Beate Gordon : disparition d'une pionnière du féminisme japonais

8 Janvier 2013



Beate Sirota Gordon s'est éteinte ce 30 décembre, à l'âge de 89 ans. Illustre inconnue du grand public, c'est pourtant elle qui a inscrit le principe d'égalité hommes/femmes dans la Constitution japonaise. Un secret qu'elle gardera pendant plusieurs décennies. Retour sur un parcours hors du commun.


Beate Gordon : disparition d'une pionnière du féminisme japonais
Beate Sirota voit le jour en Autriche, le 25 octobre 1923, de parents juifs d'origines russes. La vie de la famille prend un tournant décisif, en 1929. Le père de Beate, Léo Sirota, célèbre pianiste, accepte un poste de professeur à l'Académie Impériale de Musique de Tokyo. Partis pour une période originale de 6 mois, la famille s'y installera définitivement, en fuyant par la même occasion l'inquiétante montée de l'antisémitisme en Europe. Beate a alors 5 ans. D'abord scolarisée dans une école allemande rapidement gangrénée par l'ascension du nazisme, elle rejoint ensuite un établissement américain. Elle vivra 10 années dans la capitale nipponne, avant de la quitter pour vivre le rêve américain : à l'âge de 16 ans, elle est acceptée à l'université de Mills, en Californie.

A partir de 1941, après l'attaque de Pearl Harbor, silence radio entre le Japon et les Etats-Unis. La jeune fille perd contact avec ses parents pendant quatre ans. Toute communication, ou approche du territoire nippon est impossible, la jeune étudiante, alors fraîchement diplômée de langues modernes (et naturalisée américaine depuis 1945), déménage à Washington. La jeune fille parle français, russe, allemand, espagnol et japonais : elle trouve rapidement un emploi d'interprète, au service du général MacArthur (qui supervisa l'occupation du Japon entre 1945 et 1951). Ainsi a-t-elle été parmi les premières civiles à débarquer au Japon, la veille de Noël 1945. Elle retrouve ses parents dans la campagne japonaise, épuisés et sous-alimentés depuis plusieurs mois. Elle prend soin d'eux, tout en continuant son travail.

Une Constitution classée top-secret

La véritable mission du général MacArthur était alors classée top-secret : rédiger une nouvelle Constitution pour le Japon, en moins de 7 jours. Malgré son jeune âge, 22 ans, elle sera la seule femme parmi 12 hommes à intégrer l'équipe chargée de rédiger le texte. Ayant déjà pu observer la condition des femmes au Japon pendant ses 10 ans de vie à Tokyo, elle se donne comme mission de l'améliorer. « Les femmes japonaises étaient traitées comme du bétail, elles étaient des propriétés à acheter ou à vendre sur le tas », avait déclaré Mme Gordon au Dallas Morning en 1999. « Les femmes n’avaient aucun droit, quel qu’il soit », disait-elle encore (source : New York Times). Ces quelques jours, elle les passera à la bibliothèque, s'informant sur les Constitutions du monde entier, et, enfin, rédigera deux articles, majeurs dans l'émancipation des femmes au Japon.
L'article 14 de la nouvelle Constitution stipule notamment que « tous les citoyens sont égaux devant la loi, sans qu’il y ait de discrimination dans les relations politiques, économiques ou sociales pour cause d’appartenance raciale, familiale, de religion, de sexe ou de statut social » En continuant sur la même lancée féministe, Beate Gordon rédige l'article 24 qui met femmes et hommes sur le même pied d'égalité, notamment sur le plan légal. Par ailleurs, elle fonde le « consentement mutuel » comme base du mariage et mentionne le divorce, ainsi que des articles relatifs au droit à l'éducation et au travail salarié pour les femmes. La Constitution est entrée en vigueur dès 1947.

Un lourd secret

Longtemps, personne ne sera au courant de sa participation et de son rôle joué pour les femmes japonaises. Tout d'abord, de par le caractère secret de sa mission, ainsi qu'à cause de son très jeune âge et de sa nationalité américaine. Ce n'est qu'en 1995 qu'elle révèle son implication, dans un livre autobiographique « The Only Woman in the Room » (La seule femme dans la salle). Elle devient une célébrité et une icône pour les femmes japonaises. « Beaucoup de femmes voulaient prendre une photo avec moi, elles me disaient à quel point elles étaient reconnaissantes » déclarait-elle lors d'une interview en 1999. Une reconnaissance, officialisée lorsqu'elle reçoit la médaille de l'Ordre du Trésor sacré en 1998.

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Jeanne Massé
Rédactrice pour Le Journal International, étudiante en journalisme à l'ISCPA. En savoir plus sur cet auteur