Chine : Zong Qinghou, la voix du capitalisme à la Chinoise

Justine Jankowski
31 Juillet 2013



Zong Qinghou, patron du groupe Wahaha, a estimé mercredi 17 juillet qu'il n'y avait « nul besoin » de s'attaquer aux inégalités de richesse chinoises. À l'occasion de l'ouverture d'un nouveau centre commercial à Pékin, le milliardaire a défendu une politique libérale, à l'origine de son succès dans les années 1990. Une politique qui a propulsé la Chine au rang des sociétés les plus inégalitaires du monde.


A production line of Wahaha Group in Hangzhou of Zhejiang Province, China | Crédit Photo -- Feng Li / Getty Images
A production line of Wahaha Group in Hangzhou of Zhejiang Province, China | Crédit Photo -- Feng Li / Getty Images
Peu importe que le chat soit blanc ou noir, du moment qu'il attrape les souris ». La maxime de Deng Xioaping résume à elle seule l'envol économique de la Chine depuis une trentaine d'années; un adage qui prescrit de s'enrichir par n'importe quel moyen. Zong Qinghou a bien appris sa leçon. Fondateur et PDG du groupe Wahaha, entreprise leader du marché de boissons non alcoolisées, membre du Parti, Zong Qinghou incarne mieux que quiconque le paradoxe économique chinois. Son patrimoine, estimé à 5,9 milliards de dollars, a fait de lui l'homme le plus riche de Chine.

Itinéraire d'un self-made-man

Derrière l'accroissement fulgurant des richesses chinoises depuis 1980, on retrouve le culot de quelques téméraires partis de rien. Zong Qinghou, né en 1945, est de ceux-là. Durant sa jeunesse, victime du mouvement des jeunes instruits, cet enfant de Zhejiang est envoyé à la campagne, où il travaille comme ouvrier. À son retour, il démarre en tant que vendeur de lait, pour le bureau éducatif de Shangcheng. En 1987, le jeune homme est promu responsable du département, et se diversifie sur le marché, en élargissant sa gamme aux sodas et aux jus de fruits. Son audace est sans limite ; il n'a rien à perdre. Wahaha est né. À peine un an plus tard, le groupe fait ses premiers pas : Qinghou invente la première boisson nutritive pour enfant, un formidable succès qui décuple le chiffre d'affaires de l'entreprise. Wahaha devient leader de la boisson dans le pays. Et le rêve américain devint chinois.

Une « économie socialiste de marché »

Dès lors, comment s'étonner de ses propos ? Tronqués, ils sont révoltants : « il n'y a nul besoin de s'attaquer à l'écart grandissant entre pauvres et riches dans le pays ». Analysés, ils sont compréhensibles. Car le milliardaire poursuit : « chacun doit avoir la possibilité de s'enrichir. Les personnes riches doivent aider l'ensemble de la population à devenir plus prospère (…) Si nous instaurions l'égalitarisme (...), tout le monde ne mangerait pas à sa faim. C'est mieux d'encourager les gens à créer de la richesse », peut-on lire dans Le Devoir. Un caillou jeté dans le mausolée de Mao. La rupture est consommée : entrepreneuriat contre répartition des richesses par l'État, Zong Qinghou défend tout simplement une politique capitaliste, que l'ère Xiaoping a portée aux nues. Il faut dire qu'il y a à peine quarante ans, la Chine était considérée comme un pays du Tiers-Monde. Le petit Timonier n'a fait que réveiller l'ambition naturelle du peuple de l'Empire du Milieu : rattraper l'Occident, avec qui l'écart de richesses était considérable. C'est cette volonté légitime de faire ses preuves qui, poussées par les exhortations de Deng Xioaping, a hissé quelques pauvres aux mains vides au rang de millionnaires. Quelle est la rançon de ce virage économique ? La Chine est aujourd'hui l'une des championnes du monde des inégalités.

Société inégalitaire : le prix de la croissance

Le patron de Wahaha en est l'exemple même : en matière d'harmonie sociale, la Chine fait figure de mauvais élève, voire de véritable cancre. Les disparités se sont creusées au rythme de l'émergence d'une classe riche. Corrélativement, le coefficient de Gini place la Chine à 0,61 : la valeur zéro correspond à une société parfaitement égalitaire où tout le monde dispose du même revenu, et la valeur 1 un monde où tous les revenus sont concentrés entre les mains d'une unique personne. Or, les experts s'accordent sur le fait qu'un score supérieur à 0,4% entraîne un risque d'instabilité sociale. Que reste-t-il du programme de « société harmonieuse » lancé en 2003 par Hu Jintao ? Cette société, « où régneront l'équité et la justice, l'honnêteté et la solidarité, la symbiose entre l'homme et la nature », comme l'affirmait les statuts du parti communiste chinois en 2007, a tout du conte de fées. Car aujourd'hui, que se cache-t-il derrière les 9% de croissance annuelle ? Une place pour la Chine au centième rang dans le classement mondial des revenus par tête.

Zong Qinghou est un audacieux. Habile et retors, il a pris des risques, et la fortune lui a souri. Ses dires sur la manière dont le peuple chinois doit s'enrichir témoignent simplement de l'idéologie - où de l'absence d'idéologie ? - qui l'a bercé : non plus celle du Grand Timonier, mais celle de son successeur, qui, opérant un virage à 180 degrés, a permis l'enrichissement de son pays au détriment d'une société égalitaire.

Deng Xiaoping a tranché net le débat entre capitalisme et socialisme dans le développement de l'économie chinoise. « Mieux vaut une mauvaise herbe socialiste qu'une pousse capitaliste » annônait-on sous l'ère maoïste. Aujourd'hui, la mauvaise herbe et la pousse ne sont qu'une seule et même plante. La multinationale Wahaha est le fruit de la récolte.



D.R.
D.R.

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