As I lay dying : un road-movie southern gothic signé James Franco

10 Octobre 2013



James Franco est partout. Littéralement. A l’affiche de la comédie bien grasse « C’est la fin » sortie cette semaine, nous le trouverons également dans un film aux antipodes. Adapté du monument de la littérature américaine, Tandis que j’agonise de William Faulkner, James Franco signe une première grande réalisation, qui ressemble un peu à votre premier soufflé : osé pour un premier vrai essai culinaire, beau en apparence, pas mauvais au goût mais qui ne prend pas comme on l’aurait souhaité et qui déçoit au final.


Photo extraite du film
Photo extraite du film
Pour comprendre la difficulté qui se présente devant Franco, il faut revenir sur l’œuvre originelle qui innova la littérature contemporaine par bien des aspects. En pleine dépression, l’Amérique des années 30 n’est pas très réjouissante, et encore moins dans les campagnes. Or ici, nous suivons ce qu’il y a de plus profond dans ce pays, au cœur du Mississipi. Anse, édenté depuis 14 ans, est à la tête d’une famille des plus misérables. Respectant les dernières volontés de la matriarche fraichement décédée, le père et les 5 enfants partent l’enterrer au cimetière de sa ville natale, Jefferson. La famille, gangrénée d’une haine puissante, se détruit de l’intérieur au fil du périple.

Oui, vous l’aurez compris, As I lay dying n’est pas le livre le plus réjouissant que vous aurez l’occasion de lire. La principale singularité de ce pavé d’une soixantaine de chapitres est la multiplication des points de vue, alternant de narrateur à chaque chapitre afin de mettre en exergue les diverses réactions face à la mort de la mère, rendant l’œuvre quasi-inadaptable sur grand écran.

Le défi de James Franco

James Franco se retrouve alors face à un défi, or James Franco est boulimique de défis. Rappelons que le jeune californien est peintre, doctorant en littérature à Yale, photographe (il est actuellement exposé à Colette Paris jusqu’au 2 Novembre), écrivain, poète, acteur, mannequin, scénariste, et réalisateur. S’il tombe facilement dans la facilité des films qui ne demandent pas trop d’efforts du calibre de « C’est la fin », Franco se veut être un intello arty. Et il était certain que son amour singulier pour la littérature allait découler sur une adaptation. S’attaquer à l’ouvrage de Falkner était le plus beau risque qu’il pouvait prendre. Car plus que chercher à retranscrire l’originalité du livre, il s’agira aussi d’essayer de faire ressortir un style, un genre. Seuls les bons réalisateurs réussissent à faire dégager une empreinte singulière des les premiers films, et l’on sait que l’ambition du bonhomme est de faire partie des meilleurs.

Le cœur du roman se retrouve dans cette singulière narration. Pour la retranscrire correctement, le cinéaste a recours au split-screen, c’est à dire à diviser l’écran en deux. Les deux parties permettent ainsi de montrer les différents points de vue, accentués par quelques monologues de personnages devant la caméra délivrant leur pensée tels qu’il le narrerait dans le livre. L’idée est loin d’être mauvaise, et il s’agit probablement de la meilleure solution. Mais l’utilisation bien trop arbitraire, presque aléatoire, et la fréquence beaucoup trop importante, qui au final, lasse le spectateur. La prétention chorale du film disparaît dès lors que l’on s’habitue à cette pirouette visuelle. Ce kaléidoscope animé survit néanmoins, grâce à l’œil avisé d’un Franco qui retransmet à l’écran les longues descriptions de la nature mississippienne de Faulkner. Non sans rappeler un certain Terrence Malick, les plans sont beaux, juste beaux, et permettent de donner une certaine profondeur à l’histoire, de mieux ancrer le style Faulknerien que le cinéaste se tue à représenter.

Plus que des simples effets de style, le réalisateur a également dû faire ressortir ce danger latent, cette violence omniprésente dans le quotidien pathétique de cette famille. Car trop souvent les adaptations cinématographiques de Faulkner omettaient cette caractéristique primordiale, l’adaptation des Larrons par Mark Rydell avec Steve McQueen (1969) notamment. Ici, c’est tout le contraire. James Franco dévoile avec clarté le pessimisme de l’auteur, à travers la décomposition progressive des personnages et des liens qui les obligent à rester groupés. Un destin fébrile qui se verra chamboulé par cette expédition.

Pour cela, Franco s’entoure d’un casting convaincant, notamment Tim Blake Nelson bluffant en paternel sans dentier. Le personnage qu’incarne James Franco himself, Darl, est probablement le plus intéressant. Déjà, il est le plus présent dans le livre, narrant près de 20 chapitres à lui tout seul. Mais de plus, il est le plus intriguant, le plus attachant, probablement le intelligent. Il vit la mort de sa mère comme une tragédie mais reste le plus lucide de l’histoire. Le sort réservé au malheureux est pour le coup, probablement le plus triste. Le tout accompagné du jeu viscéralement onirique de Franco, et banco, voilà un rôle de composition.

Pari réussi?

Si le film n’est pas fondamentalement raté, il manque quelque chose. L’émotion a du mal à passer, et l’on prend assez peu en pitié les personnages pourtant tellement pitoyables. Le côté austère de cette histoire, dérobé de toutes agrégats cinématographique autre, alourdi un film donc le scénario n’est déjà pas des plus légers. Et les images Malickéennes qui accompagnent l’odyssée anti-western auraient pu n’être que fantasmagoriques, et c’est dommage. Car visuellement, c’est beau, d’accord. Mais ces petits détours par la nature ne s’intègrent absolument pas dans l’histoire et Franco rate le coche.

En se cherchant un style qu’il ne trouvera malheureusement pas après ces deux heures, le film stagne et perd de son charme. Cependant, arrêtons de critiquer pour critiquer : James Franco s’est aventuré sur un terrain extrêmement dangereux, et s’en sors plutôt bien vu. Peu de cinéastes auraient relevé le défi, et rien que cela mérite le détour. On attend les prochains travaux du beau-gosse californien, souvent surestimé, mais doté d’un talent plus que certain.

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Arthur Cios
Étudiant à Sciences-Po Paris, 2ème année. Cinéphile averti depuis 1993. En savoir plus sur cet auteur