Bollywood en croisière sur la croisette

Amanda Jacquel, correspondante à Chennai, Inde
29 Mars 2013



Cette année, le cinéma indien est à l’honneur au festival de Cannes qui en fait son invité d’honneur à l’occasion de sa 100ème année d’existence.


DelhiBelly (LtoR) Kunaal Roy Kapur, Imran Khan, Vir Das
DelhiBelly (LtoR) Kunaal Roy Kapur, Imran Khan, Vir Das
Cette année, Cannes donne l’occasion de se pencher sur le cinéma de la première production cinématographique du monde. En France, on a peut-être trop vite tendance à l’assimiler aux critères caractéristiques d’un mauvais film : rebondissements incessants et trop spectaculaires, intrigues simplistes, personnages trèp stéréotypés, scénarii prévisibles… Majoritairement associé dans l’imaginaire collectif européen à ses danses et à une rythmique narrative laissant hors d’haleine, le cinéma indien compte cependant bon nombre de facettes différentes, conformément à sa morphologie sociétale.

L’histoire du cinéma indien est intrinsèquement liée à celle du cinéma français puisque ce sont les Frères Lumière qui, il y a plus de 100 ans, ont introduit ce nouvel art en Inde, par la diffusion de 6 courts métrages à Bombay. Après une rencontre avec l’un des 40 magiciens des Frères Lumière, Carl Hertz, Dadasaheb Phalke, originaire d’une famille Marathi du Maharashtra et passionné par l’image, réalise en 1912 le premier film (muet) exclusivement indien : Raja Harischchandr. Ce film est la traduction à l’écran de l’une des légendes des plus grandes épopées indiennes, également sources fondamentales de l’Hindouisme, le Ramayana et le Mahabharata. Ayant le mérite d’être à destination des différentes classes de la société indienne, la réception de ce film connaît un succès sans précédent. Bien que vite dépassé par la nouvelle industrie du cinéma parlant, son réalisateur restera connu comme le « père du cinéma indien ».

Originellement illustrateur, Satyajit Ray sera celui qui ouvrira les portes de l’international au cinéma indien en décidant de se tourner vers la production cinématographique après une rencontre avec Jean Renoir sur la réalisation de son film Le Fleuve en Inde. Il adapte à l’écran Pather Panchali, La complainte du Sentier, qui lui vaut l’honneur de recevoir le prix du document humain de 1956 au festival de Cannes. Cette période marque donc le début de la diffusion internationale du cinéma indien.

Ce qui plaît - ou déroute - surtout dans le goût de ce cinéma, c’est la différence narrative, épicée, qui dépayse les yeux occidentaux. En quelques adjectifs, le cinéma indien est un cinéma long (des films qui durent entre deux et trois heures), dynamique et souvent chanté et dansé. Comme tout art indien de la scène, son essor reste morphologiquement et historiquement lié à la philosophie hindouiste. La musique, par exemple, se doit d’occuper une place centrale dans le milieu cinématographique indien conformément aux prescriptions du Nâtya-shâstra (que l’on peut littéralement traduire par « traité des Arts de la Scène »). Considéré comme le cinquième Veda, c'est-à-dire l’un des plus anciens textes sacrés de l’Hindouisme composé par Muni Baratha en l’an 400 avant notre ère, ce traité vise, tout comme ses analogues, à établir des règles et des principes quotidiens ; ce dernier définit un idéal scénique caractérisé par ce mélange de dramaturgie, de danse et de mélodies.

La place qu’a prise la musique au sein du cinéma indien est telle qu’aujourd’hui en Inde, la majorité de la musique populaire est finalement composée de la bande son des films à gros budgets. Contrairement au cinéma occidental, le côté pudique du cinéma indien, dans lequel la nudité est prohibée, a également son charme et en fin de compte, la sensualité n’en est pas moins présente, si ce n’est plus, à son comble.

Réelle distraction, la plus grande franche du cinéma indien avait originellement pour vocation de faire oublier la misère quotidienne que subissait son public. Ce besoin d’évasion et de sensationnel n’a pas quitté les écrans indiens et se démarque significativement du cynisme cinématographique occidental. Cependant, une tranche du cinéma indien, qui a émergé dans la seconde moitié du XXème siècle, à l’issue de Satyajit Ray, vient aussi témoigner de la dure réalité de sa société, loin des paillettes, chansonnettes et amourettes. Miss Lovely, film d’Ashim Ahluwalia retraçant un milieu cinématographique lugubre du Bombay des années 1980, avait ainsi été sélectionné l’année dernière dans la catégorie Un Certain Regard du festival de Cannes.

Entre tradition et modernité, idéalisme et désenchantement post-moderne, le cinéma indien recèle une palette colorée si diversifiée qu’on comprend le défi qu’il pose à des industries aussi grandes qu’Hollywood. Chaque région a d’ailleurs développé son propre centre de production cinématographique et affirme son identité en tournant dans la langue locale. On compte ainsi, en plus du bollywood mumbaïte, un kollywood en langue tamoule, un tollywood désignant les studios de Tollyngunge à Calcutta, où Satyajit Ray fit ses débuts, un mollywood en langue malayâlam, mais aussi le cinéma tourné en langue télougou en Andra Pradesh,  et même un sandalwood dans l’Etat du Karnataka !

Inviter l’Inde au festival de Cannes 2013 est l’occasion pour un public cinéphile, souvent pointé du doigt pour être ancré dans certains codes non-réceptifs à ce cinéma masala, de le redécouvrir. On dit que c’est en apprivoisant peu à peu les épices que l’on découvre la richesse de leur goût.

Notez