Bahreïn, le soulèvement oublié des «printemps arabes»

18 Février 2013



De nombreuses manifestations ont eu lieu dans les villages chiites du Bahreïn et dans sa capitale, Manama, jeudi 14 février. Ces manifestations avaient lieu au deuxième anniversaire du soulèvement lourdement réprimé dans ce petit royaume du Golfe à majorité chiite, dirigé par une dynastie sunnite, coincé entre l'Arabie saoudite et le Qatar.


Bahrain protest - ©2011-2013 ~hussainy - Photography / Street
Bahrain protest - ©2011-2013 ~hussainy - Photography / Street
Jeudi, les manifestants répondaient à un appel à la grève générale et à la désobéissance civile, lancé par le Collectif du 14-Février, un groupe clandestin radical qui orchestre la mobilisation via les réseaux sociaux. L’opposition bahreïnienne a aussi pris part au cortège; elle réclame des réformes démocratiques urgentes, prônant l’instauration d’une monarchie constitutionnelle, un gouvernement issu d'élections et la fin de la discrimination confessionnelle. Les forces antiémeute ont fait usage de gaz lacrymogènes et ont tiré à la chevrotine sur les manifestants qui lançaient des pierres et des cocktails Molotov sur les policiers aux cris de « Le peuple veut la chute du régime ! ». Ces affrontements se sont traduits par de nombreux blessés et par la mort d’un policier et d’un manifestant de 16 ans.

Ces violences surviennent alors même que des discussions ont été engagées dimanche par le gouvernement et l'opposition chiite pour tenter de mettre un terme à deux ans de blocage politique et social. L'opposition réclame notamment une monarchie constitutionnelle, un gouvernement issu d'élections et la fin de la discrimination confessionnelle. Lassée par une sous-représentation à la tête du pays, la majorité chiite – qui représente 70 % de la population de cet État de 1,2 million d'habitants - manifeste au quotidien depuis deux ans jour pour jour contre la confiscation du pouvoir par une minorité sunnite.

Salmabad, April 2, 2012. ©REUTERS/Hamad I Mohammed
Salmabad, April 2, 2012. ©REUTERS/Hamad I Mohammed
Historiquement, depuis le milieu des années 1990, le Bahreïn connaît de fortes agitations sociale et religieuse. Le pouvoir en place - la monarchie sous le règne de Hamad Ben Issa Al-Khalifa - s’appuie grandement sur le voisin saoudien afin d'essayer de maîtriser les agitations et les soubresauts de contestations. Ce qui fut le cas ces dernières années, le petit royaume n'ayant pas échappé à la vague des soulèvements du « printemps arabe ». Le pays a connu de forts mouvements de protestation de février à mars 2011, qui furent marqués par un pacifisme à toute épreuve de la part des révoltés - malgré une répression féroce. Étouffé, le mouvement ne s'est pas éteint pour autant. La contestation est toujours vivace dans une partie importante de la population et il n'est pas impossible que le mouvement reprenne une forte ampleur, en ces dates anniversaires.

Nul n'appelle le roi du Bahreïn à démissionner, ni ne reçoit les opposants bahreïniens

Le Bahreïn, c’est assurément la révolte oubliée des printemps arabes. Elle a pourtant commencé un mois avant celle des Syriens, et trois jours avant celle des Libyens. Aujourd’hui comme lors de la révolte de 2011, nul n'appelle le roi du Bahreïn à démissionner, ni ne reçoit les opposants bahreïniens. Il est curieux de noter le très faible écho que la répression a pu avoir dans les traitements occidentaux de la question. Autant sur le plan diplomatique, que du point de vue des médias. Il y a un fort décalage entre la gestion du cas de la Libye (intervention des forces l'OTAN, reconnaissance internationale du Conseil national de transition libyen), ou encore de la Syrie (menace de sanctions économiques, dénonciation importante), par rapport à la révolution au Bahreïn. Plusieurs dirigeants de l'opposition sont toujours emprisonnés.

