Aube Dorée, le crépuscule démocratique

27 Septembre 2013



Tombé sous les coups de poignard d’un membre de l’Aube Dorée, Pavlos Fyssas était connu pour son engagement artistique et son militantisme anti-fasciste. L’assassinat, à l’évidente connotation politique, n’est pas sans rappeler le meurtre de Clément Méric du 5 juin dernier et interpelle une nouvelle fois (s’il en est besoin) sur le danger fasciste.


Crédit Photo -- Yorgos Karahalis / Reuters
Crédit Photo -- Yorgos Karahalis / Reuters
À Athènes, dans la nuit du 17 septembre mourrait Pavlos Fyssas, 34 ans. À la suite d’une altercation dans un bar de Keratsini, non loin du Pirée, le jeune homme et plusieurs de ses amis sont pourchassés avant que Paylos soit assassiné. Interpellé à côté des lieux du crime, l’auteur des coups de couteau a reconnu l’homicide. Les premières avancées de l’enquête ont démontré son appartenance à la formation d’extrême droite, l'Aube Dorée. Quelques jours après une attaque à l’encontre de huit communistes collants des affiches, les membres du parti néo-nazi ont de nouveau frappé, ont de nouveau tué. L’affaire secoue le pays et prend une ampleur internationale, car la victime était grecque, mais ce n’est pas la première fois qu’un homme est assassiné par l’Aube Dorée. Il aura fallu attendre la mort d’un citoyen grec pour que la Cour suprême reçoive 32 dossiers de meurtres - 13 à Athènes, 19 dans le reste de la Grèce - et l’on est en droit de s’interroger sur le véritable nombre de victimes.

De plus en plus de ratonnades néo-nazis à Athènes

Depuis plus de trois ans, des milices et des escadrons se sont constitués et multiplient les actions violentes à l’encontre des immigrés. Des marchés sont saccagés, des magasins vandalisés, des individus pourchassés. La violence constitue l’une des caractéristiques principales du parti, dont plusieurs députés et le porte-parole sont aujourd’hui poursuivis par la justice grecque. De véritables ratonnades sont organisées dans les rues d’Athènes et les communautés noires et pakistanaises tentent de s’organiser pour se défendre, en atteste le témoignage de Michael Chege.

Nostalgiques de la dictature des colonels, les membres du parti se réclament du IIIe Reich et oeuvrent à la transformation de la société grecque en arrêtant les immigrés et en contrôlant les frontières.

Ouvertement raciste et xénophobe, l’Aube Dorée profite de la crise, du chômage et d’une politique de rigueur et d’injustice sociale établie par les deux partis traditionnels (Nouvelle Démocratie, Pasok) pour promouvoir la préférence nationale et le repli identitaire. Au travers d’actions uniquement destinées aux Grecs - distribution de nourriture, donation de sang « grec » - le parti s’est constitué un important soutien populaire au point de devenir la troisième force politique du pays. Dix-huit membres siègent au Parlement depuis les élections de juin 2012, et la formation récolte aujourd’hui entre 12 et 15% d’opinions favorables dans les sondages.

Une banalisation coupable

Si le parti néo-nazi s’est implanté aussi solidement au sein de la société grecque, il le doit à une situation de crise, mais également à une classe politique tolérante et complaisante. La Nouvelle Démocratie (droite) ne cesse de rendre acceptables la stigmatisation de l’étranger et le retour au nationalisme. En intégrant au gouvernement deux figures de l’extrême droite, Makis Voridis et Adonis Georgiadis (ex L.A.O.S.), ou en adoptant une ligne réactionnaire et nationaliste quant à l’appellation des territoires macédoniens, Adonis Samaras a sciemment droitisé la scène politique. Alors que le Pasok (parti socialiste) est au plus bas, la coalition de gauche Syriza peine à transformer les résultats des élections (plus de 28%, deuxième parti) en un véritable élan politique.

Un terrain propice, favorisé par la banalisation du parti à travers un traitement médiatique anodin et complaisant. Les interventions des représentants de l’Aube Dorée se succèdent dans l’espace public, et leur vie intime (mariage, vacances) est étalée dans les médias. Aussi racistes et meurtriers soient-ils, les membres du parti d’extrême droite sont présentés comme des individus acceptables.

Une impunité meurtrière

La multitude des actions violentes et criminelles traduit une impunité qui soulève des questions. Selon plusieurs témoignages, le meurtre de Pavlos Fyssas s’est déroulé à quelques mètres de policiers, et les dénonciations d’un laisser-faire coupable se multiplient. Alors qu’une enquête s’ouvre sur les relations entre les forces de l’ordre et l’Aube Dorée, deux hauts fonctionnaires de la police ont démissionné lundi et cinq autres ont été suspendus, accusés de ne pas avoir enquêté sur la présence d’armes dans les locaux du parti néo-nazi. Plusieurs vidéos font état d’une incroyable tolérance des policiers envers ses membres, alors que le réalisateur Aris Hatzistefanou avait réalisé un documentaire sur ces étroites relations pour The Guardian en 2012.

Dès 2008, Amnesty international avait publié un rapport sur le traitement réservé par les policiers aux immigrés et la situation s’est visiblement détériorée. Nikos Dendias, ministre grec de l’ordre public responsable de la police, s’est empressé d’annoncer des mesures spectaculaires tout en condamnant le meurtre, mais sa responsabilité devrait être mise en cause au regard de sa passivité depuis sa prise de fonction il y a plus d’un an.

Des mesures, vite

Si le gouvernement grec a condamné le meurtre de Pavlos Fryssas, et Adonis Samaras rappelé sa détermination à « ne pas permettre aux descendants des nazis d’empoisonner la vie sociale, de commettre des crimes, de provoquer et de miner les fondements du pays qui a fait naître la démocratie », aucune mesure concrète n’a encore été prise pour lutter contre le parti néo-nazi.

Quant à l’Union européenne, qui se vante de vouloir sauver la Grèce à travers des plans de redressement économique, quelles sont les mesures qu’elle impose pour interdire un parti criminel ? Le comportement des Grecs est régulièrement pointé du doigt par les dirigeants européens, mais entend-on l’un d'eux condamner l’Aube dorée ?

Berceau de la civilisation et de la démocratie, la Grèce est en danger. Le risque d’une guerre civile et d’une nouvelle dictature, est bien réel et des mesures concrètes doivent être prises, à commencer par l’interdiction d’une formation politique xénophobe et anti-démocratique. À fermer les yeux, la classe politique a favorisé l’émergence d’un parti criminel et il est grand temps d’agir. Dans le cas contraire, il sera difficile de donner tort à l’écrivain cubain Alejo Carpentier : « Les berceaux finissent toujours par sentir la pisse ».

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Alexandros Kottis
Etudiant en journalisme - Institut d'Etudes politiques - Institut des Hautes Etudes de l'Amérique... En savoir plus sur cet auteur