrophes, tels que le Paraguay, l'Uruguay ou le Brésil, pour y acheter des produits cosmétiques, technologiques ou électroménagers réputés bien moins chers.


Au casino, on ne joue pas, on achète des dollars

Le 14 mars dernier, la Banque centrale a mis en place une mesure afin de bloquer les achats de jetons de casino effectués par carte bancaire et empêcher ainsi les usagers de les échanger contre les précieux billets verts. Selon un article paru dans le journal Clarin, les Argentins se voient ainsi « retirer l'une des dernières options légales pour obtenir des dollars à l'étranger ». Au cours de ces derniers mois, les douanes argentines ont en effet enregistré une multiplication des voyages à destination de Colonia, Montevideo ou Punta del Este en Uruguay. Les Argentins s'y rendaient munis de leur carte bancaire, achetaient des jetons de casino mais au lieu de les jouer, allaient les échanger contre des dollars. Cette stratégie est maintenant retirée de la règle du jeu. La Banque centrale exige désormais que les titulaires de la carte de crédit demandent au préalable une autorisation pour effectuer ce genre d'opérations. « Ils seront alors informés de l'acceptation ou du refus de leur demande », précise la directrice de la Banque centrale Mercedes Marco del Pont.


En fermant ses frontières, l'Argentine joue à quitte ou double

La politique monétaire menée par le gouvernement kirchneriste depuis 2011 pourrait avoir de lourdes conséquences sur l'économie argentine. Selon le journal Altonivel, elle pourrait « affecter les exportations, freiner les investisseurs et augmenter l'inflation ». Depuis la crise économique de 2001, l'Etat a renforcé son intervention dans le marché financier. Les restrictions imposées visent par ailleurs à pérenniser une image de stabilité monétaire, mettant fin à l'obsession des Argentins pour la monnaie américaine, dans un pays sortant d'une longue série de dévaluations et soumis à un important phénomène de fuite des capitaux. Celle-ci aurait atteint selon la Banque Centrale, le chiffre record de 21 504 millions de dollars en 2011, soit une augmentation de 88% par rapport à 2010. 


Comme le rapporte le journal La Nacion, l'AFIP tente de conclure un accord avec le Panama, pays perçu comme un paradis fiscal et aujourd'hui convoité par de nombreuses entreprises argentines. Toutefois, les restrictions monétaires ne peuvent être analysées comme un simple phénomène de protectionnisme économique ou de nationalisme politique. Selon le journal Herald, la situation est plus complexe. L'Argentine semble vouloir s'isoler du reste du monde, en cherchant à retrouver une indépendance économique. En tant que pays producteur de matières premières et soumis aux importations de combustibles de plus en plus chers, elle reste dépendante du marché financier mondial. Le remboursement de la dette, précondition imposée par le Club de Paris (par lequel les pays en développement peuvent renégocier leur dette), est le sésame permettant l'accès aux marchés de capitaux mondiaux.


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Marion Roussey
Lorsque l'addiction du voyage rencontre la passion de l'écriture, elles forment un cocktail... En savoir plus sur cet auteur