Bilad al-Qadeem, April 1, 2012. ©REUTERS/Hamad I Mohammed
Bilad al-Qadeem, April 1, 2012. ©REUTERS/Hamad I Mohammed
Plus problématique encore, le 14 mars 2011, 4 000 soldats saoudiens - avec un soutien des Émirats Arabes Unis - sont venus tirer d'affaire le roi Hamad Ben Issa al-Khalifa. Ils ont permis de mettre fin brutalement à l'occupation d'une place de la capitale, Manama, inspirée par la place Tahrir du Caire. Situation quasi unique, où un pays extérieur intervient sur le territoire d'un autre pays (sur sa demande) sans aucun mandat international - sans que cela ne suscite ni émoi, ni commentaire, ni réaction de la part des institutions internationales quant au respect du « droit international ».

Il faut dire que le Bahreïn constitue en quelque sorte un « protectorat saoudien ». En effet, la majeure partie du budget de l’État bahreïni provient des revenus des puits de pétrole d’Abou Saafa, situés dans les eaux territoriales saoudiennes. Ce gisement est officiellement la propriété partagée des deux monarchies. Mais la réalité est tout autre: les puits sont intégralement sous l'exploitation de la compagnie Aramco (donc du pouvoir saoudien), qui reverse une rente au pouvoir bahreïni. C'est donc Riyad qui a tous les pouvoirs, et le loisir de compromettre l'État bahreïni. Ce dernier est soumis, dépendant du bon vouloir saoudien sur le plan économique, et de fait sa marge de main-d’œuvre politique est plus que limitée. Or le Bahreïn – à majorité chiite rappelons-le - s'il était renversé, deviendrait sans doute un nouvel État allié de l'Iran chiite – qui revendique ouvertement l'iranité du Bahreïn - qui s'installerait au cœur du golfe Arabo-Persique, aux portes de l’Arabie Saoudite.

Répression: des « agents antiémeute toxiques français ».

L'Europe et les États-Unis ont avalisé cette vision, privilégiant leurs intérêts géostratégiques et économiques. Le Bahreïn est le seul pays du Golfe à avoir été touché par le « printemps arabe », mais il abrite surtout l'Etat-major de la cinquième flotte américaine, à portée de vue des côtes iraniennes. Plus grave encore, des agents antiémeute toxiques français permettraient aux forces de sécurité bahreïnies de réprimer les manifestants chiites au Bahreïn, selon le journaliste Jean-Marc Manach sur Bug Brother et le journaliste Armin Arefi sur Le Point.

Manama, March 29, 2012. ©AFP PHOTO
Manama, March 29, 2012. ©AFP PHOTO
L’intervention militaire de Riyad au Bahreïn a reflété une volonté tant d’interdire l’émergence d’un pouvoir chiite aux portes du royaume que de prévenir quelque contagion que ce soit. Ce qui a paradoxalement « sectarisé » la contestation bahreïnie qui était d’ordre plus politique et social que confessionnel. Un phénomène qui ne fait que renforcé l'idée d'une très grande anxiété de la part de dynastie al-Saoud de voir apparaître quelconque mouvement de libéralisation, de vent de modernisation et de liberté aux portes de l'Arabie Saoudite.

De nouvelles manifestations ?

Dans le pays, la représentation politique de la contestation (chiite) repose en grande partie sur la formation politique du al-Wifaq. Cette formation se positionne dans la mouvance décrite par Laurence Louër, de la « constitution de nouvelles formations politiques chiites qui choisissent de ne pas se positionner sur la question du rapport à l’Iran, ce afin de ne pas soulever une question susceptible de diviser les militants et ainsi de mieux se concentrer sur les enjeux de politique intérieure ». Al-Wifaq s'inscrit dans cette tendance, ayant pour origine les soulèvements des années 90, de la jeunesse chiite contestant la légitimité du régime par le contexte de crise économique et de montée du chômage et nullement sur des facteurs religieux.
 
L'opposition organisait hier une nouvelle manifestation près de Manama, au lendemain d'affrontements ayant fait deux morts lors des commémorations du deuxième anniversaire du soulèvement. La manifestation, prévue en milieu d'après-midi sur Boudaya, une route reliant plusieurs villages chiites, survient comme - vous l’aurez compris - sur fond de vive tension. Ce pont relie depuis 1986, le Bahreïn à la province orientale d'Arabie saoudite où se concentre la minorité sunnite de ce royaume à majorité chiite, comme un symbole des enjeux géopolitiques qui gangrène l’aspiration des Bahreïniens à la démocratie.

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